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Olivier Véran l’annonçait il y a peu : 1 300 étudiants ont démissionné entre 2018 et 2021. Si la crise sanitaire a été un accélérateur, le mouvement n’est pas nouveau. Beaucoup vivent mal le décalage entre leur vision du métier et les réalités du terrain. Organisations étudiantes, formateurs, professionnels tentent de comprendre et de stopper l’hémorragie.
Anne-Sophie Minkiewicz voulait être infirmière depuis ses 6 ans. Son Bac en poche, elle intègre un Ifsi. Dès les premiers temps, l’écart entre les raisons pour lesquelles elle veut exercer et les moyens donnés pour la questionne. « On nous dit qu’on aura sept patients et on en a vingt-deux », s’insurge la trentenaire. Elle ne sait à qui parler à l’école mais s’accroche. Diplômée, elle fait face à une désillusion croissante. Jusqu’à la rupture trois ans après. « On a toutes dit à la famille d’un patient au pronostic vital engagé ‘‘Ne bougez pas, je reviens’’ en sachant très bien qu’on n’aurait jamais le temps de revenir, s’attriste-t-elle. C’était trop. »
Bob*, lui, a arrêté ses études en cours de route. « Entre l’accueil réservé aux étudiants en établissement, la pression que met l’Ifsi, les méthodes d’apprentissage qui n’évoluent pas et la réalité du terrain comparée aux belles théories, cela ne correspondait plus du tout à mes valeurs », déplore celui qui est aujourd’hui aide-soignant « pleinement satisfait » en région parisienne.
La formation de tutrice reconnueSi Anne-Sophie Minikiewicz a trouvé en elle la force pour continuer, ils sont 1 300 à avoir abandonné les études en soins infirmiers entre 2018 et 2021, a indiqué le ministre Olivier Véran il y a peu. « La tendance est de plus en plus forte mais elle existe depuis bien avant la Covid, assure Pierre*, ancien infirmier, puis cadre, désormais formateur dans le Sud-Ouest. Ce n’est plus évident de trouver des choses positives dans le métier… » Si l’homme pointe un « contexte extrêmement morose », il dénonce aussi l’impact de Parcoursup : « Avant, on passait des épreuves de sélection, un entretien, aujourd’hui, on clique. On doit faire avec ce que nous envoie le logiciel. »
C’est souvent après un stage qui s’est mal passé que les étudiants décident de quitter le cursus. C’est pourquoi la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi) milite ardemment pour la mise en place de tutorat. « L’étudiant doit avoir une personne-ressource dans le service de soins, soutient Mathilde Padilla, sa présidente. Nous demandons la formation et la valorisation de tutrices, qu’elles aient un statut, du temps, une compensation financière pour leur engagement. » « Un étudiant qui a bien été accueilli en stage revient travailler. Il faut les écouter, les accompagner, rebondit Michèle Appelshaeuser, présidente du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec). Mais il y a un grave problème de ressources humaines à l’hôpital. »
Juste quinze minutesAnne-Sophie Minkiewicz, elle, intervient à sa manière face au problème. Après s’être reconvertie dans les ressources humaines et le management et avoir passé dix ans en cabinet de conseil, elle a créé la start-up Infirmière Reconversion pour accompagner celles qui veulent changer de métier. « On a aidé 120 personnes en 2021. De tout âge. Un tiers veut faire complètement autre chose – je pense notamment à une qui est aujourd’hui vitrailliste –, un tiers veut toujours exercer mais autrement, et un tiers veut rester dans le soin mais différemment », partitionne-t-elle. Bien qu’elle vive de cette fuite, cela lui fait peur : « Ça va nous péter à la tête. » Son parcours et son expérience lui permettent d’identifier un problème majeur : « Ce n’est pas tant le salaire, mais le management. On ne forme pas des leaders, des managers, on forme des cadres. Il n’y a aucune notion d’anticipation, de valorisation, d’écoute, de bienveillance. Il suffirait déjà de prendre quinze minutes en tête-à-tête, ne serait-ce qu’une fois par an, pour échanger, écouter, comprendre. »
Quinze minutes qui peuvent tout changer pour des jeunes désemparés.
Thomas Laborde
* Le prénom a été modifié.
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- Martin L., « Tuteur, une fonction en quête d’attractivité », L’Infirmièr.e, n° 14, novembre 2021.
- Laborde T., « La souffrance des ESI ne s’apaise pas », sur espaceinfirmier.fr, le 4/11/2020.
- Renaud A., « Entrée en Ifsi : quel est le premier bilan de Parcoursup ? », sur espaceinfirmier.fr, le 22/05/2019.