Depuis 2002, et l’entrée en vigueur des 35 heures à l’hôpital, les personnels hospitaliers ont accumulé des millions d’heures sur des comptes épargne temps qui arrivent à échéance. Comment solder ces heures ? Au vu de la pénurie de personnel et des difficultés financières des établissements, l’équation a des airs d’insoluble.
« Jeu de dupes » ! Le 30 novembre dernier, au sortir du ministère de la Santé, le secrétaire général du SNPI, Thierry Amouroux, ne mâchait pas ses mots. Ce jour là, la DGOS recevait les représentants syndicaux des agents hospitaliers pour une première « réunion de concertation » sur l’épineuse question de la gestion des comptes épargne temps (CET). Un enjeu de taille, car, depuis 2002, et l’entrée en vigueur des 35 heures dans la fonction publique hospitalière, les personnels hospitaliers ont accumulé des millions d’heures sur ces CET, qui arrivent aujourd’hui à échéance. Combien exactement ? Aucun chiffre officiel n’est disponible. Mais, selon le SNPI et la CGT, le montant total avoisinerait les dix millions de jours ! « Face à ce chiffre, la DGOS n’a pas moufté, souligne Cécile Marchand, représentante CGT. Ce qui nous fait penser que nous ne sommes pas loin du compte. Rien qu’à l’AP-HP, de source sure, près d’1,3 millions de jours ont été stockés ! »
Selon les hôpitaux, les services, ou même au sein des services, les CET sont plus ou moins garnis, en fonction de l’ampleur de la pénurie de personnel et de la plus ou moins bonne santé financière des établissements. Premières catégories professionnelles concernées ? Les 41 000 médecins hospitaliers, qui auraient accumulé à eux seuls plus de deux millions de jours… qu’ils menacent de poser dès janvier « si rien n’est fait pour sortir de l’impasse » tempête François Aubard, président de la CMH (1). Mais « les cadres, et les infirmières spécialisées, sont aussi très touchés, insiste Fernand Brun (FO). Et avec eux, ici et là, toutes les catégories de personnel. La situation est certes disparate, mais le problème est global. » Ici, c’est Virginie, infirmière en chirurgie digestive à la Pitié Salpetrière, qui avait trois heures sur son CET, mais qui parle d’une amie, infirmière en hôpital de jour d’hématologie à Saint-Antoine, qui a, elle, 50 jours sur CET ! Là, c’est Christophe Prudhomme, médecin à Avicenne et vice-président de l’Amuf (2), dont le CET avoisine les 100 jours, et qui évoque la situation des ambulanciers de son service, en constant sous effectif, contraints à des heures sup « qu’ils ont un mal fou à se les faire payer ou à les récupérer. »
« L’arbre qui cache la forêt »
Si la question des CET est aujourd’hui posée sur la place publique, c’est parce que, selon la loi, les modalités les régissant sont valables dix ans. Le décret les ayant créés datant du 3 mai 2002, le problème est censé être réglé d’ici mai 2012. Sans que personne n’y croie vraiment, vu la somme des jours dus. « Car les CET, c’est l’arbre qui cache la forêt, souligne le secrétaire national de la CFDT Santé Sociaux, Dominique Coiffard. Ils sont le reflet du manque criant de moyens, humains et financiers, accordés à l’hôpital public. » En 2008 déjà, des négociations avaient permis au personnel hospitalier de se faire payer une partie (30%) de ses jours. Mais le stock s’était reconstitué à vitesse grand V.
Alors que faire aujourd’hui ? Les solutions manquent. Et les syndicalistes se disent « pessimistes », ulcérés par un ministère qui renvoie dos à dos salariés et établissements hospitaliers.
Quelles sont les options sur la table ? Première possibilité : se faire payer ces jours. Mais avec quel argent ? Les établissements sont censés avoir provisionner pour cela. Sauf que tous ne l’ont pas fait… ou n’ont pas pu le faire. Selon les syndicats de médecins, les hôpitaux n’auraient que 30% - 50% selon le ministère - de la somme nécessaire au paiement des seuls CET des médecins, soit quelque 600 millions d’euros. « En un sens… cela n’est pas notre problème », commente François Aubard. « Mais notre inquiétude, souligne Cécile Marchand, c’est que les hôpitaux qui n’ont pas assez provisionné sont justement ceux qui ont des difficultés financières. Que veut le ministère ? Qu’ils se serrent encore la ceinture… quitte à fermer des lits ?! » « Nous ne demandons pas un chèque en blanc, mais il faut trouver des solutions pour des hôpitaux qui, comme Lens ou Ajaccio, souffrent » rajoute le directeur de la communication de la FHF, Cédric Lussiez. Se pose aussi, note Thierry Amouroux, la question du montant du rachat des journées. Le ministère a mis sur la table des indemnisations journalières calquées sur celles de 2008 : 65 euros pour la catégorie C, 80 euros pour la catégorie B, 125 euros pour la catégorie A. « Une arnaque, commente-t-il : 80 euros, c’est le salaire d’une infirmière débutante ! »
Autre option : que chaque agent récupère les jours qui lui sont dus. « Mais vu la pénurie de personnel, c’est irréaliste… sauf à fermer les services ! » souligne Cécile Marchand. Dernière piste évoquée le 30 novembre : transformer ces jours en points de régime de retraite additionnelle. Possible… Mais « inquiétant aussi, commente la représentante CGT, car ce régime additionnel est moins favorable aux agents que la retraite de base. »
« Bombe à retardement»
Le ministère a prévenu : un nouveau décret, prévu pour avril 2012, s’imposant pour régir les CET dans les années à venir, les agents hospitaliers auront, à sa parution, six mois pour faire connaître leurs choix concernant leurs jours accumulés jusque là. A défaut d’option, les jours épargnés seraient versés au régime de retraite additionnelle. Une solution qui ne satisfait pas les syndicats. « Je suis très préoccupé » insiste Fernand Brun.. D’autant que le contenu du nouveau décret alarme lui aussi les syndicats. Le projet ministériel prévoit en effet de calquer dorénavant les CET des agents hospitaliers sur ceux de la fonction publique d’Etat : le nombre de jours maximum versés sur un CET serait limité à 10 par an (contre 22 actuellement), et à 60 au total (contre 200). « Inacceptable ! Ne serait-ce qu’en raison des spécificités du travail à l’hôpital, travail de nuit, de week-end… et pénurie de personnel » répond Cécile Marchand.
La marge de négociation s’annonce mince. « On va tenter d’obtenir au moins 120 jours par an… plus si possible » explique Fernand Brun. Et de taper du poing sur la table pour que la question des jours stockés jusqu’ici soit prise en compte, rajoute-t-il. L’affaire n’est pas gagnée, le ministère refusant pour le moment toute rallonge budgétaire. « Il cherche à refiler la patate chaude au prochain gouvernement » commente, désabusé, le vice-président de l’Amuf.
Emmanuelle Debelleix
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1 – CMH : Coordination médicale hospitalière. Le premier syndicat de praticiens hospitaliers
2 – Amuf : Association des médecins urgentistes de France