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Le déploiement, depuis le 9 août, du pass sanitaire en établissement de soins, hors urgences, fait réagir les professionnels de terrain, craignant des inégalités dans l’accès aux soins. Dans l’ensemble, la mise en application se fait plutôt doucement, avec une certaine flexibilité. Mais jusqu’à quand ?
La plupart le disent : ils sont pour la vaccination, c’est la meilleure solution pour sortir de la crise. « Mais pas sous la contrainte. Or, c’est la sanction au lieu du dialogue, pour les patients et pour les soignants, s’insurge Grégory Chakir, infirmier de bloc opératoire à Toulouse. Le pass sanitaire décourage à se faire soigner. Alors même que depuis le début de la crise, il y a des déprogrammations de chirurgie, des retards de prise en charge, des consultations reportées voire annulées parce que des services ont été transformés en unité Covid, on demande aux gens d’être vaccinés contre tout et de ne pas être malade, c’est en contradiction avec notre mission. »
Application plus ou moins stricte
Partout, des points de contrôle ont été installés et/ou renforcés à l’entrée des hôpitaux. Parfois « stricts. On a vu des histoires relayées d’accompagnants interdits d’accès alors qu’ils étaient avec leurs proches », souligne Marie-Pierre Martin, infirmière aux urgences de l’hôpital Necker, à Paris. Souvent plus flexibles, mais « ça dépend des endroits et des gens qui contrôlent. Monsieur Véran a dit que le chef de service pouvait décider au cas par cas. Mais des personnes renoncent aux soins, et ne se déplacent plus quand d’autres sont bloquées aux portes de l’hôpital ! »
Kévin Houget, lui, travaille dans un service d’urgences, à Rennes. « Nous ne demandons pas du tout le pass sanitaire, mais pour combien de temps ? » « Toute personne qui se présente aux urgences peut être reçue, on considère qu’il s’agit d’une urgence… normalement », rappelle Anne-Claire Rafflegeau, qui, elle, a quitté l’hôpital public.
Aux urgences de l’hôpital Beaujon, en Île-de-France, où exerce Pierre Schwob Tellier, le pass sanitaire a pu être demandé à des personnes venues consulter aux urgences. « Des agents leur ont demandé sans leur interdire l’accès. Des accompagnants, oui. Mais la communication pousse à une stigmatisation des personnes sans pass sanitaire. L’hôpital se coupe encore un peu plus des populations les plus fragiles. »
L’Ordre des médecins lui-même rappelait début août : « Les médecins, pour leur part, continueront de remplir leur mission de service public, qui est de soigner tous leurs patients, sans distinction. » Une ligne que suit le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), annonce d’emblée Thierry Amouroux, son porte-parole, qui déplore en plus du problème d’accès aux soins, une pédagogie entravée : « Tout l’intérêt des consultations, c’est aussi de convaincre ces populations qui peuvent être contre le vaccin, que c’est très important. On ne peut plus faire ce travail d’échange, d’écoute, on ne pourra pas rassurer, répondre aux questions. »
Le pass sanitaire inadapté en psychiatrie
Dans le Tarn, où exerce Patrick Estrade, « la direction a fait preuve d’une volonté de tout mettre en œuvre pour que le patient sans pass sanitaire ne perde pas le bénéfice de la consultation. Toute une panoplie de tests à faire rapidement notamment ». Mais ce sont les usagers de psychiatrie qui inquiètent l’infirmier : « Il faut faire en sorte qu’on n’exige aucun pass sanitaire pour ces patients ou ceux qui sont à domicile et qui viennent de temps en temps lorsqu’ils sont débordés par leurs angoisses, leurs délires. Il faut considérer les soins psychiques comme une urgence. »
Un collectif de psychiatres a d’ailleurs signé, le 4 août dernier, une tribune dans Le Monde à ce propos, insistant sur une fracture sociale déjà béante : « Certains patients psychiatriques, et notamment au vu de leurs troubles cognitifs, peuvent être démunis pour accéder à la vaccination ou présenter un pass sanitaire, que ce soit sous format papier ou numérique. Tous n’ont pas ou ne savent pas se servir d’un smartphone où peuvent tout simplement oublier de le porter sur eux pour se rendre à la consultation. Faut-il rappeler aux autorités que la fracture numérique existe et que l’accès aux soins n’est pas égalitaire parmi la population ? »
Le pass sanitaire a un coût
Par ailleurs, ces contrôles peuvent requérir de recruter du personnel ou de sous-traiter, pointe la Fédération hospitalière française, ce qui pourrait coûter environ 60 millions d’euros par mois, « pour contrôler plutôt que de renforcer les équipes et soigner », critiquait dans un article des Échos du 4 août Zaynab Riet, déléguée générale de la structure, en faveur de l’obligation vaccinale pour les soignants, bientôt en vigueur, et largement contestée par les personnes concernées.
« En termes de sécurité, le vaccin est une solution, assure Grégory Chakir, du Collectif Inter-Bloc. Mais on aurait aimé que les établissements se positionnent au niveau des masques FFP2, notamment. La vaccination réduit la transmission mais ne l’annule pas. Le risque de transmission aéroportée à l’hôpital n’est toujours pas pris en compte. D’un côté, ils sont intransigeants sur la vaccination, de l’autre, ils sont laxistes pour réduire les risques de contagion à l’hôpital. » Des plaintes sont en cours à ce sujet.
Thomas Laborde