Un rapport de l’Igas fait le point sur ce sujet parmi tous les professionnels de santé de la fonction publique hospitalière, et pointe les risques pour les salariés comme pour les établissements.
En tête d’une liste de quatorze professions paramédicales, les « infirmiers spécialisés en anesthésie-réanimation », catégorie de personnel particulièrement difficile à recruter pour les établissements de santé, sont les plus cumulards de la fonction publique hospitalière (FPH) : 19% d’entre eux (soit 1 409 personnes sur 7 422) cumulaient en 2008 leur activité salariée dans la FPH avec une autre activité professionnelle rémunérée, dans le secteur public (6,5%) ou dans le privé (12,5%), selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur le « Cumul d’activités dans la fonction publique hospitalière », rendu public le 26 septembre. Suivent ensuite les psychomotriciens (16,2% cumulent), ergothérapeutes (15,4%), orthophonistes (9,6%) et masseurs-kinésithérapeutes (9,3%). Les autres catégories de soignants infirmiers arrivent ensuite, avec au sixième rang, les Ibode (8,4% de multi-actifs), suivis des puéricultrices (8,3%). Les infirmiers en soins généraux, psychiatrie comprise, se classent en neuvième position (7,4% de multi-actifs). Soit une moyenne, tous paramédicaux confondus, de 6,8% d’agents multi-actifs.
Il ressort du rapport de 116 pages que le cumul d’activités salariées est davantage le fait des hommes que des femmes puisque 22% des multi-actifs sont des hommes alors qu’ils ne représentent que 13% des effectifs. La surreprésentation masculine est d’ailleurs particulièrement marquée chez les Iade et les manipulateurs électroradiologie médicale.
Peu de libéral
Si les rémunérations tirées des activités secondaires sont très variables, « dans certains cas, le niveau élevé des revenus dégagés par l’activité supplémentaire indique que le cumul ne peut s’effectuer qu’au détriment du service », observent les auteurs du rapport, Charles de Batz de Trenquelléon, membre de l’Igas et Pierre Lesteven, conseiller général des établissements de santé. Les activités annexes se pratiquent essentiellement dans le secteur de la santé et le cumul d’activités salariées paraît plus courant que celui d’une activité salariée publique et d’une activité libérale. Ainsi, les données de l’Insee pour l’année 2007 indiquent que seuls 1% des salariés des établissements publics de santé exercent une activité libérale. Parmi eux, 10% environ exercent une activité infirmière, soit un peu moins de 850 infirmiers, tous statuts confondus. Sur les près de 216 000 postes d’infirmiers de toutes spécialités recensés par la Drees dans les établissements publics de santé cette année-là, cela représente moins de 0,5% des effectifs, beaucoup moins que ceux cumulant une activité salariée.
La concurrence avec le secteur privé pour le recrutement et la fidélisation des compétences place les employeurs publics dans une situation d’arbitrage délicat, analysent les auteurs du rapport : soit respecter la réglementation sur le cumul, mais risquer dans ce cas de manquer de professionnels compétents, davantage attirés par les rémunérations du privé, ou privilégier la continuité du service quitte à flirter avec l’illégalité.
Risques pour les patients et les agents
Quelles sont les conséquences possibles du cumul d’activités ? Un risque pour la sécurité des patients puisque, « malgré des variabilités individuelles, la fatigue accroît les scores d’anxiété, d’irritabilité, de dépression et altère les performances cognitives ». Une récente mission de l’Igas au CHS Sainte-Marie de Nice faisant suite à la fugue de trois patients hospitalisés a d’ailleurs mis en évidence « des problèmes de vigilance », notamment la nuit, « liés au fait que les salariés cumulent plusieurs emplois ».
Le rapport rappelle les risques encourus par le salarié cumulard, tant pour sa santé et sa sécurité que pour son avenir professionnel. « Si la durée hebdomadaire du travail est limitée, c’est pour protéger la santé des salariés », écrivent-ils. Et de citer des exemples de cumuls à l’issue malheureuse, comme celui d’une infirmière « faisant des remplacements dans un Ehpad durant ses congés à l’insu de son établissement d’origine. La direction des ressources humaines a été avisée par la justice que cette infirmière était interdite d’exercice. Au cours d’un remplacement, elle avait commis une erreur fatale à l’un des résidents de l’Ehpad. La suractivité entraînant une certaine fatigue a été avancée comme une des causes possibles de l’accident. »
Sanctions
Le cumul illégal d’activités expose l’agent à des sanctions lourdes. « Lorsque le directeur de l’établissement de santé dispose d’éléments de preuve du cumul d’activités pour un agent titulaire de la fonction publique hospitalière, il est en mesure de révoquer l’agent », soulignent les auteurs, précisant que l’éventuel recours formulé devant la commission des recours de la FPH « a peu de chances d’aboutir ».
Les auteurs terminent leur rapport par une série de seize recommandations visant à maîtriser les risques et réduire le cumul irrégulier d’emplois. Citons entre autres l’instauration d’un module sur le cumul d’activités dans la formation initiale et continue des gestionnaires de ressources humaines de la FHP, des directeurs de soins à l’EHESP et dans les instituts de formation des cadres de santé ; le développement de l’aide au logement du personnel soignant dans les agglomérations où il est particulièrement coûteux ; l’autorisation par convention locale du travail à temps « plus que complet » pour le personnel volontaire dans le cadre de l’assouplissement du recours aux heures supplémentaires ou encore l’imposition d’un délai de deux ans aux infirmiers nouvellement diplômés avant de pouvoir exercer en intérim, à l’instar de la réglementation pour l’installation en libéral.
Cécile Almendros