Les serious games, ou « jeux sérieux », peuvent aider à mieux communiquer avec les patients, à améliorer leur information sur les soins et leurs conditions de prise en charge, mais aussi à développer la formation des soignants. Petit tour d’horizon.
Apprendre en s’amusant, se former en jouant, accompagner un patient dans son parcours de soin ou atténuer la douleur d’un acte grâce au jeu vidéo… le rêve pour un soignant ? Plus tout à fait. Dix ans après les États-Unis et le Canada, un peu moins longtemps après la Grande-Bretagne, la France se met enfin aux serious games. Les jeux vidéo « sérieux » qui sont en train d’émerger visent la formation des professionnels, mais aussi l’information et l’éducation thérapeutique des patients, la stimulation de leurs compétences au regard des soins voire l’atténuation de leur douleur… Une autre planète pour certains soignants, mais parfaitement familière à la génération qui arrive sur le marché du travail aujourd’hui. Et a fortiori aux nouveaux patients.
Génération jeux
« Dans certains générations, 80 à 90 % des personnes jouent à des jeux vidéo », souligne Jean Menu, conseiller au Pôle Image Nord-Pas-de-Calais, une région très active dans ce domaine, et président du Serious game Lab, l’association qui fédère de nombreux acteurs de ce secteur novateur. L’éducation et la formation professionnelle, déjà lancées dans l’e-learning (formation à distance grâce aux outils numériques) ainsi que la santé (25% des projets aidés selon Jean Menu) sont les trois domaines qui investissent le champ des serious games. Dans celui de la santé, « il existe un très grand besoin sur le plan de la communication et les serious games peuvent offrir un accompagnement très fort à tous les services médicaux, observe Catherine Rolland, chef de projet chez Tekneo, qui pilote le dossier santé au sein de Serious game Lab. Le marché est à créer mais c’est un outil avec un énorme potentiel. »
En matière de santé, les projets concernent aussi bien les patients que les soignants, le système de santé que les soins, l’accompagnement que la formation. Mais ils ont tous en commun d’associer les contenus et objectifs pédagogiques aux ingrédients du jeu vidéo : animation, simulation virtuelle, scénarisation (ludique ou pas) du contexte du jeu… Au service d’un apprentissage ou d’une démarche active du « joueur », d’une mobilisation voire d’une évaluation de ses compétences.
Retard à l’allumage
Le modèle en la matière reste Pulse !!. Un « jeu » très riche, multijoueur, développé par l’université A&M Corpus Christi du Texas et la société Breakaway sur une commande de l’armée américaine pour améliorer la gestion des situations d’urgence médicale. Il met en œuvre environnement virtuel, simulation en temps réel, la 3D, la possibilité de jouer plusieurs rôles (infirmier, malade, directeur d’hôpital, comptable, etc.). Il associe une multitude de données médicales (protocoles, mesures de constantes, modifications de l’état physique et biologique d’un patient, etc.) et de contexte afin de proposer un très grand nombre de situations différentes. Les actions de chacun des joueurs modifient donc la situation pour tous les autres : selon que l'on effectue ou pas l’électro-cardiogramme d’un blessé, on peut passer à côté d’une dégradation de son état et devoir faire face à un arrêt cardiaque qui aurait pu être évité si… etc. Une société française, Interaction Healthcare travaille sur l’adaptation au jeu au contexte uniquement sanitaire et français. Une opération très lourde.
Jeux anti-douleur
D’autres serious games, souvent issus de travaux américains, apparaissent progressivement sur le marché. Comme Freedive, un jeu destiné à atténuer la douleur des soins prodigués à des enfants. Dans un environnement sous-marin virtuel, ils nagent avec des tortues à la recherche de trésors cachés. Ou Snow World : pendant des soins particulièrement douloureux, chez les grands brûlés, par exemple, le patient est plongé grâce à un casque de réalité virtuelle dans un paysage de neige et de glace dans lequel il dégomme des pingouins à coups de boules de neige. Toutes ces applications font l’objet d’évaluations afin de déterminer si elles ont, ou non, un effet sur la douleur effectivement ressentie par le patient.
Mais d’autres projets voient le jour en France. Notamment grâce aux appels à projets numériques lancés en 2009 par la secrétaire d’Etat à la Prospective et au Développement de l’économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet (NKM), et dont les premiers effets commencent à apparaître.
Parmi les jeux à destination des patients, le studio Confluence composite de concepteurs et prestataires (CCCP), déjà éditeur d’un logiciel qui aide les enfants à se repérer dans l’univers hospitalier et à évaluer leur douleur, développe actuellement Ludomedic. Ce serious game – lauréat de l’appel à projets – vise à dédramatiser le séjour à l’hôpital des jeunes patients sous forme de jeu auprès d’eux mais aussi de leurs parents (comment se déroule une IRM, une intervention chirurgicale…). Il vise aussi à améliorer la communication des soignants avec eux grâce, notamment, à un générateur de dialogues… Des associations d’infirmières ont d’ailleurs été consultées au niveau de la conception. Le jeu sera officiellement lancé en décembre 2011.
Enquête glycémique
Des jeux plus simples destinés aux patients sont déjà accessibles sur Glucifer, qui propose des jeux simples mais faciles d’accès et gratuits créés par une association, Les Diablotines, née au CHU de Caen pour développer des supports d’éducation pour les patients diabétiques. L’Affaire Birman vise à les aider à gérer leur insulinothérapie fonctionnelle à travers la résolution d’énigmes par deux jeunes enquêteurs tandis que le Méli-mélo glucidique, plus simple, permet de tester ses connaissances nutritionnelles. Plus anecdotique mais pas inintéressant, Mon hôpital, permet de s’exercer à gérer un hôpital : organiser les soins, engager des personnels, acheter du matériel, soigner des patients, etc.
Teknéo a pour sa part développé Le Village aux oiseaux, un jeu d’entraînement thérapeutique dans lequel les résidents en maison de retraite sont invités à prendre en photo (un autre type de shooting!) les oiseaux perchés un peu partout dans un village. Un moyen de maintenir et focaliser son attention dans une démarche active.
Les projets à destination des professionnels de santé sont moins nombreux, mais certains sont en cours de développement comme Florence, le jeu imaginé par la société d’e-learning AUDACE pour renforcer les compétences des infirmières sur des soins qu’elles pratiquent moins souvent et donc sur lesquels elles se sentent moins à l’aise. Transfusion sanguine, AES, vaccination, choc anaphylactique, coloscopie, embolie pulmonaire, lavement intestinal… de nombreux protocoles dont les thèmes ont été élaborés avec des infirmières, seront ainsi passés en revue grâce à des exercices interactifs.
Reconnaissance et évaluation
Ce jeu, comme beaucoup d’autres, ne constitue pas un objet fini une fois qu’il est lancé : la plupart des serious games intègrent des étapes et axes de développement ultérieurs, certains disposent de modules ciblés pour un type de patient, de pathologie ou de professionnel… D’une manière générale, « nous souhaitons qu’ils soient accompagnés d’outils de mesure et d’évaluation pour déterminer les domaines dans lesquels ces jeux donnent satisfaction et les points qui devront faire l’objet de développements ultérieurs, indique Jean Menu. Quand les jeux sortent, ce sont souvent des versions 1 voire 0. »
Les premiers projets retenus par l’appel à projets « NKM » devraient éclore cette année. Reste à savoir comment ils seront accueillis par les professionnels de la formation, par exemple. Sur le plan financier, d’abord. Les serious games les plus simples peuvent être développés pour quelques dizaines de milliers d’euros mais les coûts de conception et développement des plus complexes grimpent rapidement vers des sommets… Abonnement ? Licence ? Il est encore trop tôt pour dire quel sera le modèle privilégié. Sur le plan de la prescription, il va également falloir convaincre.
Dans le domaine de la formation, « les centres et grands organismes de formation professionnelle, qui disposent de gros moyens, vont peut-être prendre conscience que le public auquel ils s’adressent s’attend à travailler sur des outils numériques convenables », remarque le président de Serious game Lab, qui prédit un fort développement de ces outils, notamment via les réseaux sociaux, dans les cinq à dix prochaines années.
Sur le plan thérapeutique, la reconnaissance des bénéfices des serious games sur la prise en charge des patients et/ou leur santé, passe par une validation scientifique des résultats observés, souligne Catherine Rolland. « Pour qu’ils soient prescrits, il faut que l’Afssaps et les autorités de santé les reconnaissent et les convaincre qu’il ne s’agit pas de simples gadgets mais qu’ils peuvent être développés intelligemment », explique-t-elle. Mais le cadre juridique et scientifique qui ouvrira cette voie est loin d’être construit.
Géraldine Langlois