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À l’occasion de la Journée internationale des infirmières, ce 12 mai, Gyslaine Desrosiers, présidente du Sidiief revient sur les conséquences de la crise sanitaire sur la profession, qui a les cartes en main pour négocier de nouvelles compétences.
Au Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone (Sidiief), nous avons des échanges privilégiés avec la Suisse, la Belgique, le Liban et, sans pour autant avoir mené une étude scientifique, nous ne pouvons que constater qu’il y a un avant et un après crise sanitaire. Elle a impacté la profession à plusieurs niveaux.
Tout d’abord, les infirmières ont eu une notoriété très importante pendant la crise, et je pense que l’ensemble de la population a compris l’importance de leur rôle. Il s’agit d’une profession à impact systémique, c’est-à-dire que l’offre de soins est directement impactée par la présence ou non d’infirmières, du cadre légal de leur exercice, etc. Aujourd’hui, malgré la durée exceptionnelle de cette crise, la profession répond toujours présente. Mais le moral des infirmières a été affecté dès le début de la pandémie, en raison notamment du manque de matériels de protection, d’autant plus que leur propre santé a pu être mise en danger. L’Organisation mondiale de santé estime qu’au moins 3 000 infirmiers sont décédés de la Covid. Ce bilan me paraît sous-estimé au regard de 60 pays pris en compte.
Quelle est votre plus grande crainte pour l’avenir ?Étant donné que la pandémie dure et que le corps infirmier est épuisé, nous craignons que les soignantes arrêtent d’exercer. Or, dans certains pays, la profession est déjà pénurique. Nous redoutons une accentuation, qui pourrait prendre différents visages : départs pour des reconversions, retraites anticipées, etc. Au Québec, par exemple, les infirmières ne veulent plus être employées de l’État, en Belgique on observe un déclin des inscriptions dans les écoles de soins infirmiers. Et même si la relève est là, elle ne va arriver sur le terrain que dans trois ou quatre ans. Les gouvernements vont devoir prendre des mesures exceptionnelles pour éviter ces conséquences.
Les étudiants en soins infirmiers subissent également la crise de plein fouet…En effet, c’est un autre impact de la crise avec deux années de formation touchées par la pandémie. Nous sommes préoccupés par les conséquences sur les apprentissages en raison des suspensions d’études, des réajustements, de la réduction de la durée des stages. Dans certains pays, il n’est pas impossible que des heures de stage manquent à la formation mais il a été jugé plus opportun de la valider plutôt que de prendre du retard sur les diplômes. Aujourd’hui, notre souci principal est de nous assurer que les étudiants puissent terminer leurs études de façon convenable.
La profession doit-elle se saisir de cette visibilité pour revendiquer de nouvelles compétences ?Je pense que la pandémie peut amener de nouveaux tremplins et possibilités pour les infirmières. Tout va dépendre de l’habilité politique des organismes nationaux, syndicaux et ordinaux à y prétendre. Mais des avancées sont à prévoir. Au Québec, ces deux dernières décennies, il y a eu une baisse volontaire, de la part des tutelles, de la présence infirmière dans nos Centres d’hébergements et de soins de longue durée – l’équivalent de vos Établissements d’hébergements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) – au profit des aides-soignantes. Mais pendant la crise, en raison notamment de l’absence d’infirmières pour gérer l’éclosion de la Covid, nous avons déploré de nombreux décès dans ces structures. La ministre a alors reconnu qu’ils s’agissaient de lieux de soins, donc qu’il fallait des infirmières. Souvent, en période de crise, les ministres font amende honorable sur tel ou tel problème, mais il faut ensuite le maintenir à l’ordre du jour pour concrétiser les annonces.
Il faut également prêter une attention particulière aux organisations nationales qui sont parfois en pilotage automatique depuis des années sur leurs revendications. Avec la pandémie et la sensibilité qu’elle a apportée à la population et aux gouvernements, elles vont peut-être devoir les recadrer afin de les exprimer d’une nouvelle façon. Le discours doit être ajusté car la population a pris conscience de ces faits nouveaux et peut apporter un soutien à la profession pour les valorisations économiques et/ou professionnelles. D’autant que les gouvernements qui n’apporteront pas de solutions à court, moyen et long terme vont être jugés très sévèrement. Les représentants des infirmiers doivent toutefois ajuster leur discours aux attentes des gouvernements qui recherchent des solutions adaptées aux problématiques actuelles et non plus des revendications chroniques qui ne sont pas nécessairement mobilisatrices.
Propos recueillis par Laure Martin