© Thomas Laborde
Avec la Covid-19, la spécificité des soignants des services de réanimation a été mise en lumière, comme la tension accrue qu’ils subissent depuis mars 2020. Si des mobilisations locales ont eu lieu un peu partout en France, ce mardi 11 mai 2021, l’appel à la grève est national, pour demander plus de reconnaissance des compétences spécifiques requises.
C’est un comble, non, de travailler dans des services de réanimation qui manquent de souffle ? C’est pourtant le quotidien de la plupart des soignants spécialisés partout sur le territoire national. Manque de formation, manque d’effectifs, manque de reconnaissance financière. Une mobilisation nationale ce mardi 11 mai 2021 entend pointer des conditions de formations et d’exercices de plus en plus intenables.
Mais les services sont mobilisés depuis de nombreux mois. Et ce, avant même le début de la crise sanitaire.
Au CHU de Beauvais, dont le service de réanimation compte 17 lits pour une soixantaine de personnels au total, aides-soignantes et infirmières, une première grève a lieu le 15 septembre, une deuxième le 12 octobre. « Après des premiers échanges, la direction nous a répondu que la réa ne rentrait dans aucune case pour la nouvelle bonification indiciaire, commente Claire Cofflard, infirmière en réa à Beauvais. On fait de la dialyse, de l’hémofiltration mais pas que. Donc on ne correspond pas aux cases. La direction a alors dit qu’ils attendraient un décret national. »
C’est à cette période que Claire Cofflard et ses collègues créent un groupe Facebook pour fédérer leurs semblables, infirmières et aides-soignantes. « On avait entendu que des réanimations se mobilisaient un peu partout, se souvient Virginie Lefaux, infirmière en réanimation à Beauvais depuis huit ans. On est tous sur la même ligne ! » Le groupe Facebook Union des Réanimations de France pour une reconnaissance compte aujourd’hui environ 3 500 membres. Près de 130 hôpitaux sont représentés.
Au CHU d’Angers, 18 équivalents temps plein en plus demandésÀ l’image du CHU d’Angers dont le service de réanimation, qui compte 37 lits tous en réa depuis mars 2020, est en grève depuis le 6 mai. Pour répondre aux besoins en temps de crise Covid, les journées sont passées de 7 h 30 à 12 heures. « Pour augmenter la capacité de prise en charge mais sans effectif supplémentaire, glisse une infirmière concernée, en exercice dans le service depuis une quinzaine d’années. Avant, on avait une souplesse. On ne l’a plus du tout. Les compteurs congés explosent, on fait plus de nuits en alternance avec des jours, les temps de transmission, d’habillage/déshabillage ne sont pas pris en compte… On a tous chamboulé nos vies sans que ce soit reconnu. » Des réunions ont lieu avec la direction. Les soignants locaux demandent au total 18 équivalents temps plein en plus, notamment pour des tâches transverses : transports au scanner, gestion du matériel, des pharmacies… « Devant leur mépris, après une AG le 27 avril, on a signé la grève », tranche la soignante. Les grévistes angevins rejoignent le mouvement national du 11 mai : « Ça paraît évident de reconnaître notre spécificité, nos compétences. On veut une reconnaissance financière et celle de la nécessité de formation ! »
Depuis, la direction a proposé sept équivalents temps plein (quatre infirmières, trois aides-soignantes). Le comité de grève juge cette proposition insuffisante pour remplacer l’absentéisme, encadrer les étudiants, accompagner les nouveaux professionnels, assurer les missions transverses, gérer les transmissions… Une AG ce mardi 11 mai permettra d’en discuter.
200 jours de grève à l’hôpital Robert-DebréÀ l’hôpital Robert-Debré, à Paris, la mobilisation est forte depuis plusieurs mois. En 2020, 200 jours de grève ont permis d’atteindre le ratio soignants/patients recommandé, à savoir une AS pour 4 patients, une infirmière pour entre 2 patients lourds et 3 patients légers. C’est un hôpital pédiatrique mais qui a dû accueillir huit lits adultes. « Sur le papier, on a des postes ouverts, mais il faut que les gens viennent travailler chez nous, maintenant, en aient envie, souligne Laetitia Abdallah, infirmière en réa depuis vingt ans à Debré. C’est pour ça qu’on se bat pour la revalorisation, pour fidéliser. C’est un travail intense, particulier, qui requiert une concentration extrême. Ils touchent une prime aux urgences. En réa, on travaille non-stop avec des machines particulières, notre quotidien requiert des connaissances techniques mais on a le même salaire que des infirmières de soins généraux. »
Des formations nécessairesLa formation et la revalorisation salariale des IDE en réanimation font partie des objectifs de la Fédération nationale des infirmiers de réanimation (Fnir), créée il y a un an. La structure regroupe différentes associations professionnelles de toute la France.
« Les soins critiques ne sont plus du tout abordés lors de la formation initiale, rappelle Sabine Valera, présidente depuis la création, alors qu’il faut environ un an pour qu’un infirmier soit autonome en réanimation. Un DU de soins infirmiers en réanimation existe mais il faut plusieurs années d’expérience pour y prétendre et les hôpitaux n’inscrivent que quelques personnes par an, les listes d’attente sont longues. » L’infirmière coordonne, au sein de la Société de réanimation de langue française (SRLF) une formation en e-learning pour accompagner la montée en compétences des infirmières de réanimation. « Ce sont deux modules d’une quarantaine de cours qui couvrent toutes les thématiques des soins critiques. Plus de 3 000 personnes se sont inscrites en trois ans. On trouve assez injuste que tout l’investissement de ces soignants de réanimation, indispensable à leur autonomie au sein des unités, ne soit ni reconnu ni valorisé alors qu’ils donnent parfois de leur temps personnel pour finaliser leurs parcours. Aucune valorisation non plus des compétences techniques indispensables à la prise en charge des patients les plus gravement atteints, alors que dans d’autres domaines, et c’est bien normal, on la retrouve cette reconnaissance. »
Ce mardi 11 mai, des rassemblements ont lieu un peu partout en France, dont un au pied du ministère de la Santé, à Paris, et des rendez-vous sont prévus ce même jour avec les agences régionales de santé.
Thomas Laborde