Offrant à la santé mentale une ouverture citoyenne, une exposition d'« art singulier » rassemble en plusieurs lieux de la ville (dont l'Ifsi) des œuvres issues de l’art-thérapie.
De Florence à l’ancienne cité des Ducs de Bourgogne souffle un vent artistique un peu fou. Quelque 90 tableaux italiens, peints au centre d’activités expressives de l’hôpital psychiatrique de San Salvi, sont présentés à Dijon. La manifestation est organisée par le centre hospitalier de La Chartreuse et par l’association Itinéraires singuliers, qui œuvre régulièrement à la promotion des projets artistiques portés par des personnes en situation d’exclusion ou de handicap.
Sous les nefs ancestrales du cellier de Clairvaux, les toiles de huit artistes italiens de La Tinaia vous entraînent dans leur danse. Légère et colorée, quand les Hommes têtards de Massimo Modisti font écho aux délirantes femmes cosmiques de Giovanni Galli. Sur un rythme raffiné, via les figures géométriques stylisées de Claudio Ulivieri. Ou dans une danse macabre, à l’image du Cri de Giordano Gelli.
« Certains deviennent bavards »
Alain Vasseur, directeur de la Biennale d'art singulier, a commencé par travailler en pavillon fermé, après ses études d’infirmier. « À ces patients qui ne sortaient jamais, j’ai proposé des activités artistiques. Pour certains, l’atelier apporte du lien social, une dynamique de groupe. D’autres, verbalement peu expressifs, deviennent bavards via leurs créations. Enfin, certains vont jusqu’à développer leur propre style. »
Parce qu’il s’aperçoit que des activités exercées hors du cadre hospitalier sont favorables à l’épanouissement et à la stabilisation de certains malades, Alain Vasseur (à gauche) contribue dès 1986 à l’ouverture, dans un quartier, d’un centre d’accueil de jour, entièrement basé sur la dynamique de processus d’expression. Cette structure est devenue le Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel Bachelard, en 1987. « Aujourd’hui, nous y accueillons quelque 250 patients, dans trois pôles distincts, dont l’un est toujours consacré aux médiations plastiques. Comme l’hôpital de La Chartreuse a progressivement formé du personnel, les activités sont encadrées par une équipe pluridisciplinaire, dont six infirmiers permanents. »
Étudiants sensibilisés
Des œuvres issues du CATTP Bachelard, formant la collection Intim’errance, sont également exposées dans divers endroits de la ville. Avec l’accord de la directrice, Michèle Bernier, elles peuplent, entre autres, le hall d’entrée et le foyer de l’institut de formation en soins infirmiers du CHU. Un esprit d’ouverture également prôné par le cadre formateur Gilles Aigueperse : « Cette action, parmi d’autres, permet aux étudiants d’envisager le malade mental dans sa globalité. »
Une opinion partagée par trois étudiants, Youssef, Paul et Guillaume (ci-contre) : « Cette exposition nous apprend des choses sur nous-mêmes et sur les patients. On arrive un peu à partager de leur intimité. Cela nous donne envie de pousser l’investigation, de les rencontrer. De plus, les médias ont tendance à ne parler que de leur violence potentielle. Là, on les reconnaît en tant qu’êtres humains, pas juste bons à être enfermés. Ils ont des choses à faire partager au monde. »
« Notre propre part d'étrangeté »
« Cette transmission artistique à autrui rend le malade mental vivant à nouveau, conclut Alain Vasseur. Le travail du soignant est d’aider à le mettre en situation d’expression, en lui procurant une sécurité affective, dans des limites contenantes. Via la création, le malade retrouve des gestes enfouis, sa part d’enfant sauvage, sans passer par le tribunal du goût. Peu à peu, il se reconstruit en étant reconnu. »
Enfin leurs œuvres nous interpellent, « parce qu’elles font écho à notre propre fragilité, à notre propre part d’étrangeté. C’est un dire autrement que l’on découvre. Parfois, c’est aussi une souffrance qu’il nous est donné d’entendre… »
Chantal Béraud
(Texte et photos)
En haut à gauche: une œuvre de Claudio Ulivieri, qui fait partie des huit artistes italiens exposés au cellier de Clairvaux. À droite, une peinture d'Yvette Lallemand, qui fait partie de la collection dijonnaise Intim’errance. Perçue durant quarante ans à l’hôpital comme étant d’une pauvreté expressive totale, ce n’est qu’une fois placée en appartement thérapeutique qu’elle a fréquenté le CATTP Bachelard, où l’art l'a révélée à elle-même et aux autres.
La Biennale d'art singulier en pratique
Jusqu’au 11 avril, programme détaillé des animations (circuit guidé, atelier d’art plastique, visite décalée avec des comédiennes…) sur www.itinerairessinguliers.com. Inscription possible à des journées d’étude. Tél.: 03 80 41 37 84.