Maladie d’Alzheimer : des troubles décelables 10 ans avant le diagnostic

Initiée en 1986, cette étude est la plus ancienne de ce type dans le monde . Elle a été menée sur une population de 3.770 personnes de plus de 65 ans, vivant en Gironde et en Dordogne, et suivies à domicile tous les 1 à 3 ans depuis 1989. Plusieurs variables ont été étudiées via différents tests : test simple des fonctions intellectuelles globales, test de mémorisation visuelle explorant la mémoire de travail, évocation de mots sur commande, etc., permettant de mesurer les capacités conceptuelles, les plaintes cognitives (notamment pour la perte de mémoire), les symptômes dépressifs exprimés, et les difficultés dans la réalisation d’activités non routinières.

Les résultats sont éloquents. D’une part, ils montrent que certaines fonctions cognitives commencent à décliner significativement dix à treize ans avant le diagnostic de la maladie d’Alzheimer. En comparant l'évolution des fonctions intellectuelles de ceux qui ont été atteints par la maladie d’Alzheimer et les autres, les chercheurs ont constaté que leurs résultats commençaient à diverger déjà neuf ans avant que la maladie ne se manifeste. D’autre part, souligne le professeur Dartigues, « ils ont mis en évidence un séquençage dans l’apparition des troubles que l’on ne soupçonnait pas ». La première touchée est la mémoire sémantique - celle des connaissances et des faits – et non comme on pouvait le penser celle des épisodes de la vie. Les plaintes sur la mémoire et les sentiments dépressifs sont exprimés huit à dix ans avant le diagnostic et les difficultés à réaliser des tâches un peu complexes (téléphoner, utiliser les transports, gérer son traitement…) quelque six ans avant le diagnostic.


Signes avant-coureurs
« Tous ces signes avant-coureurs apparaissent beaucoup plus précocement que ce que l’on pensait auparavant, note le professeur Dartigues, et suggèrent qu’un diagnostic précoce serait possible jusqu’à plus de dix ans avant le début du stade de démence. » Certes, il n’y a aujourd’hui pas de traitement capable de bloquer ni de ralentir significativement l’évolution de la maladie, même si des innovations sont en développement. Mais les conclusions de l’étude ouvrent de nouvelles pistes, en matière de recherche thérapeutique comme en termes de prévention.

Jusqu'à présent, tous les traitements immuno-thérapeutiques étaient prescrits à des patients déjà atteints de démence, avec un effet certes positif mais très limité. Leurs lésions étaient peut-être trop importantes, suggère M. Dartigues. « Or, grâce à un diagnostic plus précoce, on pourrait envisager de proposer ces traitements à des personnes moins atteintes avec l’espoir de préserver leurs capacités plus longtemps », relève-t-il. A condition cependant « de découvrir des vaccins aux effets secondaires moins agressifs que ceux existant aujourd’hui ».

Prévention
Par ailleurs, explique le chercheur, « les conclusions de l’étude soulignent l’importance de miser sur la prévention des risques », car si l’on ne sait toujours pas agir directement sur les lésions cérébrales, on peut agir en matière de prévention de certaines pathologies - type pathologies vasculaires - afin de limiter le vieillissement cérébral. Et pour cela, il faut notamment veiller à « contrôler les facteurs de risque cardio-vasculaire (arrêter le tabac, même tardivement !), pratiquer une activité physique minimum, respecter un bon équilibre alimentaire, avoir, selon ses goûts, des activités stimulantes et cultiver son équilibre affectif », souligne M. Dartigues.

Emmanuelle Debelleix