Si la lutte contre les mutilations sexuelles a connu de notables progrès ces dix dernières années en France, les professionnels de santé sont encore insuffisamment formés à leur repérage, à la communication autour de ces blessures intimes et à l’accompagnement des victimes. Des lacunes que pourrait contribuer à combler le prochain Plan de lutte contre les violences faites aux femmes 2011-2013.
« En ce moment avec les événements d’Egypte, ce qui m’impressionne le plus, c’est que personne n’a dit qu’en Egypte, elles sont plus de 98% à être mutilées, excisées, voire infibulées. Comme si ce vent de liberté n’atteignait pas les femmes, comme si 130 millions de femmes mutilées dans le monde et la moitié du peuple égyptien, ne valaient pas une révolution… »
C’est par ces mots graves qu’Emmanuelle Piet, médecin de Protection maternelle et infantile (PMI) à Bondy, en Seine-Saint-Denis, a démarré son intervention sur les mutilations sexuelles féminines, en clôture des 9e Journées du Collège national des sages-femmes, mardi 8 février à Issy-les-Moulineaux. Par ailleurs présidente du Collectif féministe contre le viol, elle a rapidement retracé les débuts de la lutte contre les mutilations sexuelles féminines en France, qu’elle a datés de la fin des années 1970. C’est à cette époque que les services de PMI ont commencé à voir arriver les filles mutilées de travailleurs maliens ou sénégalais, qui avaient réussi à faire venir leurs familles. « Elles étaient mutilées bébé », se souvient Emmanuelle Piet, car les parents pensaient qu’ils auraient ainsi « moins d’ennuis » et la croyance existait qu’un nourrisson souffre moins qu’une enfant plus âgée. En 1978, une première filette, Bobo Traoré, est morte à deux ou trois mois, « vidée intégralement de son sang », les parents ayant attendu le dernier moment pour solliciter des soins, raconte-t-elle.
Chirurgie réparatrice
Si la lutte contre les mutilations sexuelles féminines, démarrée il y a 35 ans en France, a connu de notables victoires ces dix dernières années, beaucoup reste à faire. On estime entre 45.000 et 60.000 le nombre de femmes mutilées aujourd’hui sur le territoire français (1), auxquelles il faut ajouter « toutes celles à risque », note le Dr Piet. Contrairement aux idées reçues, les mutilations ne se pratiquent pas uniquement dans les pays d’origine : une enquête de l'Institut national d'études démographiques menée dans cinq régions de France (Ile-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Haute-Normandie, Pays de Loire et Nord-Pas-de-Calais), a montré que dans les années 1980, la moitié des bébés de sexe féminin mutilés l’avaient été en France. La proportion était encore de 40% dans les années 1990.
Pour Emmanuelle Piet, les progrès de la décennie doivent beaucoup à l’essor de la chirurgie réparatrice, initiée par le chirurgien urologue Pierre Foldès, spécialisé dans la reconstitution de clitoris mutilés. Cela influe en effet directement sur le comportement des professionnels de santé, observe Emmanuelle Piet, tant, « dans la pensée du soignant, il est tout à fait déterminant », à l’heure d’aborder la mutilation avec une victime, « d’avoir quelque chose à proposer ». Les « consultations de réparation de la vulve », dont le Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines fournit la liste, sont une réponse possible.
« On déscolarise les petites filles à la fin du CM2 »
En 2005, s’indigne-t-elle pour illustrer le tabou persistant autour des mutilations sexuelles, une étude menée dans les maternités publiques de Seine-Saint-Denis, auprès de 3.800 femmes originaires de pays où l’on mutile a montré qu’aucune action n’était alors mise en œuvre à destination de ces femmes. « On ne leur parlait pas, on ne leur disait même pas qu’on avait vu, on ne faisait pas de prévention sur le bébé», énumère-t-elle, invitant les sages-femmes et tous les professionnels de santé à la plus grande vigilance, aujourd’hui encore. Et de pointer un dramatique processus à l’œuvre « en ce moment » : « On déscolarise les petites filles à la fin du CM2, on les renvoie au pays, on les mutile, on les marie de force et on les ramène accoucher avant 16 ans en France. » D’où une recommandation qui n’a pas mis tout le monde à l’aise dans l’assistance : « Quand vous voyez une jeune fille de 16 ans mutilée accoucher en France, il faut faire un signalement », a insisté Mme Piet, faisant valoir que la majorité en France étant fixée à 18 ans, « on est mineur jusqu’à 18 ans » et on doit être considéré et protégé comme tel, même si l’on devient parent.
A l’occasion de la Journée mondiale pour l’élimination des mutilations sexuelles féminines, le 5 février, l’association Gynécologie sans frontières et le Collège national des gynécologues et obstétriciens français ont rappelé que 2 à 3 millions de fillettes et de jeunes femmes subissent des mutilations génitales chaque année dans le monde et que la France a été « le pays qui a condamné et pénalisé le plus fortement cette pratique avec près de 40 condamnations en vingt ans ».
Créer un qualificatif juridique spécifique
La ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale Roselyne Bachelot a de son côté promis que serait intégré au Plan de lutte contre les violences faites aux femmes 2011-2013, dont le contenu doit être dévoilé fin février, un volet consacré aux mutilations sexuelles féminines, décliné en trois grandes orientations : sensibiliser davantage le grand public et les professionnels, faire évoluer la législation, et former les professionnels afin de prévenir, dépister et prendre en charge. Si le Code pénal permet en l’état actuel de réprimer les violences physiques avec mutilation, il ne distingue en revanche pas les différents types de mutilation. D’où le souhait exprimé par la ministre de voir se créer « un qualificatif juridique spécifique pour les faits de mutilation sexuelle ». Elle a par ailleurs annoncé la parution d’ici au 30 juin d’un rapport dressant un état des lieux « récent et exhaustif » des mutilations sexuelles féminines en France.
Texte: Cécile Almendros
Photo: AFP