Les oreilles jouent à cache-cache dans les canalisations, Robin des Bois couche avec son dealer… plongée express dans le monde déjanté d'une infirmière de série télé fraîchement débarquée en France.
Avant de voir Nurse Jackie sur Canal +, jeudi dernier, je butais sur deux mystères existentiels : Dieu existe-t-il, et pourquoi le prix du pain augmente quand celui de la farine diminue ? Maintenant, il y en a un troisième : comment une infirmière, malhonnête, adultère, droguée, menteuse… (et qui n’est même pas une bimbo 80-60-90, mais une vraie femme) peut nous arracher autant d’indulgence ? La bougresse n’a pas que des défauts, bien sûr ; mère aimante, maîtresse fidèle, épouse attentionnée, elle survole les urgences avec un caractère de cochon, certes, mais c’est une pointure dans son domaine et ses grands yeux de cocker déprimé sont vraiment craquants…
Sainte laïque, plus proche de Marie-Madeleine que de mère Teresa, elle va cependant plus à la fesse qu’à la messe et sa religion la porte moins à la récitation du chapelet qu’aux paradis artificiels ; son amant (qui n’est pas le Dr House, mais le pharmacien de la boutique) zappe les fleurs, mais la couvre de médocs qu’elle sniffe allègrement pour soulager ses lombalgies. Entre nous, elles ont bon dos, les lombalgies… Mais elles ont quand même le mérite d’éclipser un monde qui ressemble à un asile de fous. Un monde où l’on met aux chiottes les oreilles d’un salopard mutilé par sa victime, où des bonnes sœurs défilent devant un comique qui cautérise ses hémorroïdes à la bougie, où une étudiante boulet ramène les oreilles comme un toutou rapporte une baballe…
Et sœur Jackie regarde tout ça avec ses yeux de cocker ; elle pardonne au type qui l’a frappée sur la joue droite, elle caresse la joue gauche d’une femme dont le môme est au bloc, elle falsifie une carte de donneur d’organes pour sortir du cambouis les gens en attente de greffe, et elle pique l’argent du salopard pour le donner à une femme (enceinte) démunie. Robin des Bois, quoi… Entre la poire et le fromage, elle prend aussi le temps de pratiquer la méthode de Heimlich sur une mamie en train de gasper, avec le même enthousiasme que nous mettrions à nous moucher ou faire la vaisselle… Toute-puissante, d’accord, mais un peu en burn-out, la fille. C’est pour ça qu’on l’apprécie, sans doute : on peut être complètement déjantée et totalement humaine. Ça rassure, quelque part…
Pas de paperasse…
Finalement, je ne résoudrai jamais le mystère du prix du pain, mais pour nurse Jackie, j’ai peut-être une piste. En fait, notre amie torpille le discours officiel, l’accréditation, les démarche-qualité… toutes ces conneries à mi-chemin de l’écran de fumée et de la sodomisation des mouches, et qui laissent le patient en rase campagne. Notre infirmière aime les gens, elle, et n’en a rien à carrer des protocoles administratifs ; d’ailleurs, on ne la voit jamais toucher un papier ou un écran d’ordi. Elle en a de la chance… Bref, pas très crédible tout ça, un peu démago, même ! Mais nurse Jackie aime beaucoup, et il lui est donc beaucoup pardonné. Un peu de tendresse dans un monde de bureaucrates, ça fait du bien. Autant de bien que d’envoyer aux chiottes le politiquement correct ; vivement jeudi prochain, qu’on tire encore la chasse d’eau…
Didier Morisot, infirmier
Pratique. Nurse Jackie, série américaine en deux saisons, avec Edie Falco dans le rôle-titre. À 22h10 sur Canal + (deux épisodes par soirée).