Le montant de la cotisation annuelle à l’ordre infirmier, obligatoire pour exercer légalement, est fixé à 75 euros. Le conseil national de l’ordre infirmier en a décidé ainsi par un vote en séance du 3 avril après avoir consulté les présidents des conseils départementaux et régionaux le mercredi 1er avril. Alors que les esprits s’attendaient davantage à une cotisation autour de 30 euros, des voix critiques, voire en colère, s’élèvent (1). La présidente de l’ordre, Dominique Le Bœuf, justifie cette décision ainsi que le budget dont l’ordre des infirmiers sera bientôt doté.
Pourquoi ne pas avoir transmis aux départements et aux régions les éléments d’information bien en amont, ce qui aurait évité l’effet de surprise, voire le sentiment d’une trahison ?
Il y en a toujours qui se laissent surprendre, à commencer par ceux qui ont promis une cotisation à 30 euros. Mais tous ceux qui ont déjà des affaires en instance ont compris. Nous sommes confrontés au principe de réalité. J’ai fait le choix de réunir les présidents départementaux et régionaux avant le vote du conseil national pour les informer et les consulter parce que ça me semblait important.
Mercredi 1er avril, les présidents départementaux et régionaux qui étaient venus avec 30 euros en tête, ont accepté pour certains de revoir leur position compte tenu des nouvelles informations communiquées entre temps. A la fin de la journée, le sentiment de l’assemblée se situait plutôt autour d’une cinquantaine d’euros. Le conseil national a-t-il tenu compte de cette consultation ?
Bien sûr puisque nous avons revu le budget à la baisse : de plus de 80 euros de cotisation, nous sommes descendus à 75 euros. Mais la loi prévoit que seul le conseil national vote. Or je vous rappelle que le conseil national a été élu, c’est donc en toute démocratie que la décision s’est prise.
75 euros multipliés par 470.000 IDE, ça fait environ 35 millions d’euros de budget annuel. Qu’est-ce qui va coûter si cher dans le fonctionnement de l’ordre ?
Il y a énormément de dépenses que les gens ne mesurent pas. Je vous donne un exemple : en cas de suspension d’exercice pour état pathologique en urgence, l’ordre est obligé de réunir une commission restreinte pour statuer dans l’intérêt de l’infirmier comme dans celui des patients. Pour pouvoir statuer, il faut convoquer trois médecins experts. Or un médecin expert prend entre 500 et 1.000 euros. J’ai déjà quatre dossiers de ce type en régions. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Pouvez-vous nous expliquer ce qui a présidé au choix de la répartition des quote-parts nationale (50%), départementale (40%) et régionale (10%) ?
On n’a rien choisi, on s’est aligné sur ce que font à peu près tous les ordres. Les 50% du national vont servir à équiper tous les départements et régions en informatique et en bureautique, à instaurer un pôle juridique qui servira aux départements, à installer un service de communication à l’usage de l’ordre dans son ensemble. Les 40% des départements se justifient car ce sont eux qui vont enregistrer tous les infirmiers. Personne ne réalise aujourd’hui le travail que ça représente.
Pensez-vous que cette répartition permettra aux petits départements, pauvres en infirmières, de fonctionner ?
Tout à fait. En revanche, une cotisation à 30 euros ne leur aurait jamais permis de fonctionner. Et d’ailleurs je me demande dans quelle mesure il ne va pas falloir aider en particulier les infirmières des tout petits départements, eu égard à la pénurie.
Où sera situé le siège de l’ordre ?
A Paris, c’est sûr, mais je ne sais pas encore où. Je cherche un endroit, le moins cher possible.
Vous savez déjà qu’il faudra 800 mètres carrés ?
Oui, c’est ce qu’il faut, sachant que ces locaux seront mutualisés entre trois assemblées : le conseil national, le conseil régional d’Île-de-France et le conseil départemental de Paris. Ceux qui sont contre oublient que dans ces locaux, il faut des toilettes, des accès pour personnes handicapées, un accueil, etc.
De combien de salariés l’ordre disposera-t-il ?
La fourchette se situe entre 30 et 34 personnes en tout. Ca peut sembler beaucoup, mais pour s’occuper de l’exercice d’un demi-million d’infirmières, gérer l’informatique, la communication, etc., c’est raisonnable. A titre de comparaison, les pédicures podologues qui sont 12.000, ont trois juristes. Nous en aurons quatre.
Donc vous n’estimez pas avoir «vu trop grand», comme certains commencent à vous le reprocher ?
Si on ne se donne pas les moyens, on ne fait rien. Si tout le monde trouve que c’est trop cher, j’ai une solution : on abroge l’ordre. Et d’ailleurs, trop cher par rapport à quoi ? 75 euros par an, c’est 6,25 euros par mois ! Les autres ordres infirmiers en Europe sont tous à plus de 80 euros de cotisation annuelle. Il y a 500.000 infirmières en France, vous imaginez les courriers à envoyer ! Si on ne sert que d’annexe à la Ddass comme chambre d’enregistrement, ce n’est pas la peine de faire un ordre. Croyez-moi, je ne suis pas irresponsable, ce budget est rationnel.
Quand pensez-vous être en mesure de lancer l’appel à cotisation ?
Le plus vite possible. Cela va dépendre du rythme auquel on va monter le système informatique.
Ne redoutez-vous pas l’hostilité des syndicats ? Force ouvrière dénonce « un impôt » qui « va amputer encore un peu plus le pouvoir d’achat des infirmières », la CFDT parle carrément de « racket » et de « provocation injuste et scandaleuse »…
Racket, ce mot est très fort, on n’est pas loin de la diffamation. Mais au-delà des mots, les syndicats sont dans leur rôle, il n’y a rien de nouveau. Ils étaient hostiles à l’ordre dès le début, cela fait des semaines qu’ils préparent le terrain. Dans tous les hôpitaux, les infirmières étaient préparées à une cotisation à 30 euros par les syndicats. Mais on ne va pas se priver d’assurer l’autonomie de l’ordre rien que parce que les syndicats ne sont pas contents. En revanche cette cotisation nous oblige. Il va falloir qu’on soit capable de produire des résultats d’ici la fin de l’année. Les gens veulent payer pour voir et c’est normal. C’est un terrible challenge.
Propos recueillis par Cécile Almendros
(1) Mercredi, alors que nous avions déjà réalisé l’interview de Mme Le Bœuf, la directrice des soins et de l’hospitalisation, Annie Podeur, lui a adressé un courrier pour réclamer une baisse du montant de la cotisation. C’est pourquoi, exceptionnellement, vous trouvez deux actualités en une.
Ordre infirmier : La Dhos réclame une baisse de la cotisation ; la présidente de l’ordre «prend acte», mais exclut un nouveau vote
La directrice de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, Annie Podeur, demande au conseil national de l’ordre infirmier de revoir à la baisse le montant de la cotisation ordinale annuelle fixé à 75 euros. Selon l’Agence de presse médicale (APM), Mme Podeur a adressé mercredi un courrier en ce sens à la présidente de l’ordre infirmier, Dominique Le Bœuf.
Dans ce courrier, cité par l’APM, Annie Podeur rappelle que la ministre de la Santé avait exprimé sa « préférence pour un montant modique de l’ordre de 30 euros, respectant les capacités financières des infirmières», lors de son premier entretien avec la présidente de l’ordre nouvellement élue, le 13 février.
Observant que les ressources escomptées de l’ordre s’élèveront en l’état actuel de la cotisation «à environ 38 millions d’euros» par an, la directrice de l’hospitalisation demande par ailleurs à Mme Le Bœuf de lui adresser «dans les meilleurs délais» ses «analyses» et son «programme d’actions justifiant d’un tel besoin de financement, en veillant à apporter des éléments de comparaison avec d’autres structures ordinales».
Contactée jeudi soir par www.espaceinfirmier.com, Dominique Le Bœuf affirme ne pas avoir reçu le courrier de Mme Podeur et qualifie la situation d’ «ubuesque». «J’ai vu Mme Podeur lundi, on a discuté tranquillement, elle m’a dit que 75 euros c’était un peu élevé pour elle», rapporte la présidente de l’ordre qui ne s’attendait pas à un tel affront. Interrogée sur ses intentions, Mme Le Bœuf répond qu’elle ne fera «rien» face à ce que certains élus ordinaux qualifient déjà d’ «ingérence» dans les affaires d’un ordre professionnel indépendant.
Organiser un nouveau vote ? «Sûrement pas !», s’émeut la présidente. «D’abord, la prochaine réunion du conseil national a lieu en mai. Et puis ça voudrait dire que je désavouerais aujourd’hui, sous l’influence d’une directrice de l’hospitalisation et de l’organisation des soins qui n’est en aucun cas mon supérieur hiérarchique, tout mon conseil qui vient de voter ?» La présidente de l’ordre infirmier s’apprête donc à «prendre acte» des remarques et demandes exprimées dans le courrier de la Dhos et à rappeler que la décision du montant de la cotisation a fait l’objet d’un vote de la part d’un conseil lui-même élu. Elle ne cache cependant pas sa stupéfaction que l’administration ait «osé» prendre une telle initiative. «Il n’y a qu’aux infirmières qu’on demande des comptes comme ça», constate-t-elle.
Interrogée sur l’éventualité de pouvoir déduire des impôts le montant de la cotisation ordinale, Dominique Le Bœuf a indiqué que des contacts étaient pris avec les autres ordres professionnels pour adresser une demande coordonnée en ce sens aux autorités compétentes. «Il faut qu’on fasse de manière concertée, tous ensemble», a-t-elle dit. Quant à l’opportunité de mensualiser le prélèvement ordinal, «on va proposer tous les schémas», a-t-elle déclaré, y compris le prélèvement mensuel à «6,25 euros par mois».
Cécile Almendros