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Le 6 juillet, la commission d’enquête sénatoriale sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française a présenté les conclusions de son rapport. Elle livre un diagnostic alarmant de la situation, en analyse les causes, et émet des solutions.
« Très critique ». C’est ainsi que Laurence Cohen qualifie le document produit par la commission d’enquête sénatoriale sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française. La sénatrice du Val-de-Marne (groupe Communiste républicain citoyen et écologiste), rapporteure, le présentait le 6 juillet aux côtés de la présidente, Sonia de La Provôté, sénatrice du Calvados (groupe Union centriste).
Ce texte de 400 pages, fruit d’un travail de 5 mois au cours desquels « 54 auditions » ont été menées, « 129 personnalités entendues », fait d’abord état de la situation. En 2022, relaie la présidente, les tensions d’approvisionnement et les ruptures de stocks ont atteint « un niveau inédit », avec « plus de 3 700 déclarations » en ce sens, contre « 700, à l’été 2018 ».
Un éventail de causesLa commission a étudié les causes « conjoncturelles et structurelles » de telles difficultés, explique Sonia de La Provôté. Il y a, entre autres, le déclin de la production française : ainsi, aujourd’hui, du fait de la politique de délocalisation de ces 40 dernières années, explique-t-elle, « la part des médicaments produits sur le territoire ne dépasse pas un tiers de notre consommation » et « de premier producteur européen, la France est tombée à la 5e place ».
Il y a aussi la vulnérabilité des chaînes de valeur du médicament, qui s’inscrivent dans un contexte de production en flux tendu et de financiarisation, poursuit la présidente. La concentration de la production de principes actifs autour de quelques fournisseurs asiatiques complique par exemple la substitution en cas de rupture. Et le recours croissant à la sous-traitance à l’étranger augmente les risques de rupture d’approvisionnement.
Le rapport pointe également une stratégie commerciale et financière portée vers les médicaments innovants et onéreux au détriment de médicaments matures. La sénatrice normande souligne que l’« éviction » de ces derniers est en marche : « 70 % des médicaments touchés par les pénuries ou les tensions sont des médicaments anciens, dont la rentabilité a diminué au fil des ans. » Et que « les industriels français envisagent, dans les prochains mois et années d’abandonner la production de près de 700 médicaments, incluant des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur ».
36 recommandationsParmi les recommandations du rapport, que décline Laurence Cohen, certaines visent à « lutter en urgence contre les pénuries quand elles adviennent ». Il s’agirait de 1) mieux anticiper et prévenir en contrôlant par exemple « la crédibilité des anticipations des industriels », en rendant effectif le contrôle des obligations des industriels…2) rétablir la confiance entre les maillons, en assurant par la fluidité des échanges avec la généralisation de la plateforme DP-Ruptures, etc. 3) permettre de vite restaurer la disponibilité des médicaments en cas de pénurie via un redéploiement des stocks européens facilité par « l’harmonisation des règles de conditionnement comme d’étiquetage ».
Ou encore via le renforcement des « capacités d’intervention publique », ce qui suppose d’arrêter «le démantèlement des capacités de production de l’établissement pharmaceutique de l’AP-HP : l’Ageps».
D’autres recommandations s’attaquent au structurel, poursuit la rapporteure. Parmi elles, la commission propose de faire du prix négocié « un outil de sécurisation de l’approvisionnement » ; de mieux responsabiliser les hôpitaux en plaçant « le critère de la sécurisation » au cœur des pratiques d’achats ; d’établir une stratégie claire et transparente de relocalisation ; de conditionner les incitations fiscales – telles le crédit d’impôt recherche – à un critère d’ « approvisionnement du marché français », notamment. Le rapport se penche enfin sur le pilotage de la politique du médicament en Europe et en France. Ainsi, en France, compte tenu du manque de coordination entre les agences et les directions centrales, de l’absence de « pilote dans l’avion », les sénateurs avisent de créer un secrétariat général au médicament, placé sous l’autorité de Matignon. En cas de graves pénuries, il pourrait mobiliser une « force publique d’action rapide ».