Pour une clinique de l’incertitude | Espace Infirmier
 
Pour une clinique de l’incertitude

25/03/2011

Pour une clinique de l’incertitude

Trois sociétés savantes se sont réunies pour la première fois à Paris afin de proposer une réflexion sur la question de l’incertitude dans le soin, notamment dans le cas d’une maladie chronique, dégénérative et possiblement mortelle.

« A chaque fois qu'on entre dans la chambre d'un patient, on va être re-questionné par cette notion d'incertitude », lance Pascale Thibault en cette fin mars, lors d’une intervention intitulée "L’incertitude au cœur du soin" (1). Cette cadre supérieure de santé, devenue formatrice consultante, se consacre à l’examen des sources d’incertitude pour les patients, leur entourage et les soignants. Elle s’efforce, comme certains de ses collègues médecins, psychologues, infirmiers, aidants ou autres penseurs, à définir une « clinique de l’incertitude ». Or, sollicités de manière récurrente pour apporter des réponses et renvoyés à leurs propres interrogations, les soignants doutent parfois de ce qu’ils doivent faire, dans des situations cliniques de plus en plus complexes. 

Sujet peu, voire pas traité dans la littérature infirmière, le vocable "incertitude" n’est pas indexé dans les sommaires des ouvrages. Surprenant pour une notion pourtant inhérente à la médecine et que partagent patients et soignants… « Il me semble indispensable de l’aborder dès la formation initiale, souligne Pascale Thibault. Notre travail consiste à établir un bon équilibre entre l’exigence scientifique et le savoir faire face à la situation singulière de la personne soignée. Et pour cela, se questionner très tôt sur ses pratiques est utile. Parce qu'on n'est jamais certain de ce que veut l'autre, de sa durée de vie, de son adhésion au projet de soins... »

Sentiment d'inutilité
Si l’infirmière veut assumer son rôle propre en première ligne, avance Pascale Thibault, « il faut qu'elle apprenne à faire face à l'incertitude et qu'elle ne s’abrite pas seulement derrière des certitudes en appliquant les prescriptions médicales. »

Face à une question aussi délicate que « Docteur, c'est grave, est-ce que je vais mourir ? », « j’évite le "Je ne sais pas" purement défensif », témoigne pour sa part Carole Bouleuc, oncologue médicale attachée à l’unité mobile d'accompagnement de l’Institut Curie. En de telles circonstances, le sentiment d’inutilité éprouvé par le soignant peut le conduire à répondre avec une certaine précipitation et donc maladroitement, note-t-elle. Carole Bouleuc cite les deux hémisphères du cerveau auxquels on recourt successivement pour gérer cette situation angoissante: le cerveau droit pour comprendre le dossier du patient, un travail qui peut être réalisé en amont de la rencontre avec celui-ci. Le gauche pour se concentrer sur la qualité de la relation thérapeutique et sur la demande d’information du patient : « Je crois qu’il est important de ne pas répondre seulement quand nous avons des certitudes, mais toujours de s'adapter à ce que veut ou ce que peut entendre le patient. Pour lui permettre toujours de placer son espoir où il le souhaite. »

A cet égard, les dispositifs d'annonce en cancérologie et l'anticipation palliative, s’ils ont le mérite d’exister, demandent sans cesse à être réévalués. Car aucun dispositif ne peut "cadrer" le choc engendré par une annonce terrible. Ni anticiper la réaction du malade. « On a une certitude, conclut Carole Bouleuc, celle de rencontrer la souffrance psychologique du patient. Sauf que l'on ne sait pas de quelle façon elle va s'exprimer, ni si l'on va trouver la bonne attitude pour pouvoir l'aider le mieux possible. »

Isabelle Guardiola

1 - Dans le cadre d’une journée de réflexion organisée le 24 mars à Paris par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, la Société française d’étude et de traitement de la douleur et de l’Association francophone pour les soins oncologiques de support.

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