Premier forum emploi et santé mentale en Normandie 

« Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, un européen sur 5, voire un sur 4, est touché par des troubles psychiques au cours de sa vie », a rappelé en ouverture du forum le professeur Olivier Guillin, du centre support Normandie Réhab, résultat d’un partenariat entre le Centre Hospitalier Le Rouvray et le Centre Hospitalier Universitaire de Caen. En France, on estime que 15 % des 10-20 ans ont besoin de suivi ou de soin et que 7,5 % des Français âgés de 15 à 85 ans ont souffert de dépression au cours des 12 derniers mois. Nul doute que le sujet concerne tout le monde et pourtant il reste encore tabou. Les projets territoriaux de santé mentale (PTSM) instaurés par la loi de modernisation du système de santé de 2016 se développent sur le territoire et rien qu’en Normandie on en compte sept, qui associent 140 structures pour un budget total de 25 millions d’euros.

« Pendant une période de trouble psychique plus ou moins sévère et temporaire qu’une personne peut connaître dans sa vie, elle est mise à l’écart du monde du travail un temps donné et cette situation pose aussi un problème aux entreprises », a précisé Jean-Christophe Leroy, directeur général de Positiveminders, association qui œuvre à la mise en place de soins précoces et inclusifs pour toutes les maladies psychiques. La santé mentale au travail est un défi collectif. « C’est une question de santé publique car nous vivons tous avec une santé mentale fluctuante et cela a un impact, a souligné Claire Le Roy Hatala, docteur en sociologie des organisations et spécialiste du conseil et de la formation sur le handicap, la santé mentale et l'emploi. C’est la première cause d’arrêt maladie de longue durée et la deuxième cause d’arrêt maladie de courte durée. On ne peut traiter le sujet en mettant les personnes dans des cases, il faut avoir des réponses adaptées afin de rester en bonne santé mentale. Être au travail c’est aussi être dans un processus de rétablissement. Il faut tous s’atteler à la stigmatisation et l’auto-stigmatisation, à ces représentations afin de les déconstruire car elles sont une barrière pour avancer. » En effet, les personnes sont souvent perçues comme moins compétentes, moins polyvalentes, plus fragiles ou pouvant être violentes. « Toutes les actions en entreprise doivent être construites avec les personnes concernées, a indiqué Emma Soula, infirmière depuis 2012 et en poste au Centre Hospitalier du Rouvray. Il est important de mettre en avant la richesse professionnelle qui résulte d’une multitude de regards et de compétences. Les changements de pratiques font peur mais les pratiques de réhabilitation psychosociale au profit d’un projet essaiment et se développent pour de bonnes raisons. Elles ont fait leurs preuves. »  

De nombreux professionnels sont venus témoigner tout au long de la journée de dispositifs innovants mis en place pour faciliter l’intégration en entreprise et la pérennisation dans leur poste des personnes atteintes de troubles psychiques. On peut citer l’exemple du CHU de Montpellier. En 2005, l’établissement a créé un service d’insertion professionnelle basé sur le placement en milieu ordinaire ou en milieu protégé alors géré par une équipe de soignants. « C’était un modèle très hospitalo-centré qui s’appuyait sur l’entrainement et l’évaluation des capacités de travail des personnes, témoigne Delphine Benibgui, à l’époque IDE en psychiatrie. Mais très vite nous avons constaté que cela ne correspondait plus à leur demande. Les nombreux bilans nécessitaient beaucoup de temps et les personnes souhaitaient entrer dans l’emploi rapidement. » En 2021, une plateforme de réhabilitation professionnelle a vu le jour sous l’impulsion du pôle de psychiatrie et de Nicolas Rainteau, psychiatre et responsable du Centre de Rétablissement et de Réhabilitation (C2R) Jean Minvielle, centre référent de la Région Occitanie. Elle s’appuie sur la méthode IPS (Individual Placement and Support) qui soutient le processus de rétablissement personnel et qui a montré son efficacité sur le retour à l’emploi. « Je suis alors devenue job coach professionnel en me formant, précise Delphine Benibgui. Notre équipe pluridisciplinaire s’est développée. Nous sommes désormais cinq job coach, trois venus du monde soignant et deux issus du monde de l’insertion et l’entreprise. Mon rôle est de mettre la personne au centre, de recueillir sa demande, d’encourager son pouvoir d’agir et l’espoir. Je ne suis pas là pour présumer de ce qu’elle peut faire ou ne pas faire. Grâce à mon expertise d’IDE en psychiatrie, je peux identifier ses ressources et ses freins en lien avec son trouble psychique et mettre en place des outils pour lever les freins. C’est un travail de co-construction et nous fixons ensemble les objectifs de son projet. Je suis là pour faciliter son autonomie. Pour moi, c’est une expérience très enrichissante qui implique un changement de posture. Avant j’étais sur le rétablissement médical, et maintenant en tant que job coach, j’accompagne le rétablissement personnel de la personne. Au départ, je ne me sentais pas légitime d’aller au-devant du monde de l’entreprise mais du fait de la pluridisciplinarité de l’équipe, j’apprends à le faire. Et c’est super ! » Une modification de pratique bénéfique pour tous. Rappelons que 15 à 20 % de la population active est concernée par une pathologie psychique et que beaucoup de pathologies se déclenchent vers l’âge de 25-30 ans à un moment où la personne est insérée dans le monde du travail.

Isabel Soubelet