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La campagne présidentielle est l’occasion pour la profession de donner de la voix afin de faire entendre ses propositions et, pourquoi pas, les pousser jusque dans les programmes et discours des candidats. Un exercice au succès bien incertain. Décryptage*.
Un véritable feu d’artifice. Voilà ce que les différentes organisations infirmières ont offert aux candidats à l’élection présidentielle. Du libéral à l’hôpital, de l’ordinal au syndical, tous les courants de la profession y sont allés de leur plateforme, de leur liste de recommandations, de leur éventail de revendications… Le tout à l’usage des prétendants à l’Élysée, priés d’insérer les mesures défendues dans leur programme électoral. Un activisme qui traduit la soif de changement des soignants et les attentes fortes qu’ils nourrissent pour le prochain quinquennat. Reste à savoir si les destinataires de toutes ces propositions se sont montrés sensibles au chant des sirènes infirmières. Mais avant de se plonger dans les programmes présidentiels, il est nécessaire de parcourir les propositions avancées par la profession. Deux grands axes se dessinent : d’un côté, une attente particulièrement intense sur le renforcement des ressources humaines et, de l’autre, une demande d’autonomie accrue pour la profession.
DOUBLE UNANIMITÉ POUR L’EMBAUCHE DE PERSONNELCe que veulent les organisations infirmières
C’est ainsi que parmi les « propositions » de l’Ordre national des infirmiers (ONI) figure l’idée « d’augmenter le nombre d’infirmiers actifs dans le système de soins » ou encore celle « d’instituer des ratios infirmiers/patients spécifiques à chaque service à l’hôpital ». Les « revendications » du Collège infirmier français (CIF) proposent également d’étendre ce principe à l’ensemble de l’activité infirmière et de « déterminer un ratio de patients par infirmier au regard de la charge en travail ».
Le Collectif Inter-Hôpitaux (CIH), qui n’est pas à proprement parler une organisation infirmière mais qui compte de nombreux représentants de la profession en son sein, estime également que les établissements doivent « fixer des quotas de personnels nécessaires dans chaque unité de soins pour assurer la sécurité et la qualité » et ajoute que « pour respecter les quotas, les absences doivent être systématiquement remplacées ». De manière peu surprenante, le CIH reprend également une revendication portée de longue date par de nombreuses organisations, notamment syndicales : les revalorisations salariales. « Les rémunérations des soignants hospitaliers […] doivent être au moins égales à la moyenne des pays de l’OCDE et revalorisées à hauteur de celles des pays voisins pour éviter la fuite des soignants », indique le Collectif.
Ce que proposent les candidats
À l’unanimité des organisations infirmières pour réclamer des collègues en plus et des bulletins de paie moins ternes répond l’unanimité des candidats : bien que leurs promesses électorales soient moins détaillées que les propositions de la profession infirmière, ceux-ci lui adressent en chœur un « oui » franc et massif… On ne s’en étonnera pas de la part des candidats les plus marqués à gauche : c’est ainsi que Nathalie Arthaud entend « imposer l’embauche de personnel dans tous les services publics indispensables à la population, à commencer par les hôpitaux et les Ehpad », et fixer un minimum de 2 000 euros pour les salaires, quand Jean-Luc Mélenchon promet d’engager « un plan pluriannuel de recrutement de soignants », et quand Fabien Roussel assure qu’il créera 100 000 emplois à l’hôpital public « dans tous les métiers ».
Plus à droite, Valérie Pécresse promet de « créer 25 000 postes de soignants à l’hôpital », tandis que Marine Le Pen assure qu’elle recrutera « en masse » des personnels soignants, avançant notamment le chiffre de 10 000 places supplémentaires dans les instituts de formation en soins infirmiers. En revanche, la question du financement de telles mesures est peu mise en avant, même si Valérie Pécresse a suggéré qu’elle entendait « remplacer des postes administratifs par des postes de soignants ». Marine Le Pen, de son côté, a insisté sur la lutte contre la « fraude massive » dont les établissements et la Sécurité sociale sont, pour elle, largement victimes, tandis que les candidats de gauche ont dans leur ensemble mis en avant une politique fiscale qu’ils voulaient plus sévère à l’égard des hauts revenus.
PLUS D’AUTONOMIE, PLUS DE RESPONSABILITÉSCe que veulent les organisations infirmières
L’autre grand axe sur lequel les organisations infirmières interpellent les candidats est celui de l’autonomie de la profession. Et là encore, plusieurs propositions se retrouvent quasiment à l’identique dans les différentes structures. C’est ainsi que la question du premier recours ou de l’accès direct de la population aux soins infirmiers, sans passer par la case médecin, est soulevée sur les plateformes de l’ONI et du CIF, mais également sur celles des syndicats d’Idels : le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil), le Syndicat autonome des infirmières et infirmiers libéraux (Saiil) et la Fédération nationale des infirmiers (FNI) mettent tous cette thématique en avant.
Autre point évoqué dans presque toutes les contributions : l’attribution de compétences supplémentaires. La possibilité pour une infirmière d’avoir le statut d’infirmière référente ou d’infirmière de famille, à l’instar du médecin traitant ou du pharmacien référent, est ainsi évoquée par l’ONI, le Sniil, le Saiil, la FNI… Absolument tous les documents diffusés par les organisations en amont du scrutin évoquent par ailleurs la nécessité d’élargir les responsabilités infirmières en matière de prescription et de consultation, entre autres. Présentées comme une réponse aux problèmes d’attractivité que connaît la profession mais également comme une manière de libérer du temps médical en cette période où la pénurie de médecins ne fait que s’aggraver, ces mesures se situent dans la continuité des discours portés depuis plusieurs années par ces organisations.
Certaines propositions d’ordre plus général se situent en revanche dans une perspective résolument disruptive, pour employer un mot désormais devenu un lieu commun du langage politique. C’est ainsi que la FNI propose de « donner le statut de profession médicale à compétences définies » aux infirmières, à l’instar des sages-femmes, par exemple. « Nous avons aujourd’hui un problème d’accès aux soins extrêmement prégnant que ni la pratique avancée, ni le desserrement du numerus clausus ne permettront de régler rapidement, justifie Daniel Guillerm, président du syndicat. Nous proposons donc de nous appuyer sur le tissu libéral infirmier, qui est organisé à l’échelle des territoires et assume une véritable continuité des soins, pour améliorer la situation. » Dans le même ordre d’idée, le CIF suggère de supprimer le terme « auxiliaire médical » désignant la profession dans le Code de la santé publique.
Ce que proposent les programmes électoraux
Toute la question, bien sûr, est de savoir si ces appels à l’extension du domaine de compétences de la profession suscitent quelque écho dans les programmes des candidats. Premier constat : rien concernant cette thématique sur la première page des programmes des prétendants à l’Élysée. Mais en cherchant bien, on peut au moins la retrouver dans les pages intérieures de certains d’entre eux. C’est ainsi que celui du candidat souverainiste Nicolas Dupont-Aignan propose « d’amplifier la création de nouveaux métiers de la santé » afin de « soulager la surcharge de travail des médecins » et de « permettre des évolutions de carrière pour les secrétaires médicales, les infirmières, sur le modèle des sages-femmes pour l’obstétrique ». Marine Le Pen, quant à elle, suggère « d’accroître le temps médical grâce à l’élargissement des tâches confiées aux pharmaciens, aux sages-femmes, aux infirmiers et aux assistantes sociales ». Valérie Pécresse, de son côté, ambitionne de « donner plus de responsabilités et de perspectives de carrière aux soignants, en leur offrant la possibilité de faire carrière dans leur service ». Pour illustrer ce point, elle assure que « les infirmiers ayant de l’expérience pourront se voir confier de nouvelles tâches et responsabilités, notamment par la validation des acquis de l’expérience ».
MÉDICOCENTRISME AMBIANT ET IMPRÉCISION DES DISCOURSVoilà pour ce qui est des programmes officiels. Mais qu’en est-il des prises de parole des candidats ? Pour le moment, nous n’avons entendu aucun d’entre eux évoquer l’accès direct ou la consultation infirmière sur la scène d’un grand meeting populaire, mais nous avons pu entendre certains de leurs conseillers affirmer leur attachement à l’accroissement des responsabilités de la profession. C’est ainsi que le 10 mars dernier, lors d’une journée organisée par un collectif d’organisations infirmières et diffusée en ligne, le Dr Sébastien Mirek, l’un des trois « relais santé » d’Emmanuel Macron, a affirmé qu’il lui semblait nécessaire de « travailler sur les pratiques avancées, les délégations, les transferts de compétences… ». Plus à gauche, le Dr Bernard Jomier, conseiller santé d’Anne Hidalgo, estime qu’il faut « poursuivre le travail sur le partage des tâches », précisant que « les infirmiers, par exemple, peuvent avoir des fonctions plus importantes que celles qu’ils exercent actuellement, notamment sur la prévention ».
La présence des thématiques chères aux infirmiers dans le discours des conseillers santé des candidats, à défaut de ceux des candidats eux-mêmes, est l’une des raisons qui poussent certains représentants de la profession à l’optimisme. « Je rencontre les représentants des candidats un à un, et on voit bien qu’il y a une bonne reprise sur des thèmes comme l’accès direct, les ratios de personnel, l’évolution des IPA [infirmières en pratique avancée, ndlr] », se félicite ainsi Patrick Chamboredon, président de l’ONI. Mais celui-ci remarque bien qu’il y a un hiatus entre les discours publics des candidats d’un côté, et ceux qui sont portés par leur représentant lors de leurs échanges bilatéraux de l’autre. « C’est vrai que les candidats eux-mêmes ont plutôt tendance à parler des médecins, remarque-t-il. Je trouve cela curieux car les infirmiers sont beaucoup plus nombreux que les médecins… » Et le président de l’Ordre de conclure, un brin ironique : « Peut-être qu’ils pensent que les infirmiers ne votent pas… » L’Ordre n’est d’ailleurs pas le seul à constater la différence entre l’affichage que les candidats offrent au grand public et les discussions techniques que leurs équipes ont avec les corps professionnels. « Quand on fait le tour des programmes des principaux candidats, on ne retrouve pas grand-chose qui correspond à nos préoccupations, regrette ainsi John Pinte, président du Sniil. C’est d’autant plus regrettable que lorsque l’on discute avec leurs conseillers, ils semblent d’accord pour avancer sur certaines thématiques, comme l’accès direct. » Un triste constat qui ne suffit pas, loin s’en faut, à décourager ce responsable syndical. « Nous allons recommencer ces discussions pour les législatives, assure-t-il. Nous savons que les députés seront plus à l’écoute, et cela a du sens car ce sont eux qui voteront les lois qui modèleront notre exercice. »
Quoi qu’il en soit, les représentants de la profession ne se font que peu d’illusions sur la valeur des programmes électoraux et des promesses des candidats. « Notre travail de lobbying n’est pas lié qu’aux échéances électorales, précise Patrick Chamboredon. Ce qui importe, c’est de pousser nos idées et de faire en sorte qu’elles infusent. » Une approche que l’on retrouve du côté du Sniil. « Ce sont de petites graines que l’on a semées, et que l’on verra germer un jour », veut croire John Pinte. Et peu importe, finalement, si la germination n’intervient pas au moment des débats présidentiels : l’important, c’est la récolte…
Adrien Renaud
* Extrait de l’article « Présidentielles : les infirmières s’expriment, mais sont-elles entendues ? », paru dans L’Infirmièr.e n° 19, avril 2022.
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