Le 6 octobre, Francoise Barré-Sinoussi apprenait qu’elle était lauréate du prix Nobel de médecine, pour ses travaux sur l’isolement du virus du sida en 1983. Moins connue du grand public que Luc Montagnier, avec qui elle partage la récompense, elle dirige l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites (ANRS) en Asie-du Sud-Est. C’est de Phnom Penh, au Cambodge, qu’elle a tiré les premiers enseignements de sa nomination.
Ce prix met-il fin à la querelle pour savoir à qui revient la paternité de la découverte du virus, longtemps revendiquée par l’équipe du professeur américain Robert Gallo ?
Il y a longtemps que cette polémique a trouvé son point final, mais s’il fallait une confirmation, nous l’avons à présent. Il est important de reconnaître les travaux des chercheurs américains, mais aujourd’hui, c’est Luc Montagnier et moi qui avons obtenu le prix, pas eux. C’est la reconnaissance du travail pluridisciplinaire qui a guidé notre recherche. Il est vrai qu’il s’est écoulé un long moment entre la découverte et la remise de ce prix, mais ce n’est pas le premier exemple en la matière, et cela n’a pas de lien avec la polémique.
Que pouvez-vous dire de l’état de la recherche sur le virus du sida ?
Si l’on pense à un vaccin, il est absolument impossible de dire à quel horizon il sera disponible, ni même s’il le sera un jour. Mais des pans entiers de la recherche n’ont pas encore été abordés, et on peut espérer qu’ils le seront grâce à ce prix. D’une manière générale, j’espère aussi que ce prix permettra aux chercheurs d’obtenir plus de crédits et d’être mieux payés. Aujourd’hui, beaucoup se découragent, même si en matière de recherche sur le VIH, la France est un pays exemplaire.
Pour protester contre les franchises médicales, plusieurs patients ont observé une grève des soins, et un malade du sida, Bruno-Pascal Chevalier, a même interrompu plusieurs mois son traitement. Pensez-vous que ce type d’action puisse avoir un effet positif en marquant les esprits ?
Je ne vois pas comment on peut soutenir quelqu’un qui se lance dans ce genre d’action. Je suis proche des activistes des associations de lutte contre le sida, qui ont beaucoup fait avancer les choses et auxquels il faut rendre hommage. Mais je ne me retrouverai jamais dans une démarche aussi dangereuse, aussi bien pour soi qu’au niveau global.
Dans de nombreux pays du Tiers-Monde, des ONG américaines continuent de promouvoir la politique « ABC » (1), mettant en avant l’abstinence et la fidélité pour se protéger du sida…
Cette politique est prônée par une certaine classe d’hommes politiques américains, mais heureusement, les professionnels en sont bien revenus ! Lorsqu’on discute en tête-à-tête avec des responsables sanitaires, y compris américains, on voit bien qu’ils ne croient pas vraiment que promouvoir l’abstinence soit un moyen de réduire les risques.
Que pensez-vous faire de ce prix ?
Je ne sais pas encore, et j’espère surtout que rien ne va changer pour moi ! Je veux continuer de venir travailler au Cambodge, où je travaille sur la prise en charge des patients atteints par le sida et la tuberculose.
A Phnom Penh, propos recueillis par Adrien Le Gal
(1) La politique « ABC » de prévention des maladies sexuellement transmissibles fait la promotion, au même titre, de l’abstinence, de la fidélité (« Be Faithfull ») et du préservatif (« Condoms »).