Les infirmiers et infirmières de France sont inquiets et en colère devant le manque de concertation et le mépris dont ils s’estiment victimes de la part du gouvernement à la veille d’échéances cruciales pour l’avenir des professionnels des soins infirmiers, mais également pour l’avenir du système de soins en général, ont fait savoir les représentants d’une large intersyndicale (CFDT, CFTC, CNI, Convergence infirmière, FNI, FO, ONSIL, SNPI CFE-CGC, SNICS FSU, Sud santé sociaux, UNSA, UFMICT CGT) lundi.
La volonté du ministère de la Santé de remettre en cause le décret d’actes infirmiers illustre pour les syndicats la volonté cachée de déqualifier et déréglementer la profession infirmière dans l’unique souci de répondre à des impératifs économiques.
Le 11 juillet dernier, le ministère de la santé a convoqué les organisations syndicales d’infirmiers et infirmières salariés et libéraux pour leur remettre un document de travail de la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (Dhos) présenté comme un « projet de rédaction ou de contenu » d’un article du projet de loi « Patients, santé, territoire », qui doit être soumis au Parlement à l’automne. Cet article devra remplacer l’article L.4311-1 de l’actuel Code de la santé publique qui définit l’exercice de la profession infirmière.
Le projet d’article prévoit qu’ « un arrêté du ministre chargé de la santé, pris après l’avis de l’Académie nationale de médecine, fixe la liste des actes relatifs à l’exercice de la profession, et notamment ceux réalisés sur prescription médicale ».
Les syndicats infirmiers opposent une levée de boucliers à cette disposition qui vise à modifier par simple arrêté la liste des actes professionnels infirmiers, aujourd’hui fixé par décret.
« Un arrêté, ça se prend sur le coin du bureau d’un ministre », fait valoir Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). Pour l’intersyndicale, un tel glissement risque de déboucher sur une déréglementation de la profession infirmière qui s’annonce préjudiciable tant à la qualité des soins qu’à l’égalité des patients dans l’accès aux soins.
« Prenons l’exemple de la toilette », explique Dominique Lahbib, Secrétaire Générale de l’UFMICT-CGT et 30 ans de métier derrière elle. « Aujourd’hui, dans le cadre de la réglementation précise de la profession infirmière, il s’agit d’un acte de soin qui, à ce titre, est remboursable. Si demain n’importe qui peut faire la toilette, cet acte ne sera plus remboursable. »
Les syndicats dénoncent ainsi, sous couvert de créer de nouveaux métiers pour répondre aux défis du grand âge et de la dépendance (Cf. le plan de la secrétaire d’Etat à la Solidarité Valérie Létard qui prétend créer 400.000 emplois avant 2015 dans ce secteur ), la volonté gouvernementale de disposer d’un personnel moins qualifié et moins payé.
Les syndicats s’insurgent contre la dérive qui consiste à faire croire que la profession infirmière se réduit à une succession de « gestes simples » que tout un chacun serait capable d’effectuer moyennant une petite formation. Si une injection sous-cutanée, un changement de pansement, une distribution de médicaments ne sont pas des actes techniquement complexes, observent-ils, le savoir infirmier réside avant tout dans ce qui se trouve en amont et en aval de l’acte proprement dit : savoir interpréter l’état clinique du patient, exploiter des connaissances en pharmacologie, être capable au besoin de porter un regard critique sur la prescription médicale, toutes choses que la formation des aides-soignantes, par exemple, ne prévoit pas.
Dans un contexte d’évolution démographique où plus de 50% des quelque 500.000 infirmiers et infirmières aujourd’hui diplômés partiront en retraite d’ici à 2012, on comprend mieux pourquoi le gouvernement agit dans l’urgence, ce que n’acceptent pas les professionnels qui dénoncent l’absence de réelle concertation.
« On nous demande précipitamment d’accepter une modification de notre cadre juridique sans que le chantier de la réforme de la formation soit réellement entamé », note Mme Lahbib. « Cela fait plus d’un an qu’on attend de participer aux tables rondes » pour discuter du contenu des nouveaux programmes censés rentrés en application dès la rentrée 2009 et de l’intégration de la formation infirmière dans le cursus universitaire Licence-Master-Doctorat.
Philippe Tisserand craint tout au contraire que si la profession accepte que la liste de ses actes ne soit plus fixée par décret mais par simple arrêté, « ce ne soit un prélude à une formation de type apprentissage ».
S‘il s’agit pour le gouvernement de « développer la coopération entre professionnels de santé », conformément aux recommandations de la Haute autorité de santé (HAS), « nul besoin pour cela de toucher au décret », affirme M. Tisserand. On peut très bien ouvrir la liste des actes infirmiers « sous forme de protocoles établi avec le médecin », suggère-t-il.
Mais au-delà de ces aspects juridiques, c’est la méthode du gouvernement que les syndicats dénoncent : une élaboration « à marche forcée » du texte de loi et une concertation de façade pour, in fine, une présentation unilatérale d’un projet de réorganisation totale de la profession.
Dans le texte tel qu’il est prévu aujourd’hui, aucune instance représentative de la profession n’est associée à l’élaboration de la liste d’actes, déplorent les infirmiers et infirmières, ni le futur Conseil national de l’ordre infirmier dont l’élection est prévue en novembre, ni même le Haut conseil des professions paramédicales dont le décret de création du 16 mai 2007 attend encore d’être suivi d’effet.
En ce qui concerne la formation infirmière, rien n’est fait non plus pour rassurer les professionnels. Dans un contexte de pénurie d’étudiants liée au manque d’attractivité de la profession infirmière en terme de reconnaissance, de salaire, de conditions de travail, « le transfert de la gestion des formations paramédicales de l’Etat aux exécutifs régionaux qui n’y connaissent rien et n’ont pas les budgets suffisants », laisse craindre des fermetures d’Ifsi ou des réorganisations catastrophiques au niveau régional, s’inquiète Denis Basset, de Force ouvrière.
Il y aurait aujourd’hui 1.200 places vacantes dans les IFSI rien qu’en Île-de-France et environ un quart des étudiants abandonnent en cours d’études. Par ailleurs, la durée moyenne d’exercice de la profession infirmière est de seulement 12 ans tous secteurs confondus, selon les syndicats.
C. A.