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Normes et protocoles peuvent conduire à une perte de sens, une forme de dépersonnalisation du soin. Le projet Esips (Éthique du soin intégrée à la pratique soignante), présenté en mai dernier au Salon infirmier, vise, par le jeu, à « (re)solliciter la pensée dans les pratiques soignantes afin de conjuguer technicité et réflexivité ».
C’est l’ambivalence de la standardisation des prises en charge. Certes, « toutes ces normes, ces protocoles, ces procédures sont nécessaires à ce que les soins soient homogènes et standardisés partout en France », et « utiles en termes de qualité des soins », expose Didier Quintini, infirmier en équipe mobile de soins de support et palliatifs à l’Assistance Publique-Hopitaux de Marseille (AP-HM). Mais il y a des risques « qu’à force de tout normaliser, on oublie la subjectivité du patient », et que le soignant souffre d’une perte de sens.
Cet « assujettissement sécurisant à la norme protocolaire du soin » peut conduire les professionnels de santé à cesser de questionner, et donc, parfois, à « nuire en soignant », assure-t-il, ainsi qu’à une perte d’empathie. D’où une réflexion nécessaire sur « tous les actes et les rapports humains qu’on a avec une personne atteinte d’une pathologie », fait valoir l’IDE, livrant la définition de l’éthique du soin.
Du jeu essentiellementLe Conseil consultatif national d’éthique (avis 84) et le Code de déontologie du Conseil international des infirmiers préconisent des formations à ce sujet, mais il ne fait pas rêver car trop théorique. D’où la proposition du projet Esips : une méthode « inductive », « participative », « proactive » et « applicative », qui s’appuie sur « des techniques d’animation basées sur de la discussion, du jeu, des études de cas et du débat. Mais essentiellement du jeu ».
Ce « temps réflexif » sur l’éthique du soin, porté par Didier Quintini, a été mis en place dans le service d’oncologie médicale et de soins palliatifs de la Timone. D’abord, il a été imposé pendant un jour et demi à la soixantaine d’agents du service de jour et de nuit (sauf les cadres et les médecins pour éviter les conflits de hiérarchie). Puis il a reposé sur le bénévolat de 17 d’entre eux. Les volontaires ont suivi trois sessions d’un jour par an, pendant deux ans.
Chaque session était divisée en trois : une introduction sur les fondamentaux de l’éthique du soin ; l’exploration d’un thème ; une discussion sur l’applicabilité. Au cœur de la pédagogie : le jeu, l’objectif étant de « ne pas tomber dans le divertissement ». Entre autres, celui du tribunal. Didier Quintini illustre : « Ceux qui étaient pour la toilette au lit d’un patient devaient défendre le contraire, et inversement. » L’idée : élargir leur horizon de pensée. Lui joue le « maître ignorant », glissant des contre-exemples et se faisant l’avocat du diable sans apporter les réponses, pour favoriser le questionnement, le raisonnement. À la fin, tous gagnent : ils ont eu une réflexion sur leur pratique, ont envisagé différents angles et accepté la controverse.
Une évaluation empêchéeSi la première partie du projet a pu faire l’objet d’une évaluation par questionnaire et déboucher sur la publication d’un article, ce n’est pas le cas de la deuxième. Il s’agissait, à l’origine, de déterminer, en comparant deux groupes, si « en remettant du sens dans la pratique soignante », ce temps réflexif avait un impact sur le burn-out.
« Malheureusement, le Covid est passé par là, regrette Didier Quintini. C’était un trop gros biais. J’ai donc arrêté l’étude. Et comme les formations ont été interdites pendant un an et demi, je n’ai pas pu réunir mes collègues pour poursuivre. Ils n’ont pas eu le sixième jour prévu… Ils me le réclament régulièrement ! »
Pauline Machard
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Favier A.-L., « La souffrance des soignants secoue l’éthique », Objectif Soins & Management, n° 287, juin-juillet 2022.