« Comment conduire une cure d’enfant ? » Ce thème difficile a pourtant attiré des centaines de personnes les 26 et 27 mars derniers à l’espace Reuilly à Paris (75012). Au programme de ces deux journées d’étude proposées par les séminaires psychanalytiques de Paris : le premier entretien avec l’enfant et ses parents, la première cure d’enfant : le petit Hans ; Comment interpréter le dessin et le jeu dans une cure d’enfant ? Et enfin, comment terminer une cure d’enfant ? Juan-David Nasio, président des séminaires psychanalytiques de Paris, répond à nos questions.
Comment est née l'idée des séminaires psychanalytiques de Paris ?
L’idée était de fonder une association loi 1901 à caractère scientifique et bénévole, dont les missions principales sont la formation des psychanalystes, la diffusion de la psychanalyse et des psychopathologies. Fondée en 1985, avec un colloque consacré au silence, ce fut un succès tel que nous avons décidé de continuer à enseigner. Cela fait maintenant 25 ans que j’enseigne.
Comment choisissez vous les thèmes ?
C’est le comité de coordination qui choisit les thèmes. Nous nous réunissons plusieurs fois par an. Fin avril 2009, nous allons réfléchir aux thèmes de l’année prochaine. Nous sommes cinq dans ce comité et notre but est de dispenser un enseignement de qualité, clair, pédagogique et pratique, afin que les personnes qui viennent suivre ces journées puissent s’en servir aussitôt dans leur pratique.
Qui vient à ces colloques ?
En 2008, environ 3600 personnes se sont inscrites à nos journées. La majorité des inscrits sont des psychologues travaillant à l’hôpital, en CMP, dans des écoles ou à l’hôpital de jour ou en libéral. Viennent ensuite les médecins (pédiatres et psychiatres) et les infirmiers. Et puis les juges d’enfants et les étudiants en psychologie, car nous parlons plus clairement que leurs enseignants.
Dans quel cas une cure est-elle indiquée à un enfant ?
D’abord, lorsque je reçois un enfant et ses parents, ou les parents seuls, la première attitude est d’essayer de ne pas faire entrer l’enfant en thérapie ! Car si l’enfant doit être suivi par un psychiatre, cela veut dire qu’il souffre. Je recherche la difficulté en espérant ne pas la trouver. J’adopte une attitude préventive plutôt que curative, car une thérapie implique l’intervention d’un tiers extérieur à la famille, et ce n’est pas souhaitable. La plupart des mères essaient d’éviter de consulter un psychanalyste pour leur enfant et elles ont raison. L’intervention d’un psychanalyste ne doit pas être le premier recours.
Une fois ce préalable établi, les motifs les plus fréquents de consultation varient avec l’âge de l’enfant. Entre deux ans et demi et quatre ans, le motif de consultation le plus rencontré est l’agressivité de l’enfant, avec par exemple, des enfants qui mordent les autres enfants, et qui ne sont plus acceptés par les directrices de crèche.
Le deuxième motif est les peurs de l’enfant, cauchemars ou peur panique. Ces enfants sont souvent très dépendants de leurs parents.
Enfin, troisième motif, l’enfant-roi, capricieux, qui n’obéit pas et décide de tout à la maison. En général ces enfants-là ont des parents âgés, ou qui ont eu du mal à l’avoir. Ou ce sont des enfants qui vivent avec un seul de leurs parents, et qui sont dans une relation binaire au lieu d’une relation de triade.
Vers 9 ou 10 ans, les motifs les plus courants sont l’agressivité dans la cour d’école, l’échec scolaire dû à des troubles du langage plus ou moins marqués. Ou encore les phobies (scolaires, des classes vertes) et les troubles obsessionnels compulsifs (TOC).
Quelle position le psychanalyste doit-il avoir par rapport à l'enfant ? Par rapport
aux parents ?
Par rapport à l’enfant, le psychanalyste doit être un professionnel qui fait sentir une distance. S’il est petit, je lui dis : « je suis le Dr des soucis ». Ils comprennent très bien que je suis un tiers qui en aucun cas ne se substitue à ses parents. Je lui montre que je suis un professionnel qui cherche à le débarrasser de ses soucis. En travaillant avec lui, je lui montre que ses difficultés ne sont pas aussi grandes que ce qu’il pensait. Je lui montre que les intentions, les motifs de ses comportements peuvent évoluer. Je lui donne des conseils, je lui fais des suggestions.
Par rapport aux parents, je suis un auxiliaire. Je leur apprends aussi le « métier » de parents. J’essaie de leur donner des clés pour les aider, pour résoudre les conflits. J’ai plus un rôle d’ « éducateur » des parents.
Comment bien aborder le premier entretien d'une cure ?
J’ai une technique : je fais entrer l’enfant d’abord, sans ses parents, et j’ignore tout de l’enfant et des raisons pour lesquels il est là. Je me présente à lui : « je suis le Dr Nasio, psychiatre, psychanalyste. Je suis là pour résoudre tes difficultés, tes soucis. » Pendant vingt minutes, nous parlons tous les deux. Je lui explique ensuite que je vais faire entrer ses parents. Une fois les parents présents, je leur demande pourquoi ils m’ont appelé. L’enfant devient un allié car je lui ai expliqué le déroulement de la consultation. Il se sent en confiance, en sécurité. Ils acceptent toujours la relation. C’est vraiment très rare qu’ils ne l’acceptent pas.
Comment savoir que la cure est terminée ? Comment la terminer ?
La cure est terminée lorsque les troubles ont disparu ou sont atténués. L’enfant dit se sentir mieux, on le voit à son comportement : il est plus à l’aise, il a plus d’entrain et moins d’angoisse. Il y a moins de conflits qu’auparavant.
Les parents constatent que l’enfant a évolué depuis qu’ils l’ont amené. La cure n’a plus lieu d’être, donc j’annonce qu’elle va bientôt se terminer. En général, j’essaie de ne pas dépasser six mois. Souvent, en une ou deux séances, le problème est réglé. Avec les enfants, les choses vont beaucoup plus rapidement qu’avec les adultes.
Lors de la dernière séance, je reçois d’abord l’enfant, et je lui dis que je suis toujours là en cas de problème. Je lui dis que s’il a un problème, il faut qu’il en parle à ses parents, pour qu’ils prennent rendez-vous. Parfois, je le revois une seule fois.
Beaucoup de petits patients viennent par bouche-à-oreille. Les parents sont en confiance. J’ai reçu mon premier patient en 1964. Cette longue pratique associée à ma nature donne de bons résultats !
Quels « outils » sont selon vous très utiles dans une cure, et pourquoi ?
Le premier outil du thérapeute est son propre inconscient, sa capacité à saisir rapidement la souffrance de l’autre et l’origine de sa souffrance. Donc l’outil n’est pas la parole. La parole est le moyen. Vient ensuite un très bon sens de l’observation. Le thérapeute est en quelque sorte un radar sensible visuel, tactile (en serrant la main). Au niveau de la parole, le thérapeute doit parler simplement, avec des mots clairs, audibles, compréhensibles. Sa parole doit être chaleureuse et humaine.
Le jeu, la pâte à modeler, le dessin, le jeu du sable, sont des outils secondaires dans une cure d’enfant. Ce qui compte avant tout, ce sont les instruments psychiques du thérapeute.
Bien sûr, un instrument incontournable est le savoir théorique et psychanalytique de l’enfant concernant les psychopathologies de l’enfant, la psychologie et la psychologie psychanalytique de développement de l’enfant.
PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLE IVALDI