Quand le sexe influence les soins

26/02/2013

Quand le sexe influence les soins

Une étude sociologique s'est penchée sur la place de la sexualité dans le travail infirmier. Quotidiennement en contact avec le corps des patients, les soignantes sont parfois victimes des fantasmes qu'elles suscitent.

Les clichés ont la vie dure. Celui de l'infirmière « chaudasse » n'échappe pas à la règle. Drague lourde, attouchements, exhibitionnisme... Quotidiennement au contact du corps des patients, les soignantes sont parfois victimes de ces fantasmes qu'elles continuent d'inspirer. Constatant la « quasi-absence de travaux sociologiques », Alain Giami, directeur de recherches (1) à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, s'est penché sur « la place de la sexualité dans le travail infirmier ».

« Figure érotique »

Après avoir enquêté, notamment, auprès des médecins généralistes, le psychosociologue et son équipe ont conduit, entre 2007 et 2008, une soixantaine d'entretiens auprès de soignantes travaillant avec des patients atteints de cancer (2). Le résultat de cette étude qualitative sera publié dans le numéro de janvier-mars de la revue Sociologie du travail (3). « Dans l'imaginaire collectif, l'infirmière est encore assimilée soit à la bonne sœur, soit à une figure érotique. Nous avons pensé que cela pouvait jouer, d'autant que les soignantes rejettent ces fantasmes, et cherchent à s'imposer en tant que professionnelles, explique Alain Giami. Nous nous intéressons à tout ce qui peut être érotique dans la relation soignant/patient, qui peut la faciliter ou, au contraire, être un obstacle, du fait des malentendus qui peuvent surgir. »

« Mettre des barrières »

L'étude fait ainsi la distinction entre une érotisation non désirée, source de malaise pour les soignantes, et une érotisation vécue de façon positive, car créatrice de « complicité » entre infirmières et patients. « Souvent, c'est plutôt des compliments gentils, très simples. Genre : " Ah ben, y'a que des top models dans cette équipe ! " », témoigne une soignante. Parfois, « la proximité avec le malade est même délibérément recherchée par les infirmières, qui veulent procurer du bien-être », note l'étude. « En fin de vie, le plaisir physique, ça peut être un massage, ça peut être un bain, un shampoing », relève une infirmière. Autant de gestes, de paroles qui facilitent la relation de soins, concourent à la satisfaction au travail et donnent « le sentiment qu'une relation humaine s'est établie avec le patient ». Mais, les soignantes veillent à pas franchir certaines limites. « Il faut quand même qu'on reste des professionnelles », justifie l'une d'entre elles.

Ce qui n'est pas toujours facile pour l'infirmière en début de carrière, notamment quand elle est confrontée à des cas d' « érections réflexes qui peuvent survenir durant les examens, des soins telles que les toilettes », ou à des propos et gestes gênants venant de patients atteints de troubles psychiatriques ou neurologiques importants. Compréhensives, les infirmières n'hésitent pas à jouer la carte de l'humour.

Face aux « pervers pépères »

Mais, que faire face à un patient dont le comportement est volontairement déplacé ? Lors des entretiens, les anecdotes ont fusé. « Quand j'étais étudiante, il y en a un qui m'a carrément demandé de lui faire "une petite gâterie, quoi" », raconte une jeune infirmière. Une autre évoque ces « pervers pépères » qui regardent des films porno sans se soucier de la présence de l'infirmière dans sa chambre. Selon les soignantes, « ces hommes veulent se prouver à eux-mêmes qu'ils sont encore des hommes malgré le cancer », rapportent les auteurs de l'étude.

Ce risque de voir surgir une « érotisation indésirable de la relation de soin » explique que les infirmières soient mal à l'aise pour aborder les conséquences négatives de la maladies et des traitements sur la vie sexuelle avec les patients masculins. « À l'instar des médecins, les infirmières ne sont pas formées à l'abord de la sexualité dans la relation de soin. Donc elles font avec ce qu'elles sont, c'est-à-dire, en majorité, avec leur identité de femmes », constate Alain Giami.

Ne pas porter de tenue provocante, ne jamais parler de soi, mettre des gants pour tout contact intime, passer le relais à une collègue en cas de gêne... les soignantes ont développé des stratégies pour éviter tout malentendu. En attendant d'y être réellement préparées par leur formation, ou guidées par le développement de recommandations.

Aveline Marques



1- Équipe « Genre, santé sexuelle et reproductivité ».

2- L'échantillon est composé principalement de femmes (85,9 %), à l’image de la profession. La majorité interviennent en milieu hospitalier (78,1%) et plus rarement à domicile (21,9%). Neuf entretiens ont été conduits avec des hommes. Jugés trop peu nombreux pour fournir une image représentative de la profession, ces entretiens n'ont pas été retenus.

3- « La place de la sexualité dans le travail infirmier : l'érotisation de la relation de soins », Alain Giami, Pierre Moulin et Émilie Moreau. Sociologie du travail, janvier-mars 2013.

 

 

 

Pour aller plus loin, lire l'interview d'Alain Giami, à paraître dans L'Infirmière magazine daté du 15 mars, et consulter le dossier "Désirs en résidence", consacré à la vie sexuelle des personnes âgées en maisons de retraite médicalisées paru dans le n° 231 (archives réservées aux abonnés).

Les dernières réactions

  • 12/10/2016 à 22:05
    dedes
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    La réaction a été supprimée car elle ne respecte pas la charte du site.
  • 08/05/2021 à 10:45
    mathouinf
    alerter
    Bonjour, je suis actuellement étudiante infirmière en troisième année et je finis actuellement mon TFE, je voulais savoir s'il était possible que j'utilise votre dessin de l'article : "quand le sexe influence les soins" et s'il est possible de me dire qui l'a fait et avoir son accord pour que je puisse l'intégrer à mon mémoire.

    Merci d'avance,
    Cordialement, Mathilde

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