A l’occasion de la journée internationale des infirmières, jeudi 12 mai, plusieurs milliers d’étudiants en soins infirmiers ont défilé à Paris pour protester contre les conditions de mise en œuvre de la réforme de leurs études.
Entre 2500 et 3000 selon la police ; de 8000 à 10000 selon la Fnési : la mobilisation étudiante de jeudi a certes été inférieure aux attentes de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers –qui escomptait de 10 000 à 15 000 manifestants-, elle n’en est pas moins, de mémoire de militant, la plus importante depuis 2000, date de la naissance du syndicat étudiant. « C’est une victoire en termes de mobilisation ; c’est une demi-victoire en termes d’avancées », résume son président Thomas Chrétien, étudiant à l’Ifsi de Reims.
Alors que les formateurs, censés soutenir le mouvement conformément aux consignes du Cefiec et du SNPI CFE CGC, étaient invisibles dans le cortège, de très nombreux Ifsi étaient représentés : entre autres, Nantes, Tenon, Thonon-les-Bains, Le Creusot, Chalons, Evreux, Rennes, la Pitié-Salpêtrière, Dole, Caen, Chambéry, Bordeaux, La Roche-sur-Yon ou encore Angers. Venus en train, en car ou en métro, les étudiants en colère avaient mis le paquet sur la mise en scène : presque tous en blouse et affublés de masques, parfois maquillés ou carrément déguisés en pied à perfusion, ils étaient équipés de sifflets et trompettes. Les paroles de slogans chantés circulaient au sein du cortège : « Réforme baclée, not’santé en danger ! », « Non, non, non aux tuteurs non formés, oui, oui, oui aux stages à l’étranger ! », ou encore « Parisiens, avec nous, vous serez soignés par nous ! » Quelques étudiants de l’Association nationale des étudiants en médecine de France étaient également présents en soutien à leurs futurs collègues infirmiers.
"Promotions sacrifiées"
Interrogés sur le pourquoi de leur présence à Paris en ce jeudi 12 mai, Journée internationale des infirmières qui tombait pendant les stages, les étudiants infirmiers répondaient en substance: la réforme des études comporte de bonnes choses, mais elle est tellement mal mise en œuvre qu’elle en devient dangereuse pour les étudiants et pour les futurs patients qu’ils auront à soigner, une fois diplômés. Le sentiment général chez les manifestants ? Celui d’appartenir à « des promos-test », bref, des promotions -celles de 2009 à 2012- « sacrifiées » comme on lisait sur plusieurs pancartes. Les stages, notamment, cristallisent de nombreux malaises. « Ils ont fait une réforme, mais ils n’ont pas pensé à former les tuteurs », déplorait ainsi Claire, étudiante à l’Ifsi de la Croix-Rouge à Nantes. Le portfolio censé témoigner de la progression des étudiants dans l’acquisition d’une multitude d’actes infirmiers au cours des trois ans de formation est souvent cité en exemple de dysfonctionnement : « Les tuteurs le remplissent mal ou alors en l’absence de l’étudiants et avec la mentalité d’avant », témoigne Claire. Le document très long et minutieux à remplir requiert du temps et du temps, précisément, les tuteurs n’en ont pas des masses. « Des terrains de stage se sont fermés, il manque par exemple 30 places pour le stage de septembre », indique Claire, étudiante en deuxième année, dont la tutrice « vient d’avoir sa formation alors qu’on est en fin d’année ». La Fnési demande donc « une vraie reconnaissance du statut de tuteur », assortie d’une rémunération dédiée, explique Morgan Houguet, un autre Nantais. Car, « tuteurs non formés = étudiants en danger », résumait une banderole.
La réduction du nombre de stages, ramenés à six, pose aussi problème. « Avant on était évalué sur ce qu’on était amené à faire pendant les stages », explique Guillaume, en première année à l’Ifsi de Tenon (AP-HP). « Maintenant, il faut que tous les items du portfolio soit validés. A nous de débrouiller pendant le stage pour changer de service le cas échéant, monter d’un étage le temps d’une journée pour avoir l’opportunité d’effectuer certains actes.» Or, les places de stage se faisant rares, « beaucoup ont été mis en crèche, en PMI ou en consultation », rapporte Guillaume. « Quels actes infirmiers ai-je appris pendant mon stage en consultation d’ophtalmologie, à part mettre des gouttes dans les yeux ? », interroge-t-il. « Résultat, j’ai bientôt fini les stages de première année et je ne connais pas grand-chose au métier. Je ne me sens pas du tout infirmier, même pas aide-soignant. »
"Les tuteurs nous disent qu'on sera de mauvaises infirmières"
Au-delà du caractère fastidieux du maniement du portfolio, il apparaît que sur les terrains de stage, nombre de soignants se méfient de la réforme dont ils mettent en doute les vertus pédagogiques. « C’est inadmissible, moi en première année je savais déjà faire tel acte », s’est entendu dire Lauriane, étudiante en première année à l’Ifsi de Tenon (AP-HP). « Beaucoup nous ont dit qu’on serait de mauvaises infirmières, qu’ils ne voudraient pas être soignés par nous plus tard », renchérit Claire. Ceux-là pensent que le nouveau référentiel de formation fait la part trop belle aux enseignements théoriques et aux humanités, au détriment de la pratique et du cœur de métier infirmier.
La précipitation et l’improvisation avec lesquelles s’est imposée la réforme plonge étudiants et formateurs dans l’incertitude et l’insécurité. « Quand on demande à nos formateurs comment ça va se passer en troisième année, ils nous répondent qu’ils ne savent pas encore, qu’ils y réfléchissent », témoigne Morgan, étudiant nantais de deuxième année. La frustration est aussi palpable sur le mode de délivrance des cours. A l’Ifsi de Tenon (AP-HP), de nombreux cours –biologie, pharmacologie, santé publique, handicap, etc.- sont ainsi assurés sur support vidéo. Pour Guillaume, étudiant première année, cela induit de « cruels manques pédagogiques ». « C’est quand même un métier vachement humain à la base », observe-t-il. « Là, on se retrouve avec des CD-Rom, des PDF. » Et de déplorer l’absence de TD qui se rapportent au cours. « Tout le monde ne sort pas d’un bac S, alors quand on passe cinquante heures à étudier la cellule, d’abord on se demande si c’est vraiment utile, mais en plus, si on n’a même pas de TD avec un prof qui soit physiquement là… ». Lauriane éprouve aussi cette impression d’être livrée à elle-même. « On nous demande de faire des recherches, mais on fait rarement des corrections, il n’y a pas de retour alors on ne sait pas si ce qu’on a fait est bien, pas bien », critique la jeune fille.
Autre grief, le manque de démocratie dans le fonctionnement des études. « On ne peut même pas voter sur le projet pédagogique, les délégués étudiants n’ont qu’une voix consultative », regrette ainsi Morgan.
Sit-in et CRS
Après deux bonnes heures de marche, émaillées de sit-in, pour bloquer le boulevard du Montparnasse, le bruyant cortège est arrivé au ministère de la Santé où une délégation de cinq personnes dont Thomas Chrétien et Florence Lamaurt, respectivement président et secrétaitre générale de la Fnési, a été reçue par Raymond Le Moign et Michèle Lenoir-Salfati, du bureau Ressources humaines de la Direction générale de l’offre de soins. Au terme d’une heure et demie de rencontre, les délégués étudiants sont ressortis du ministère pour rendre compte des discussions aux manifestants plantés devant l’impressionnant cordon de CRS qui les tenait à distance. « Les évaluations vont être revues et modifiées », a commencé Thomas Chrétien, juché sur le camion-sono, mégaphone en main. « Les franchises d’absence (1) vont disparaître et seront remplacées par un autre système, (…) les Ifsi vont être équipés de vrais systèmes de visioconférences interactives », a-t-il poursuivi. « Aujourd’hui, c’est une grosse porte qui s’est ouverte, on a mis un putain d’coup d’pied dans la fourmilière », s’est époumoné le président de la Fnési, non sans appeler ses camarades à « maintenir la pression ». Il leur a ensuite donné « rendez-vous à la rentrée, si les choses n’avancent pas ». En, effet, a-t-il confié en aparté, « aujourd’hui on a été entendus parce qu’on était 10 000, mais au quotidien, on n’est pas entendus » et « les avancées d’aujourd’hui sont pitoyables par rapport aux attentes des étudiants ».
En effet, la seule « grosse avancée » revendiquée par la Fnési, la voici : le cabinet s’est engagé à garantir l’accès gratuit des étudiants infirmiers à tous les services universitaires (bibliothèque, restaurant, médecine, infrastructures sportives, etc.). Pour le reste, Thomas Chrétien regrette l’absence de progrès sur les questions sociales. « On veut des choses concrètes », a-t-il avancé, pas du « blabla ». Or, sur la question cruciale d’un alignement des bourses sur celles des étudiants de l’université (2), le cabinet a botté en touche : « Ils ont dit que ça bloquait à Bercy et se sont engagés à saisir le Conseil d’Etat à qui ils ont renvoyé la responsabilité de trancher sur le statut étudiant », a lâché, déçu, Thomas Chrétien.
Texte et photo : Cécile Almendros
1 – Actuellement, les étudiants ont droit à 210 heures d’absence sur trois ans.
2 – Selon la Fnési, les bourses des ESI sont aujourd’hui 20% moins élevées que celles de leurs homologues de l’université.