20/01/2010

Réinventer une psychiatrie « artisanale »

Psychiatres, infirmiers en psychiatrie, usagers et proches de patients se sont réunis à Lille pour s'élever contre la déshumanisation des soins et imaginer une autre façon de prendre en charges les personnes atteintes de troubles mentaux.

Les collectifs et organisations syndicales (1) qui ont organisé vendredi 15 janvier à Lille une Journée de défense de la psychiatrie de service public partagent une vive opposition à la conception « industrielle » et sécuritaire du soin psychiatrie qu'ils perçoivent dans les réformes engagées par le gouvernement et sa politique sécuritaire. Défenseurs d'une psychiatrie de secteur humaine et respectueuse des patients et des professionnels, ils les ont invités à « inventer ce qui fait le vif de nos pratiques et de nos réflexions », a résumé Pierre Delion, psychiatre (Lille), et affirmer toujours plus fort la prééminence des droits de la personne.

Et de sa dignité, une valeur essentielle explorée par Paul Brétecher, psychiatre (Corbeil-Essonnes), sous toutes ses facettes. Celle des soignants, pris entre les feux de la déontologie et du non nocere et ceux de contraintes externes croissantes, injonctions contradictoires et protocoles rigides. Pour les professionnels, cette dignité s'appuie selon le Dr Brétecher sur la dimension collective de la prise en charge. La dignité des patients, aussi, qui exige que les équipes prennent le temps de décrypter leurs messages parfois déroutants, et qu'il faut parfois restaurer chez les patients eux-mêmes.
 
Dignité
Le choix des personnes soignées de se s'auto-désigner « usagers », pas seulement en psychiatrie mais notamment au début de l'épidémie de sida, y contribue aussi. Il s'oppose au terme de « patient », issu d'une désignation extérieure, a souligné Bernard Durand, psychiatre et président de la Fédération Croix-Marine. Il coïncide avec l'investissement croissant des associations de proches et... d'usagers dans le débat public sur leurs droits. Oubliées dans l'élaboration de la loi de 1975 sur le handicap, elles se sont fait entendre dans celle de la loi du 11 février 2005.

Ce texte évoque, pour la première fois à ce niveau, le handicap psychique, une notion qui fait encore débat, et a permis la création de groupes d'entraide mutuelle (GEM). Ces groupes ont suscité l'engouement des usagers et constituent pour Bernard Durand « une révolution dont nous n'avons pas encore pris toute la mesure », estime-t-il. « C'est une utopie des usagers qui se concrétise actuellement, poursuit le président de la Croix-Marine, comme une réponse à leur besoin de lien social, extrêmement motivant. Certains en ont été transformés. »
 
Des GEM très utiles
Espaces de soutien mutuel hors de toute dimension médico-sociale ou soignante, ces GEM « peuvent avoir un effet thérapeutique » même s'ils ne sont pas des outils thérapeutiques, a-t-il assuré. Une précision nécessaire tant subsistent les interrogations des professionnels à l'égard de ces groupes et le souhait de certains de formaliser le concept de « pair aidant ». « Les plus militants, aujourd'hui, ce sont les familles et les usagers, a-t-il conclu. Ils ont acquis la légitimité pour demander des réponses que nous n'avons pas su imaginer car nous n'avions pas compris que nous ne pouvions pas avoir réponse à tout. »

Défendre la dignité des patients, c'est aussi s'interroger sur une éventuelle « obligation de soins », comme l'a fait Claude Louzoun, psychiatre (Hauts-de-Seine). La question se pose d'une manière un peu différente en psychiatrie qu'en médecine puisqu'elle fait intervenir dans la première la notion de dangerosité contre l'ordre public. « Le placement involontaire n'est pas une autorisation à traiter un patient contre son gré », estime le Dr Louzoun, qui s'élève contre la volonté de faire du patient psychiatrique un délinquant.

Optimisme juridique
Gilles Devers, avocat à Lyon et ancien infirmier, se montre profondément optimiste. « L'intrumentalisation de la peur » lancée par le gouvernement sur le plan législatif – au risque de rogner sur les libertés individuelles notamment celles des patients – s'emballe et sera bientôt contrée par l'appareil juridique français et européen. Car « la loi n'est légitime que dans le respect des principes », a-t-il rappelé, et les lois « sécuritaires » du gouvernement vont à leur encontre. Selon lui, « les psychiatres ne doivent pas rater ce rendez-vous ».

Géraldine Langlois

1- Union syndicale de la psychiatrie, SUD santé sociaux Nord-Pas-de-Calais, Appel des 39-La Nuit sécuritaire et Collectif refus de la politique de la peur.

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