17 décembre 2004, la ville de Pau se réveille en plein cauchemar. Une infirmière et une aide-soignante du Centre hospitalier des Pyrénées ont été sauvagement tuées dans la nuit, sur leur lieu de travail. Le meurtrier est introuvable. Plus de quatre ans après, ce fait divers atroce fait partie intégrante de la mémoire collective. Et n’a pas fini de poser question. Ce soir, à partir de 20h35, France 2 lui consacre une soirée spéciale en deux parties : l’émission « Faites entrer l’accusé : Romain Dupuy, les infirmières de Pau » suivie d’un débat intitulé « Que faire de nos criminels fous » ?
Psychiatres, gendarmes, enquêteurs de la police judiciaire, collègues infirmières des victimes, journalistes, sœur et veuf des victimes, avocats des deux parties, leurs témoignages se succèdent pour venir peindre un tableau d’une grande complexité humaine que l’institution judiciaire a été chargée, par la société, d’analyser. Sur le plateau de Faites entrer l’accusé, face à Christophe Hondelatte, deux témoins privilégiés : le procureur de la République de Pau Eric Maurel et Marie-Claire Dupuy, la mère de Romain.
L’émission a le mérite de reconstituer très précisément la chronologie des faits puis celle de l’enquête, alternant l’émotion des collègues de Chantal Klimaszewski et de Lucette Gariod, la détermination de leurs proches à obtenir « réparation » à travers un procès et la parole experte des psychiatres et des hommes de loi. De quoi y voir un peu plus clair dans l’horreur des faits.
Schizophrénie paranoïaque
Les différents témoins aident à dessiner les contours d’une terrible maladie psychique, la plus grande et la plus douloureuse, selon un des psychiatres : la schizophrénie paranoïaque. Le récit de Marie-Claire Dupuy, maman affligée de Romain Dupuy, est d’une désespérante conformité au discours et à l’expérience de nombre de parents de jeunes psychotiques qui se reconnaîtront sans doute dans son témoignage. S’exprimant très calmement, très posément, ce qui n’empêche pas la colère sourde face à un tel gâchis humain, la mère du jeune malade raconte les « dessins effrayants » de Romain à huit ans, les voix de zombies entendues par Romain à 18 ans et, la schizophrénie prenant « de plus en plus d’espace » dans la personnalité du jeune homme, le combat désespéré de sa famille dans les trois ans qui ont précédé la nuit tragique.
Avant son hospitalisation d’office à l’Unité pour malades difficiles (UMD) de l’hôpital psychiatrique de Cadillac en Gironde suite au double meurtre de Pau, Romain Dupuy, 21 ans au moment des faits, avait déjà effectué trois séjours en hôpital psychiatrique. Des séjours que sa mère décrit comme trop courts et trop peu accompagnés. C’est le parcours classique d’un jeune malade schizophrène qui nous est narré : les premières crises graves qui épouvantent et alertent la famille, la négation de la maladie par le jeune patient qui entraîne le refus de soin, qui entraîne la marginalisation et le repli sur soi.
Solitude des familles face à la maladie pyschique
Pendant ce temps, les proches marchent sur un fil, tenant l’enfant en déshérence à bout de bras et se heurtant à un mur. « Pendant trois ans, j’ai alerté tout le monde », raconte Marie-Claire Dupuy. « Hôpital, police, pompiers, j’ai tout noté, consigné chaque crise, noté les noms de tous les psychiatres que j’ai vus. Une fois, je me suis même présentée à l’hôpital psychiatrique avec une grande bouteille d’eau et un gros bouquin. Je leur ai dit que je ne bougerais pas tant qu’ils ne s’occuperaient pas de Romain, que si rien n’était fait, on allait le perdre. »
Aujourd’hui, Romain Dupuy est toujours hospitalisé d’office à l’UMD de Cadillac. « Il réagit très bien au traitement », affirme sa mère. Se rangeant à l’avis de huit experts psychiatres sur neuf, pour qui le discernement de Romain Dupuy était aboli au moment des faits, le juge a prononcé un non-lieu psychiatrique. Ce qui ne signifie pas que le crime n’a pas eu lieu, comme l’a malhonnêtement fait croire le président de la République Nicolas Sarkozy, rappelle l'avocat de Romain Dupuy, Me Christian Saint-Palais, mais bien qu’ « il n’y a pas lieu de statuer » car « il n’y a rien de plus terrible que d’envoyer les malades derrière des barreaux ».
C. A.