Mardi, entre 1,1 et 2,7 millions de Français ont protesté contre la réforme des retraites. Dans la rue, des infirmières disaient leur inquiétude.
Au moins 40 000 à Bordeaux, 32 000 à Toulouse, 27 000 à Marseille, et bien plus d'après les syndicats (1)… partout en France, les manifestations du 7 septembre ont fait le plein. A Paris, entre 80 000 et 270 000 personnes ont défilé. En tête de cortège, les infirmières anesthésistes battaient le pavé aux côtés de médecins anesthésistes-réanimateurs, d'urgentistes, de psychiatres et de pédiatres. Un peu partout, des IDE (plutôt discrètes) disaient leur inquiétude face à la réforme défendue par Eric Woerth à l'Assemblée. Elles se montraient très incertaines quant au «droit d'option» entre catégories A et B qui devrait être mis en œuvre ce mois-ci – chaque IDE hospitalière aura jusqu'en mars pour faire son choix (lire notre article).
Danièle, la quarantaine, exerce dans un service de pédopsychiatrie de Seine-Saint-Denis. « Je n'irai pas jusqu'à 60 ans, assure-t-elle. A cet âge-là, je ne me vois pas faire des activités en portant des sacs à dos, ou accompagner les enfants à la patinoire… » Elle pense donc, faute de mieux, quitter la profession à 57 ans, une fois tous ses trimestres acquis. Si elle reste en catégorie B, elle pourra toucher sa pension dès cet âge. Même si elle préférerait « partir à 55 ans », comme le fera certainement Marie-France, qui marche à ses côtés. « Si je suis venue manifester, c'est plutôt pour les collègues, dit-elle. Je m'en vais dans un an ou deux, donc je reste où je suis. » Toutes deux témoignent d'une pénibilité liée au bruit des enfants, « sept heures d'affilée ». Et les suppressions de poste n'arrangent pas les conditions de travail…
Manque d'information
Un peu plus loin, Sandrine, infirmière à Villejuif (94), syndiquée chez Sud santé-sociaux, déplore l'allongement de la durée de cotisation : « J'ai commencé à 25 ans, donc j'en ai au minimum jusqu'à 67 ans [pour partir avec le taux plein]. Je ne pourrai pas m'arrêter à 57 ans car je n'aurai pas mon quota.» Elle préfère attendre avant de choisir entre les deux catégories. «Pour le moment, toutes les informations que l'on a viennent des syndicats», observe-t-elle. Le décret mettant en œuvre le protocole du 2 février n'est pas encore paru, et les directions restent muettes. « Au bureau du personnel, ils sont incapables de nous expliquer ce que l'on va gagner et ce que l'on va perdre dans cette réforme. »
Même constat pour Marianne, la vingtaine, IDE en réanimation à Paris, à l'autre bout du cortège: «On ne connaît pas encore tous les tenants et aboutissants de cette réforme.» Elle se méfie tout de même de l'option "B", craignant un futur report de l'âge de départ: «Je ne crois pas vraiment qu'on pourra partir plus tôt, au final.» «Mieux vaut se faire payer davantage tout de suite», opine son amie Gwenaëlle. Elle a repéré «un peu de monde» de son hôpital dans la manifestation, mais trouve les autres infirmières «un peu défaitistes». «On est mal barrés, nous les jeunes!», s'inquiète-t-elle. De son côté, Marianne assure que « tous les pays européens ne mènent pas la réforme de façon aussi extrémiste que la France. En Allemagne, la retraite est à 65 ans [bientôt 67, ndlr], mais avec 35 ans de cotisation, pas 41.»
A quelques pas, Laure, trentenaire, exerçant en HAD, aimerait voir se profiler des postes adaptés aux fins de carrière. Imagine-t-elle travailler jusqu'à 60 ans, comme le veut l'option "A"? «Si on me met dans un bureau à partir de 50 ans, pourquoi pas. Mais pas en courant huit heures d'affilée, en soulevant des patients... » Près d'elle, Valérie, syndiquée depuis peu à la CGT, ajoute que «tout le monde n'a pas forcément envie de se présenter à l'école des cadres». Malgré les augmentations proposées, toutes deux craignent de se retrouver dans une catégorie « A moins », avec des salaires plus bas que ceux des enseignants, par exemple. Le "cadeau" a donc un goût amer : «On a voulu une reconnaissance de notre formation au niveau licence, pointe Valérie, mais ça a été un peu un prétexte pour faire passer d'autres choses…»
Texte et photo:
Nicolas Cochard
1- Selon les syndicats: 200 000 à Marseille, 100 000 à Bordeaux, 35 000 à Lyon.
En bref…
• Grévistes en hausse. Dans la fonction publique hospitalière, le taux de participation à la grève a été de 17,08%, selon le ministère de la Santé, cité par l'APM. C'est davantage que lors de la journée d'action du 24 juin (12,5%) .
• Quelques concessions? François Fillon a promis face aux députés UMP des «ouvertures en fin de semaine», notamment sur les emplois pénibles. Il a néanmoins appelé les parlementaires à «tenir la ligne» sur le report des limites d'âge.
• Bis repetita. Une nouvelle journée de mobilisation aura lieu le 23 septembre prochain.