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Santé physique, pensées suicidaires, difficultés financières : les étudiant(e)s en soins infirmiers (ESI) se sentent mal. C’est ce qui ressort d’une enquête nationale conduite par l’association SPS et la plateforme de révisions Réussis ton IFSI, dévoilée le 12 novembre à la Maison des soignants à Paris.
77 % des étudiant(e)s en soins infirmiers ont envisagé d’abandonner leur formation à l’IFSI. C’est l’un des chiffres clés mis en avant par l’enquête nationale(1), menée conjointement par l’association SPS (Soins aux professionnels de la santé) et Réussis ton IFSI. Parmi les raisons principales, il y a notamment l’anxiété liée aux stages (55 %), l’épuisement (44 %), une charge de travail élevée (29 %) ou encore l’anxiété liée aux examens (29 %).
Plus globalement, selon les résultats de l’enquête qui a recueilli 6202 réponses, « une part importante d’ESI fait face à des défis considérables durant leur cursus (épuisement professionnel, insatisfaction, mal-être, etc.), et ce malgré des motivations profondes et altruistes (aider les autres, intérêt pour les sciences, etc.) », rapporte Clément Thuillier, fondateur de Réussis ton IFSI. En cause : les conditions de formation – rythme intense, stages exigeants, etc. – qui sont sources de tension.
SANTÉ PHYSIQUE ET HABITUDES DE VIE
Sur le plan de la santé physique, 25 % des répondants la considère « mauvaise » ou « très mauvaise », avec une dégradation au cours des 3 années d’IFSI. Concernant le sommeil, l’alimentation ou l’activité physique, les chiffres sont alarmants puisque près de la moitié des ESI ne dorment qu’entre 5 et 6 heures par nuit. Un quart d’entre eux considèrent que leur alimentation est « mauvaise » ou « très mauvaise ». Et un quart ne se sent pas rassasié. S’ajoute à cela que l’inactivité physique touche près de 50 % d’entre eux, ce qui reflète une augmentation par rapport aux 40 % enregistrés en 2017 par la FNESI. Cette sédentarité serait même plus prononcée chez les ESI que dans le reste de la population française, où seulement 11 % d’adultes français déclarent ne pas pratiquer de sport…
PENSÉES SUICIDAIRES ET DIFFICULTÉS FINANCIÈRES
Plus de 25 % des répondants s’estime en mauvaise santé mentale et/ou a eu des pensées suicidaires au cours de l’année écoulée. Au sein des étudiant(e)s ayant eu des pensées suicidaires, 80 % indiquent avoir subi des violences, essentiellement psychologiques. Chez les étudiant(e)s ayant été victimes de violences, 85 % ont envisagé de quitter leur formation.
L’enquête qui s’est également penchée sur les difficultés financières et l’isolement social, dévoile qu’ils sont environ deux-tiers à avoir été contraints d’affronter des difficultés financières. Cette situation obligeant les trois-quarts d’entre eux à exercer une activité professionnelle parallèlement à leurs études et à leurs stages, ce qui peut, sur la durée, devenir épuisant. Tout cela est accompagné par un isolement social qui affecte plus de la moitié des sondés.
DES SOLUTIONS EXISTENT
Clément Thuillier, lui-même infirmier et ancien étudiant en IFSI, juge que cette situation plus que préoccupante pourrait être atténuée par la mise en place de mesures de soutien : « En ce qui concerne la santé physique, la mise à disposition de visioconférences et de webinaires avec des spécialistes apportant des conseils pratiques font figure d’actions bénéfiques et simples à mettre en place. »
Le déploiement d’un espace dédié à la santé mentale ainsi que des forums de discussions sécurisés pourrait être bénéfique pour renforcer le soutien psychologique.
« Enfin l’amélioration de l’accès aux aides financières, la mise à disposition d’informations sur les aides existantes, de conseils pour la gestion du budget, de partenariats avec les acteurs locaux, de forums de partage de bons plans sont des mesures pour atténuer ces difficultés », poursuit Clément Thuillier.
Il est à noter que l’enquête contient quelques points positifs – et donc des répondants satisfaits –, peu mis en avant durant la conférence de presse. On peut notamment citer la consommation de tabac des ESI qui a diminué. Elle est passée de 29 % de fumeurs quotidiens en 2008-2009 à 17 % aujourd’hui.
33 % des répondants déclarent ne jamais consommer d’alcool, tandis que 43 % en consomment occasionnellement, contre 62 % en 2008-2009. Ils sont 92 % des répondants à affirmer ne jamais consommer de substances illicites.
AGIR PLUS GLOBALEMENT
Comme l’a souligné Catherine Cornibert, directrice générale de l’association SPS : « Il faut faire bouger les lignes. Au-delà de cette enquête, à travers l’association SPS qui propose un accompagnement psychologique, anonyme et confidentiel de jour comme de nuit, avec un numéro vert d’urgence, nous construisons également une forme d’observatoire des professionnels de la santé et des étudiant(e)s en France. Nous recueillons des données telles que le motif des appels, leur nombre et leur durée, l’âge de la personne, le poste qu’elle occupe, complète-t-elle. Tout cela montre que, si l’on n’agit pas avec la mise en place de solutions de prévention, d’actions, d’aides institutionnelles et professionnelles, nous n’y arriverons pas. Nous allons porter cette enquête au niveau du ministère de la Santé avec lequel nous avons rendez-vous prochainement. Il faut que la mobilisation soit générale. »
DES RÉSULTATS À CONFORTER
Si l’ensemble de l’enquête est intéressant, il n’en demeure pas moins qu’elle comporte certains biais et limites non négligeables. Le dossier de synthèse souligne lui-même que, d’une part, la diffusion via des plateformes en ligne peut biaiser le profil des répondants et que, d’autre part, cet échantillon (bien que relativement large) pourrait surreprésenter les ESI confronté(e)s à des difficultés ou particulièrement impliqué(e)s. Et puis, les comparaisons aux enquêtes précédentes sont limitées par des contextes différents (pandémie, changements de formation) et d’éventuelles variations méthodologiques, notamment la formulation de certaines questions. Autrement dit, les résultats devront sans doute être confortés par des études complémentaires.
Élise Kuntzelmann
(1) Réalisée sur une période de 30 jours, du 18 mai 2024 au 16 juin 2024.