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Une récente mission sénatoriale a mis en lumière les carences françaises dans la prise en charge des femmes enceintes et des nourrissons. Sa présidente, la sénatrice et médecin Véronique Guillotin, nous expose la situation et présente ses recommandations.
La mission sénatoriale d’information sur « l’avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale » a entamé ses travaux en mars dernier, et ses deux principales chevilles ouvrières, les sénatrices Annick Jacquemet (présidente) et Véronique Guillotin (rapporteure), ont remis leur rapport à la mi-septembre. Ce document dresse un état des lieux sombre de la santé périnatale en France, pointant des indicateurs en deçà des standards européens et des structures fragilisées, notamment en termes de ressources humaines. Les deux sénatrices recommandent la réalisation d’un audit de l’offre de soins périnatals qui doit servir de base à une réorganisation en profondeur, notamment avec des plateaux techniques moins nombreux, et un renforcement de l’offre de proximité.
L’Infirmièr.e. Votre rapport dresse un tableau très sombre de la situation française, notamment en termes de mortalité infantile. Ces mauvais indicateurs ont-ils été une surprise pour vous ?
Véronique Guillotin. Oui, nous avons été assez surpris. L’idée de ce rapport était à l’origine de s’inscrire dans la suite du rapport de l’Académie de médecine de 2023, qui préconisait la fermeture de maternités en dessous d’un certain seuil d’activité. Comme dans toute mission sénatoriale, nous avons commencé par faire des auditions et des déplacements, et tout le monde nous a présenté ces chiffres inquiétants : non seulement nous ne sommes pas bien classés, nous sommes par exemple aux 21e et 22e rangs européens en matière de mortinatalité spontanée et de mortalité infantile, mais en plus la situation se dégrade. Et je précise qu’en plus de faire moins bien que des pays auxquels on a l’habitude de se comparer, notamment en Europe du Nord, nous faisons également moins bien que des pays tels que l’Italie.
Parmi les facteurs que vous avancez pour expliquer cette situation, certains sont liés aux déterminants sociaux de la santé. Quelles explications peut-on apporter sur ce sujet ?
V.G. Il y a effectivement des explications liées aux modes de vie, comme l’âge plus tardif du premier enfant. La fréquence de plus en plus importante de l’obésité et d’autres pathologies chez la femme sont un deuxième facteur d’explication. La précarité doit également être prise en compte, avec beaucoup de mères isolées, et sur certains territoires, beaucoup de femmes migrantes ou sans abri. Mais ces facteurs ne doivent pas servir d’excuse, car il s’agit en grande partie de phénomènes qui touchent toute l’Europe. Il reste vrai que ces grossesses compliquées nécessitent une surveillance plus importante qui pèse sur le système de soins.
Justement, parmi les autres facteurs d’explication de la mauvaise situation française, vous parlez de la « fragilité de l’offre de soins périnatals », et vous dénoncez un « lent pourrissement ». De quoi s’agit-il ?
V.G. On a une baisse de la démographie médicale et paramédicale sur certains métiers ou certaines branches de métier : pour les médecins, les infirmières puéricultrices, les sage-femmes, l’attractivité des carrières, notamment dans les salles de naissance, est de plus en plus préoccupante. Les professionnels qui veulent travailler dans des équipes solides, avec un rythme acceptable notamment en termes de garde, ont du mal à trouver. Cela fait que certaines équipes ne se sentent pas en sécurité. Et quand nous parlons de « lent pourrissement », c’est parce qu’on laisse fermer certains services quand il n’y a plus d’obstétricien ou plus de pédiatre, ce qui entraîne des ruptures de parcours et de suivi prénatal et post-natal, au lieu d’avoir une stratégie à dix ans permettant de voir où on pourra accoucher en toute sécurité.
Vous reconnaissez donc qu’il faut fermer certaines maternités ?
V.G. Il faut oser dire qu’il faut une réorganisation et qu’il faut privilégier la sécurité. Il y a certaines maternités qu’il faut fermer, par exemple en dessous de 300 naissances par an. Mais le nombre de naissance ne doit pas être le seul critère. Il peut y avoir une maternité qui fait seulement 800 naissances par an, mais où les équipes sont stables, où tout roule, et dans ce cas il n’y a pas de raison de la fermer. En revanche, quand on voit des situations où, par exemple, les établissements font trop systématiquement appel à l’intérim, où l’on peine à recruter, on peut faire porter le risque sur les femmes et les enfants, il faut donc fermer. Mais fermer le plateau technique d’accouchement ne signifie pas qu’il faut tout fermer. Il faut au contraire maintenir, voire accentuer l’offre de soins prénatals et post-natals. Le tout en formant davantage, en rémunérant mieux, et en travaillant sur l’attractivité bien sûr. Il ne faut surtout pas croire que les jeunes professionnels d’aujourd'hui travailleront comme hier.
Quelles sont vos recommandations en concernant les infirmières ?
V.G. Il faut bien sûr travailler sur l’attractivité de ce métier, mais avant cela, il faut réviser les décrets de 1998 sur le taux d’encadrement. Les infirmières se retrouvent souvent dans des situations où elles s’estiment maltraitantes du fait du manque d’encadrement, et c’est souvent l’une des raisons pour lesquelles on peine à les fidéliser dans les services. Par ailleurs, les infirmières puéricultrices n’ont pas de possibilité d’acte à domicile, et donc pas d’activité libérale possible, nous pensons que cela devrait être le cas. Enfin, on se rend compte que les services de PMI (Protection maternelle et infantile), qui sont essentiels dans le suivi post-natal et dans lesquels travaillent beaucoup d’infirmières, sont en train de s’affaisser. Il nous paraît donc essentiel de les renforcer pour leur donner les moyens de remplir leurs missions.
Propos recueillis par Adrien Renaud