La réforme des soins psychiatriques sous contrainte a bousculé les établissements au cœur de la torpeur estivale. Témoignages de soignants après un mois de rodage.
Pour les juilletistes comme pour les aoûtiens, la réforme des soins sans consentement n’est pas passée inaperçue parmi les professionnels des établissements de santé spécialisés en psychiatrie. Avant le 1er août – date de l’entrée en vigueur de la loi –, c’est l’anticipation des changements à venir qui a mobilisé les équipes à coup de réunions d’information et de coordination tous azimuts. Après, il a fallu, bon an mal an, passer aux travaux pratiques.
Dans les établissements de soins psychiatriques, l’organisation des services a surtout été impactée par l’obligation d’organiser un entretien systématique entre tout patient hospitalisé contre son gré et un juge des libertés et de la détention (JLD) au plus tard quinze jours, puis six mois après la décision de privation de liberté. Trois possibilités pour cela: soit le patient se rend au tribunal, soit le JLD se déplace à l’hôpital, soit encore, l’entrevue se déroule par visioconférence. D’un établissement à l’autre, selon les contraintes géographiques et de transport, la disponibilité et la bonne volonté des juges, l’une ou l’autre des options a été privilégiée. Le recours à la visioconférence, que nombre de psychiatres et soignants réprouvaient en raison de ses effets potentiellement désastreux sur des malades psychotiques, semble avoir été largement boudé.
Sous-effectif
Dans les cas où l’audience au tribunal a été privilégiée, comme au CHS Montperrin d’Aix-en-Provence, il a donc fallu affecter des soignants à l’accompagnement des patients hors les murs de l’établissement. « Toujours un infirmier, éventuellement deux, et un aide-soignant », précise Christine Abad, cadre supérieure de santé. « En fonction de la situation clinique du patient, le juge prend plus ou moins le temps de rencontrer la personne. Il lui fait part des pièces qu’il a en sa possession. Parfois un avocat est présent », témoigne la soignante.
Cette réforme devant s’appliquer sans moyens supplémentaires, rappelle Christine Abad, ces accompagnements vont dépeupler les services de leurs effectifs soignants pourtant « de plus en plus réduits ». Il existe bien des enveloppes budgétaires pour d’éventuelles heures supplémentaires, mais dans un contexte où « les établissements sont pour beaucoup engagés dans des plans de retour à l’équilibre », ces réserves ont tendance à se réduire fortement, note la soignante. Et de s’interroger, dès lors, sur l’avenir de « la sécurité dans les unités de soin ». « En termes de ratio », poursuit-elle, cela fera d’autant moins de temps soignant pour assurer « tous les accompagnements que nous faisons en vue de la réinsertion de nos patients ».
Ailleurs, ce sont les juges qui se déplacent. Ainsi, dans le Rhône, le JLD se rend un jour par semaine dans chacun des trois hôpitaux psychiatriques du département, indique Annick Perrin-Niquet, cadre supérieure de santé au CHS Saint-Cyr-au-Mont-d’or. Dans chaque établissement, le jour d’audience est fixe, ce qui n’est pas sans poser de problèmes en cas de transfert : si un patient en hospitalisation contrainte est transféré dans un autre hôpital et que l’échéance des quinze jours est très proche, mais que le jour hebdomadaire dévolu aux audiences est déjà passé dans l’établissement d’arrivée, il faut alors, en urgence, emmener ce patient voir le juge à l’extérieur, témoigne Annick Perrin-Niquet. Dans ce genre de cas, l’organisation des soins peut ponctuellement se retrouver en sous-effectif, acte-t-elle. Et pour peu que la personne se soit mis en tête d’être "libérée" par le JLD, si jamais le juge maintient l’hospitalisation – ce qui se produit dans la plupart des cas – le patient, déçu, peut se montrer très agité, voire agressif sur le chemin du retour, poursuit-elle. Dans ces cas-là, un trajet de cinquante minutes peut sembler très long… « On préfère vraiment que ça se passe dans l’enceinte de l’hôpital », tranche Annick Perrin-Niquet. « Cela garde un côté sécurisant. »
Audiences publiques
Mais, quelle que soit l’option choisie, « dans les quinze premiers jours, la personne n’est pas toujours à même de comprendre » ce qui lui arrive, estime Christine Abad. En outre, le fait que les audiences soient publiques en choque plus d’un. Même si, « à part quelques curieux », la foule des anonymes ne se précipite pas pour assister à ces audiences, relativise Olivier Mans, cadre supérieur de santé au CHS de Caen. Il n’en reste pas moins que les hôpitaux ont dû installer une signalétique dans leurs halls pour guider les citoyens vers ce lieu particulier.
Autre grief : l’inflation spectaculaire du nombre de certificats médicaux à rédiger avec notification systématique au patient. En effet, l’instauration de soins ambulatoires sans consentement s’accompagne de l’obligation de rédiger des certificats pour chaque changement de régime, puisque ces soins ambulatoires ne peuvent se faire que sous réserve de l’élaboration d’un programme de soins, même pour une durée très courte. De ce point de vue, certains soignants estiment avoir perdu en souplesse. « Chaque fois que le médecin veut autoriser la personne à tenter une sortie, cela nécessite de rédiger un programme de soin. Ce qui fait que, sur une semaine ou quinze jours, on peut être amené à faire plusieurs programmes de soins », explique Christine Abad. Cela requiert « une grande coordination entre le secrétariat et les équipes de soin », constate-t-elle. Pour un patient hospitalisé sous contrainte qui doit faire une sortie sport à l’extérieur, il faut par exemple refaire un certificat médical, renchérit Annick Perrin-Niquet. « Avant, c’était très rapide. »
Au-delà de cet aspect pratico-administratif, « le travail qu’on faisait auparavant, dans le cadre des sorties d’essai négociées, est maintenant très encadré, on doit rendre compte de tout. On sort de ce colloque singulier qui existait entre le patient, le psychiatre et l’équipe soignante », semble regretter Christine Abad.
Cécile Almendros