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18/12/2024

SYLVAINE MAZIÈRE-TAURAN : « IL Y A UN SENTIMENT D’IMPUNITÉ CHEZ LES HARCELEURS »

INTERVIEW. L’Ordre national des infirmiers a présenté la semaine dernière les résultats de leur enquête sur les violences sexuelles et sexistes à l’encontre des infirmiers. Sa présidente, Sylvaine Mazière-Tauran, revient pour L'INFIRMIÈR.E sur les résultats et les leviers d’action dont la profession dispose : écoute, déclaration, signalement, plaintes...

Menée en ligne auprès de plus de 21 000 infirmières, la consultation de l’Ordre national infirmier (ONI) met en évidence un fort niveau de violence. 49 % des personnes interrogées déclarent avoir déjà subi des violences sexuelles ou sexistes allant des réflexions inappropriées au viol, et 34 % estiment que ces faits ont eu un impact sur leur santé. 38 % des victimes disent n’avoir entrepris aucune démarche, et ceux qui l’ont fait se sont majoritairement tournés vers leurs collègues (57 %) ou leurs proches (39 %). 36 % des victimes expliquent leur silence par la crainte de répercussions sur leur exercice ou leur carrière.

QUEL EST LE PRINCIPAL ENSEIGNEMENT QUE VOUS TIREZ DE CETTE CONSULTATION ?
Ce qui frappe le plus, c’est que près de la moitié des répondants déclare avoir été victime d’au moins un type de violence. Nous sommes donc face à un phénomène dont la prévalence est assez effrayante.

LES VIOLENCES SEXUELLES ET SEXISTES PEUVENT RECOUVRIR PLUSIEURS TYPES DE FAITS : DE QUOI PARLE-T-ON EXACTEMENT ?
Il y a bien sûr une gradation. Dans la majeure partie des situations, il s’agit de réflexions inappropriées. Viennent ensuite les outrages, les propositions sexistes, les propos dégradants. Enfin, 4 % des répondants disent avoir été victimes d’agression sexuelle et 0,13 % de viol.

PEUT-ON SE RÉJOUIR DU FAIT QUE L’IMMENSE MAJORITÉ DES VIOLENCES DONT ON PARLE SOIENT VERBALES ET NON PHYSIQUES ?
La majeure partie de ces agressions sont verbales, mais cela s’inscrit dans un contexte de très haut de niveau de violence, comme l’a montré une autre enquête que nous avons publiée l’année dernière. On est donc de façon permanente dans un climat de violence qui reste un marqueur fort de la situation des professionnels de santé…

QUELLES SONT, SELON VOUS, LES CAUSES DE CETTE FORTE PRÉVALENCE DES VIOLENCES SEXUELLES ET SEXISTES ?
Il semble certain que la culture carabine, avec cet usage qui veut que les questions de sexualité puissent faire l’objet de plaisanteries, devient assez difficile à subir. Il existe par ailleurs toujours des stéréotypes inacceptables concernant la profession infirmière : ce sont des professionnels qui n’ont pas à subir des réflexions qui peuvent être vécues par les auteurs comme de l’humour, mais qui ne sont pas vécues comme telles par les victimes.

L'ENQUÊTE MET EN ÉVIDENCE DE LA PART DES INFIRMIÈRES UNE FORME DE RENONCEMENT À AGIR FACE À CES VIOLENCES…
Oui, c’est l’un des points significatifs de cette étude : la parole ne circule pas. On voit que ces violences ont des impacts sur leur vie personnelle, sur leur vie professionnelle, cela entretient un sentiment d’insécurité au travail, mais il y a une forme de résignation. Il y a très peu de déclarations, et la majorité des victimes n’entreprend aucune démarche. Il peut y avoir des discussions au sein des équipes, des familles, mais cela ne va pas plus loin. Seulement 2 % des victimes déposent une plainte ou une main courante, c’est nettement insuffisant devant l’ampleur du phénomène, et cela donne un sentiment d’impunité pour les harceleurs.

COMMENT LUTTER CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES ET SEXISTES ?
Face à la résistance à déclarer, il nous paraît important d’avoir, sur ou à proximité des lieux de travail, des endroits qui permettent au professionnel de trouver une écoute bienveillante. Il faut donc des professionnels formés, hors de la ligne hiérarchique, car les infirmières parlent souvent des conséquences que les faits pourraient avoir sur leur carrière : quand il y a harcèlement, c’est souvent la victime qu’on éloigne, et elle est donc victime deux fois. Il faut aussi que nos collègues libéraux aient un lieu d’expression, qui pourrait être à l’ARS (Agence régionale de santé) ou à la CPTS (Communauté professionnelle territoriale de santé), par exemple.

QUEL EST LE RÔLE DE LA FORMATION DANS LA LUTTE CONTRE CES VIOLENCES ?
C’est un point important. Il faut non seulement, dès la formation initiale, mettre les étudiants en mesure d’identifier cette problématique et d’identifier ce qui n’est pas acceptable. Il faut également, via la formation continue, pouvoir toucher toutes les catégories d’intervenants, et pas uniquement les infirmiers : les personnels administratifs, les directions, doivent pouvoir se former. C’est notamment pourquoi nous avons proposé d’inscrire, dans les critères d’évaluation et de certification des établissements, la politique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

COMMENT MIEUX SANCTIONNER LES AUTEURS DE VIOLENCES ?
Il faut d’abord travailler sur le signalement, pour lutter contre l’impunité. Il faudrait également des mesures plus fermes d’éloignement, des sanctions administratives et disciplinaires, et pour cela nous avons besoin d’un peu plus de fluidité. Il y a une circulaire de 2013 qui définit les relations entre police, justice et ordres professionnels, mais on se rend compte dans certaines situations qu’on fait face à des cas de récidive : certains auteurs de violence qui avaient déjà eu des problématiques se retrouvent sur d’autre terrains, et personne n’en est informé.

QUEL RÔLE DOIT JOUER L’ORDRE FACE À CES VIOLENCES ?
Nous avons des référents « entraide » qui sont là pour accompagner les victimes. Il existe un système sur l’espace personnel de l’infirmier [sur le site de l'Ordre], qui permet de déclarer, et de demander de l’aide. Nous pouvons réorienter les personnes sur des dispositifs d’accompagnement psychologique ou juridique si nécessaire. Dans les cas les plus difficiles, l’Ordre a la possibilité de se porter partie civile. Enfin, au niveau disciplinaire, nous pouvons travailler avec les parquets pour la bonne marche de procédures.

Propos recueillis par Adrien Renaud

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