Le parquet et les victimes de l'amiante demandent des comptes aux industriels. Ce procès historique pourrait créer un précédent et donner un espoir aux victimes partout en Europe.
A Turin, un procès hors norme s'est ouvert voici trois mois. Il oppose les industriels aux 6392 victimes professionnelles et environnementales de l'amiante, constituées parties civiles. Les 25 janvier et 8 février derniers se sont tenues les premières auditions publiques.
Deux anciens dirigeants de la multinationale Eternit, leader mondial de la toiture en fibro-ciment, sont accusés de catastrophe environnementale intentionnelle et d'avoir enfreint les règles de la sécurité au travail. L'Etat italien est également cité à comparaître pour responsabilité civile.
Dans les communes où se trouvaient les cinq usines italiennes de cette entreprise, l'amiante était partout. Casale Monferrato (36 000 habitants), notamment, était traversée par des camions non confinés. L'entreprise offrait ses déchets gratuitement aux habitants, qui les ont utilisés pour les soubassements de maison, de parcs, de chemins et de jardins.
Retombées internationales ?
Près de trois mille morts et malades (1), ouvriers et habitants, pèsent dans la balance. Et les inculpés risquent jusqu'à treize ans de prison. La somme totale des dédommagements demandés s'élève à 5 milliards d'euros. « Nous assurons un soutien actif [aux parties civiles] en nous déplaçant à Turin, comme le 28 avril prochain pour la Journée mondiale pour la santé au travail, fait valoir Pierre Pluta, vice-président de l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva). En France, nous attendons un tel procès depuis treize ans. Pourquoi ce qui se passe en Italie ne peut-il avoir lieu ici ? »
Le jugement italien est attendu pour mai 2011. D'ici-là, de notre côté des Alpes, la jurisprudence pourrait connaître des avancées. Fin novembre, un ancien dirigeant français d'Eternit a été mis en examen pour homicides et blessures involontaires dans l'enquête sur la mort d'une vingtaine de salariés du groupe dans des usines françaises. Pour la première fois, un industriel de la filière est visé, et non plus un utilisateur d'amiante.
Sophie Magadoux
1- On déplore à l'heure actuelle plus de 2 000 décès et plus de 800 cas de cancers, souvent incurables. Et une quarantaine de nouveaux mésothéliomes se déclarent chaque année.
Vigilance accrues sur les déchets
La phase de désamiantage, extrêmement longue et coûteuse, pose encore problème. En France, où l'utilisation de l'amiante est interdite depuis 1997, la valeur limite d’exposition professionnelle sera modifiée courant 2010, comme le recommandait l'Afsset en 2009. Pour ce faire, jusqu'en mai 2010 s'effectue une campagne expérimentale de prélèvements et de mesures des fibres d’amiante par microscopie électronique à transmission analytique en milieu professionnel. Car désormais, les fibres courtes et les fibres fines (jusqu’à 20 % des nuages d’amiante) sont considérées comme cancérogènes, et comptées. En France, 107 000 travailleurs sont concernés dans le cadre du désamiantage, et 2 millions dans celui des activités de maintenance et d'entretien (INRS, 2007).
Pour aller plus loin: Le dossier sur l'amiante du site de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS).