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Faute d’urgentistes, plusieurs services d’urgences ont dû fermer totalement ou partiellement cet été. Des fermetures qui s’expliquent par des tensions sur les ressources humaines… et qui se traduisent en tensions avec les responsables politiques.
« La situation est plus grave que l'été dernier parce qu'elle touche dorénavant tous les départements de France, des gros services et des petits services. » La petite phrase, lâchée le 15 août dernier sur Europe 1 par le Dr Marc Noizet, chef des urgences de Mulhouse (Haut-Rhin) et président du syndicat Samu - Urgences de France, a fait son petit effet. Il faut dire que l’été 2022 était déjà resté dans les mémoires des personnels des urgences comme particulièrement tendu. Mais il semblerait qu’en 2023, un nouveau palier ait été franchi.
« On n’a jamais connu autant de fermetures de structures de médecine d’urgence », confirme le Dr Agnès Ricard-Hibon, porte-parole de la Société française de médecine d’urgence et Cheffe du Samu-smur et des urgences de Beaumont/Oise (Val d’Oise). La raison de cette situation inédite ? « Les professionnels de santé fuient l’hôpital, découragés par l’absence de décision en faveur de la qualité et de la sécurité des soins », accuse l’urgentiste.
Fermetures aléatoiresIl est vrai que l’ambiance dans les établissements est loin d’être au beau fixe. « Les fermetures se font de façon aléatoire, au dernier moment, explique Anabelle Étienne, secrétaire départementale de la branche santé de Force Ouvrière en Vendée et infirmière au CH de La-Roche-Sur-Yon. Le week-end dernier, par exemple, les urgences de Luçon et de Fontenay-le-Comte étaient fermées. Tout dépend des désistements des médecins, on n’a jamais l’assurance qu’ils vont venir. »
Et même dans les endroits où l’on a observé un léger mieux, la situation est tout sauf satisfaisante. « Alors que nous étions fermés toutes les nuits, nous avons pu rouvrir les veilles de week-end depuis le mois de juin, constate Patricia Duthé, aide-soignante et secrétaire générale CGT à l’hôpital de Draguignan (Var). C’est un petit peu mieux, mais on reste loin du compte, un service d’urgences devrait être ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et 365 jours sur 365. »
Une dédramatisation qui irriteDu côté des politiques, cependant, on cherche à dédramatiser. « Je ne dirais pas que la situation est plus grave que l'an dernier, déclarait à la mi-août sur France Info le ministre de la santé, Aurélien Rousseau. Elle est toujours tendue et elle le sera après l'été aussi, on a un sujet de disponibilité de professionnels de santé. On a partout sur le territoire des zones de tension, mais aujourd'hui, on les anticipe mieux. »
Une attitude rassurante qui a le don d’irriter les professionnels. « Notre ministre a beau dire que tout va bien, on voit bien qu’on est dans une situation qui n’avance pas », déplore Anabelle Étienne. Et c’est parfois même une certaine défiance qui s’exprime. « On se demande parfois si la feuille de route des directions n’est pas tout simplement de fermer des lits et des services », avance Patricia Duthé.
DécouragementD’après Agnès Ricard-Hibon, les autorités sanitaires sous-estiment dangereusement la gravité de la situation. « Le ministre dit qu’il n’y a pas davantage d’évènements indésirables graves, mais il y a une sous-déclaration manifeste, détaille-t-elle. Quand on fait une déclaration d’évènement indésirable, il faut qu’ensuite on mette en place des mesures correctrices, or celles-ci ne sont pas à notre main. »
Le résultat, en plus de la sous-déclaration, est une forme de découragement. « On voit des patients qui passent la nuit sur des brancards, or il a été démontré que cela engendre une surmortalité, poursuit l’urgentiste. Les soignants ne le supportent plus : ils sont là pour améliorer la santé, pas pour l’aggraver. Ils ne voient aucune mesure annoncée, et les rares professionnels qui restent se découragent d’autant plus vite. » Un cercle vicieux que les autorités sanitaires vont avoir du mal à briser.