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La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a remis mi-novembre, après trois années de travail, son rapport « Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit ». Repérage, traitement judiciaire, réparation incluant le soin et prévention : les 82 préconisations prônent un changement total du fonctionnement de la société et des instances pour protéger les enfants. Quelle place pour les infirmières ? Peggy Alonso, présidente de l’Association nationale des puéricultrices(teurs) diplômé(e)s et des étudiants (ANPDE) partage son point de vue.
Quel regard portez-vous sur le rapport de la Ciivise ?
Les auteurs du rapport prônent des mesures fortes notamment celles modifiant la loi pour permettre par exemple la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle incestueuse contre son enfant, le retrait systématique de l’autorité parentale en cas de condamnation, ou encore l’imprescriptibilité des viols et agressions sexuelles commis contre les enfants. Aujourd’hui, notre système de protection n’est pas adapté. Les préconisations dans le domaine de la prévention sont également importantes. Il faut investir ce champ afin d’intervenir le plus précocement possible et mettre l’accent sur l’information des enfants, sur leur corps et sur les personnes ressources vers lesquelles ils peuvent se tourner en cas de problème. Toute la vision sociétale sur le phénomène doit changer.
La Ciivise insiste sur le repérage et préconise le questionnement systématique de l’enfant par les professionnels de santé à son contact pour en savoir plus sur la vie à la maison…Cette solution est réelle et rejoint la question systématique posée aux femmes concernant les violences conjugales. Cela ne devrait plus être un sujet et devrait être rentré dans les pratiques professionnelles de tous les soignants. Mais sur le terrain, ce n’est pas encore le cas. Pour les enfants, la situation est identique. La mise en place de ce questionnement systématique doit toutefois s’accompagner d’une formation des professionnels afin qu’ils sachent comment aborder cette question avec les enfants et surtout, comment agir en fonction de la réponse. Il est nécessaire de disposer d’un réseau, de partenaires pour orienter en cas de doute ou de confirmation d’un cas d’inceste ou de violences sexuelles.
Quelle est la place des infirmières puéricultrices dans ce domaine ?La prise en charge des enfants requiert des personnes formées et spécialisées dans la petite enfance. C’est notre rôle. Les infirmières puéricultrices, par leur formation et leurs compétences, savent comment « approcher » l’enfant et interagir. Nous détenons la capacité de détecter les troubles, de déceler des signes liés à des problématiques de développement, des difficultés psychologiques, un mal-être. Dans nos différents lieux d’exercice, nous devons pouvoir repérer et nous devons aborder le sujet dès lors que nous sommes au contact de l’enfant. Aujourd’hui encore, des professionnels reconnaissent ne pas faire d’information préoccupante [information transmise à la Cellule de recueil et de traitement des informations préoccupantes pour alerter sur la situation d'un mineur, NDLR]. Ce n’est pas possible ! Je ne peux pas croire que des professionnels travaillant au quotidien auprès des enfants n’aient jamais été confrontés à des cas de maltraitance. Certaines personnes, même des professionnels, pensent encore que ce qui se passe à la maison ne nous regarde pas. D’autres craignent de se tromper. Or, face au doute vis-à-vis de ce que peut vivre un enfant, les professionnels ne peuvent pas rester sans rien faire. Cela passe aussi par la protection des professionnels qui alertent. Le fonctionnement de notre société sur cette question doit changer.
De quoi avez-vous besoin concrètement ?Les infirmières puéricultrices en particulier savent dépister mais nous sommes demandeuses d’outils spécifiques pour communiquer avec l’enfant sur ce sujet, pour mener un travail d’entretien, pour la suite de la prise en charge et pour l’orientation. Les professionnels ne doivent pas et ne peuvent pas rester seuls avec cette information. Il faudrait des référents, des personnes formées pouvant accompagner leurs collègues. En termes de leadership, les infirmières puéricultrices peuvent se saisir de cette question. Nous espérons vraiment que des suites concrètes vont être données à ce rapport.
Pour lire l’intégralité du rapport de la Ciivise : https://www.ciivise.fr/wp-content/uploads/2023/11/VERSION-DEF-SUR-LE-SITE-1611.pdf