À Toulouse, en mars et avril, des intérimaires ont dû corriger
près de 30 000 copies venant de toute la France au rythme infernal
de dix par heure. Les candidats craignent une correction bâclée.
Chaque année, les concours d’entrée des formations en soins infirmiers attirent des dizaines de milliers de candidats. Pour corriger dans les temps les copies de l’épreuve écrite, de nombreux Ifsi ont choisi de faire appel à des sous-traitants, dans des conditions parfois discutables. À Toulouse (Haute-Garonne), en mars et avril, plus d'une trentaine d'intérimaires ont ainsi été recrutées par l'agence d'interim Temporis, au nom de la SARL 3C Conseil.
Durant six semaines, ces diplômées en lettres, en communication ou encore en sciences, toutes de niveau bac + 4 à bac + 5, ont noté quelque 30 000 copies de l’épreuve de culture générale déversées par des camions venus de la France entière.
« Pas assez rapide »
Pour chaque sujet, les intérimaires se sont d’abord entraînées en notant des exemples de copies avec le responsable, à l’aide de grilles de correction fournies ou non par l’Ifsi. Mais la quantité de travail est telle que la cadence devient infernale. « Le rythme minimum, c’était dix copies de l’heure, à 35 heures payées au Smic, témoigne l’une de ces correctrices intérimaires. L’ironie, c’est qu’on a corrigé des sujets portant sur les troubles mentaux au travail ou la précarité des jeunes ! »
Sur la trentaine du départ, seules une douzaine sont allées jusqu’au bout. « J’allais à mon rythme. On m’a dit que je ne tenais pas les délais, que je n’étais pas assez rapide. J’ai été congédiée au bout de quatre semaines, sans avertissement », révèle cette jeune diplômée en édition. À sa connaissance, aucune des correctrices n’était une professionnelle de santé.
Au-delà de ces conditions de travail précaires, la qualité de la correction pose question. « On avait trop de copies à traiter trop vite. C’est forcément mal fait. À la fin de la journée, quand on a corrigé 70 copies, on en a assez de déchiffrer », confesse la correctrice. L’une de ses collègues lui a avoué que pour tenir la cadence, elle jugeait d’un hors sujet à la seule lecture de l’introduction et de la conclusion.
3000 candidats à Toulouse
L’affaire, révélée par La Dépêche du Midi, a suscité l’indignation de nombreux candidats. « Ce sont donc des heures de travail et plusieurs mois de préparation qui sont anéantis en cinq minutes par des correcteurs qui ne semblent pas formés », lâche une étudiante sur le site du quotidien, rappelant que l’inscription aux concours coûte, en moyenne, une centaine d’euros. « 3 000 élèves à Toulouse […], calculez le bénéfice que fait l’Ifsi sur le dos de ces pauvres candidats », renchérit une infirmière dont la fille a passé des concours.
L’eurodéputée Christine de Veyrac (Union des démocrates et indépendants) réclame, quant à elle, une nouvelle correction, « avec des copies lues du début à la fin ». « À l’Ifsi de la Croix-Rouge de Toulouse, ils corrigeaient 25 copies par jour. Je ne vois pas comment on peut en corriger 70 convenablement », s’est-elle indignée. Une revendication également portée par un groupe Facebook (1) rassemblant quelque 160 aspirants infirmiers.
« Contrôle qualité »
Pointé du doigt, le CHU de Toulouse brandit l’article 15 de l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au DE d’infirmier, qui précise que « la correction est organisée par le directeur de l’institut de formation. Il peut faire appel à des personnes qualifiées sur la base d’un cahier des charges qui comprend notamment des grilles de correction. » Dans un communiqué, la direction affirme que « l’Ifsi procède à un contrôle qualité par une double correction d’un échantillon de 20 copies » et qu'« aucun écart significatif n’a été constaté dans les résultats ». La société 3C conseil est un « organisme reconnu et validé par le Cefiec » (2) auquel ont fait appel « plus de 60 Ifsi de France ». D’autres sociétés du même genre auraient aussi fourni ce type de service…
Aveline Marques
1. « Scandale sur les concours infirmiers ? »
2. Malgré nos tentatives, nous n’avons pu joindre ni 3C Conseil, ni le Cefiec (Comité d'entente infirmières et cadres).
Article à paraître dans le supplément Campus n°22 de L'Infirmière magazine.