L'infirmière libérale magazine n° 171 du 01/05/2002

 

Formation continue

Prendre soin

La mise au point récente d'un traitement curatif efficace, dont la Conférence de consensus organisée les 27 et 28 février derniers vient de préciser et élargir les indications, impose aujourd'hui de redoubler d'efforts pour améliorer le dépistage du VHC, permettre une prise en charge précoce de la maladie et prévenir ses complications. Un objectif face auquel l'infirmier-conseil peut jouer un rôle incitatif, d'autant plus important que la prise en charge de l'hépatite C offre aujourd'hui, dans 50 % des cas, des perspectives de guérison.

En France, entre 400 000 et 500 000 personnes ont été contaminées par le virus de l'hépatite C (VHC), dont plus d'un tiers, faute d'un dépistage suffisant, ignorent leur maladie. Longtemps, la médiocrité des résultats thérapeutiques a constitué l'un des principaux freins au dépistage. L'arrivée récente (1999) d'une bithérapie efficace constitue une véritable chance pour les porteurs du VHC et doit inciter tous les acteurs de santé libéraux à redoubler d'efforts pour « aller à la recherche des patients qui s'ignorent »1. Car seule une prise en charge précoce permet d'éviter que la maladie n'évolue vers des lésions sévères à type de cirrhose ou d'hépatocarcinome2.

Cibler les sujets à risque

Nombreux sont les patients qui ont pu être exposés à une contamination par le VHC et pour lesquels un dépistage s'impose, y compris lorsqu'ils ne présentent aucun signe clinique évocateur (ictère, asthénie importante prolongée et inexpliquée notamment)3. En premier lieu, il s'agit des sujets ayant reçu du sang, des produits sanguins ou une greffe de tissu, de cellules ou d'organe, avant 1992. Jusqu'à cette période, avant que le dépistage des anticorps anti-VHC sur tous les dons du sang soit systématique, la transfusion sanguine constituait en effet le mode majeur de contamination. Sont ainsi concernés tous les patients traités par transplantation d'organe, facteur anti-hémophilique ou facteur Willebrand (composant du sang administré à certains malades ayant des troubles de la coagulation) et hémodialyse, ou ayant connaissance d'une transfusion antérieure à cette date. Le dépistage doit aussi concerner les personnes prises en charge en réanimation ou ayant subi une intervention chirurgicale (orthopédique, cardiaque, vasculaire, digestive ou urologique), une hystérectomie, une mammectomie, ou toute opération d'une durée de plus de 2 heures ou effectuée en urgence et susceptible d'avoir donné lieu à une transfusion sans que le patient en ait été expressément informé. Fort heureusement, depuis cette date, la contamination par transfusion est devenue exceptionnelle. En revanche, la toxicomanie, occasionnelle ou durable, occupe aujourd'hui la pole position des vecteurs de transmission du virus C. « Elle représente actuellement environ 70 % des nouvelles contaminations annuelles », indique le Dr Françoise Roudot-Thoraval, service de Santé publique (Hôpital Henri Mondor, Créteil), et concerne les patients ayant fait ou faisant usage d'héroïne, de cocaïne ou de médicaments détournés quels qu'en soient les modes d'administration. Pour les toxicomanes actifs, un dépistage du VHC doit donc être pratiqué régulièrement. Concernant la contamination nosocomiale, bien que le recours à l'usage unique et les recommandations pour la désinfection du matériel médico-chirurgical se soient considérablement développés, cette voie de transmission ne doit pas être exclue. Tout antécédent d'acte invasif (endoscopie, biopsie) doit suggérer un dépistage, compte tenu des risques résiduels encore incomplètement maîtrisés, notamment avant 1997. De même, quelle que soit l'année de naissance, les enfants nés de mère positive pour le VHC4 et les personnes détectées séropositives pour le VIH ou le VHB, doivent être systématiquement dépistés pour le VHC. Enfin, certains actes ou certaines pratiques de la vie courante peuvent également constituer une porte au VHC. Cela concerne : les soins par acupuncture ou mésothérapie (lorsque le matériel n'est pas à usage unique ou individuel), les pratiques sexuelles non protégées des personnes infectées par le VHC en cas de saignements, les actes esthétiques ou d'hygiène (tatouage, piercing, partage de rasoirs) et les personnes ayant séjourné de façon prolongée dans des zones de forte endémie (Asie du Sud-Est, Moyen-Orient, Afrique centrale, Amérique du Sud).

Accompagnement au long cours

Bien entendu, repérer et orienter les patients à risque vers un dépistage5, une prise en charge médicale et le cas échéant, un traitement (tous les patients ne répondent pas systématiquement à l'indication du traitement), impose un accompagnement en termes d'information et de soutien psychologique face auquel les infirmiers libéraux ont un rôle majeur à jouer. « La participation des soignants, indique le Pr Dhumeaux, chef du service d'hépatologie et de gastroentérologie de l'hôpital Henri Mondor (Créteil) et président du Comité d'organisation de la Conférence de consensus, ne se limite pas aux soins et à l'éducation des patients pour la réalisation des injections sous-cutanées à domicile. Ils ont en effet, à tous les stades de la prise en charge, un rôle d'information essentiel concernant la maladie, l'accès aux traitements, l'efficacité et les effets indésirables des thérapeutiques disponibles, leurs retentissements sur la qualité de vie, la surveillance au long cours, l'existence de réseaux et d'association de malades susceptibles de leur apporter un soutien psychologique et les conseils pratiques se rapportant aux précautions que les malades, traités ou non, doivent prendre vis-à-vis de leur entourage et d'eux-mêmes. » Ils doivent notamment se protéger de certaines complications liées à l'excès d'alcool6 et à l'obésité7, mais aussi préserver leur entourage de la contamination. À ce titre, il convient de s'assurer qu'ils ont conscience de représenter un vecteur de transmission potentielle du virus qui suppose de prendre au quotidien des précautions concernant notamment :

Les rapports sexuels : ne pas imposer l'utilisation de préservatifs entre partenaires sexuels stables (dans ce cas, le risque est quasi nul), mais la recommander avec insistance en cas de partenaires sexuels multiples, de relations en période menstruelle ou en cas de lésions génitales si la femme est contaminée.

Le partage de certains objets : il convient de proscrire le partage des rasoirs, ciseaux, coupe-ongles, brosse à dents, matériel d'épilation. En revanche, les objets usuels (assiette, verre, couverts) ne présentent aucun risque en cas d'utilisation partagée. De même, il n'y a pas de risque de transmission par simple baiser.

Le don de sang : il est strictement interdit.

Les blessures : s'assurer en cas de blessures sanguinolentes que le soignant porte des gants.

Les pratiques de toxicomanie : préconiser l'emploi de matériel à usage unique.

Autant dire que les infirmiers sont appelés à s'investir activement dans la lutte contre l'hépatite C. Ils contribueront ainsi à la mobilisation générale actuelle dont témoignent les États généraux organisés les 28 et 29 janvier derniers par la Fédération nationale SOS hépatites, le Plan national à 5 ans lancé le 20 février et la Conférence de consensus dont les recommandations ont été rendues publiques le 21 mars. En investissant comme il se doit leur rôle de conseiller en santé, d'éducateur et de soignant, ils peuvent contribuer à améliorer le dépistage, l'information, l'accès aux soins et l'accompagnement des 300 000 malades qui s'ignorent encore.

1. Thème de la campagne grand public qui sera lancée au second semestre 2002 dans le cadre du nouveau Plan national hépatites 2002-2005.

2. L'hépatite C aiguë non traitée évolue dans 75 % des cas vers l'hépatite chronique. L'hépatite C chronique se change en cirrhose dans environ 20 % des cas dans un délai de 15 à 20 ans. Pour ces patients, l'incidence de l'hépatocarcinome est de 3 à 5 % par an.

3. Asymptomatique dans 9 cas sur 10, l'hépatite C est généralement découverte de façon fortuite, à l'occasion d'un don du sang ou d'un dosage des transaminases. Selon les méthodes de dosage utilisées par les laboratoires, les fourchettes de normalité des transaminases varient. Il faut donc se fier pour chaque laboratoire aux valeurs de référence indiquées pour juger de leur normalité ou non.

4. Le risque de transmission mère-enfant du VHC est estimé à 3 %. En revanche, il atteint 20 % chez les mères infectées par le VIH.

5. Le dépistage est pris en charge à 100 % et peut être réalisé dans un centre de dépistage anonyme et gratuit.

6. L'abstention des boissons alcoolisées est conseillée : l'alcool constitue un facteur aggravant (il augmente l'activité de l'hépatite liée du VHC) et susceptible de favoriser le développement d'une cirrhose (risque multiplié par 2, voire par 3).

7. En cas d'obésité, un régime hypocalorique est conseillé avant d'instituer un traitement par interféron afin de pouvoir apprécier la part respective de la stéatose et de l'hépatite C dans l'élévation des transaminases.

Apprendre à auto-gérer son traitement

• Pour préserver leur autonomie, certains patients préfèrent prendre en charge leurs injections à domicile. Dans ce cas, l'infirmier doit leur apprendre à préparer, voire reconstituer, le produit, réaliser le geste dans les conditions d'asepsie requise et leur donner quelques conseils pratiques tels que :

→ varier le site d'injection (face antérieure de la cuisse, ventre, face externe du bras) pour limiter les réactions d'hypersensibilité locale ;

→ conserver l'interféron à une température inférieure à 25°, si possible entre 4 et 8° C.

Pour en savoir plus

• Hépatites Info Service : 0 800 845 800 (n° vert ; appel anonyme et gratuit)

http://www.sante.gouv.fr, rubrique hépatite C

http://www.depistagehepatites.com

• Adresses des centres de dépistage anonyme et gratuit : 3611 code hépatites + n°/nom du département

• SOS hépatites : http://soshepatites.assosante.net

• Association nationale des généralistes pour la réflexion sur l'hépatite C (Anfrehc) :

tél. : 04 67 60 87 57. Président : Dr Laurent Cattan

• Liste des pôles de référence et des réseaux hépatite C : L'hépatite C, Clinique, prise en charge et conseils aux patients, document à l'usage des professionnels de santé disponible sur demande au Cfes, tél. : 01 41 33 33 33.

AES et VHC

• Au cours des soins, une piqûre accidentelle avec du matériel souillé par le VHC expose les infirmiers à un risque de contamination estimé à 3 %. Dans ce cas, il est indispensable d'effectuer rapidement un prélèvement sanguin pour dosage des transaminases et recherche des anticorps anti-VHC. En l'état actuel, un traitement prophylactique immédiat n'est pas recommandé. Il convient avant de traiter et d'établir le diagnostic de primo-infection, sachant que la période d'incubation maximale du VHC est de 6 mois. Ce diagnostic repose sur la présence d'une réplication virale mise en évidence à 2 reprises successives par la détection de l'ARN du VHC dans le sang, ou encore sur une augmentation des transaminases Alat avec ou sans ictère associé. En cas de diagnostic positif, les recommandations de la Conférence de consensus, communiquées le 21 mars 2002, proposent d'utiliser le seul traitement bénéficiant actuellement d'études montrant des résultats virologiques concluants (taux de réponses supérieur à 80 %). Ce traitement par interféron (IFN) standard en monothérapie peut être prescrit selon deux schémas :

→ IFN 5 millions d'unités/j pendant 4 semaines, puis 5 MU 3 fois par semaine pendant 20 semaines ;

→ IFN 10 MU/j jusqu'à la normalisation des transaminases (celle-ci a été observée dans un délai compris entre 3 et 6 semaines dans la seule étude disponible).

D'autres schémas, utilisant notamment l'IFN pégylé avec ou sans ribavirine, sont envisagés mais doivent être évalués dans le cadre d'essais thérapeutiques.

Un traitement efficace

• Conformément au consensus prévalant aujourd'hui, la bithérapie interféron pégyléa/ribavirine constitue (sauf contre-indications)b le traitement de référence de l'hépatite C chronique.

• Associé à la ribavirine, l'interféron pégylé est non seulement plus efficace que l'INF standard, mais aussi plus confortable pour le patient puisque l'administration passe de 3 injections sous-cutanées par semaine à une injection hebdomadaire (1,5 microg/kg/sem). La ribavirine est prescrite à la dose de 800 mg par jour (2 gélules matin et soir) si le poids est inférieur à 65 kg, 1 000 mg/j (2 gélules matin et 3 le soir) si le poids est compris entre 65 et 85 kg et 1 200 mg/j (3 gélules matin et soir) au-delà. La durée du traitement (entre 6 et 12 mois) est déterminée en fonction du génotype. Les études d'efficacité de cette bithérapie montrent une réponse virologique prolongée dans 40 % des cas chez les sujets porteurs d'un virus de génotype 1 et dans 80 % des cas pour les génotypes 2 et 3, soit plus d'un patient sur 2 guéri grâce à la bithérapie.

• En cas de contre-indication à la prescription de la ribavirine, l'interféron pégylé peut être utilisé en monothérapie. Il s'avère plus efficace puisqu'une réponse virologique durable est obtenue dans environ 30 % des cas contre 15 % avec l'interféron standard.

a. Interféron (INF) conjugué au polyéthylène glycol (PEG). La pégylation de l'interféron permet de maintenir des taux sériques stables avec une seule injection par semaine.

b. Contre-indications (CI) absolues à l'interféron : psychose, dépression sévère actuelle ou passée, neutropénie et/ou thrombopénie, transplantation d'organes, cardiopathie symptomatique, cirrhose décompensée, épilepsie non contrôlée. CI relatives : diabète non contrôlé, maladie auto-immune (dysthyroïdie en particulier). CI absolues à la ribavirine : insuffisance rénale, anémie, hémoglobinopathie, cardiopathie sévère, grossesse, absence de contraception. CI relatives : HTA, âge élevé.

Source : Medec 2000 et 2001, Nouveautés sur le traitement de l'hépatite C chronique, Pr Jean Pierre Zarski, CHU Grenoble.

Qui sont les candidats au traitement ?

• Bien que la Conférence de consensus ait élargi dans ses recommandations les indications du traitement contre l'hépatite C, l'accès au traitement reste encore limité à certaines catégories de patients dont l'infection chronique est objectivée par la présence d'ARN viral dans le sérum. En fonction des situations, le traitement aura pour objectif d'éradiquer le virus et, le cas échéant, de prévenir, stabiliser ou faire régresser les lésions hépatiques, sachant que la sévérité de l'hépatite chronique est définie par le degré de fibrose. Cela concerne les patients :

→ adultes atteints d'hépatite chronique modérée ou sévère au stade F2 ou F3 de fibrose ;

→ atteints de cirrhose ;

→ présentant des lésions sévères pour lesquelles le traitement ne permet pas d'éradiquer le virus. Dans ce cas, un traitement « d'entretien » par interféron (hors AMM) peut être proposé pour essayer de ralentir la progression de la fibrose ;

→ atteints d'hépatite chronique minime ou associée à des transaminases normales dans les cas de patients présentant des manifestations extra-hépatiques (cryoglobulinémie, vascularite notamment) ou en cas de demande insistante et éclairée du patient. Dans les autres cas, le jury a considéré qu'en l'absence de facteurs de risque de comorbidité (alcool, VIH, obésité), l'indication du traitement n'était pas justifiée tant que des études permettant d'établir un bénéfice à long terme supérieur aux risques des effets secondaires (asthénie, céphalées, myalgies, nausées, fièvre, syndrome dépressif, alopécie, éruption cutanée, dyspnée, toux, anémie sévère)* ne sont pas disponibles ;

→ rechuteurs après monothérapie par interféron et non répondeurs à l'IFN seul ;

→ transplantés hépatiques en raison de la réinfection presque systématique du greffon ;

→ au stade de primo-infection (AES et hépatite aiguë notamment) pour éviter le passage à

la chronicité.

*Ces effets secondaires sont responsables d'un arrêt du traitement chez 10 % des patients au cours des 6 premiers mois et chez 20 % des patients traités pendant 1 an (Source : Pr J.P. Zarski, CHU de Grenoble, Medec 2000).