L'infirmière libérale magazine n° 171 du 01/05/2002

 

Initiatives

Assurer la coordination des soins autour des patients en oncologie : tel est l'objectif d'un réseau informel, Infidom, qui regroupe aujourd'hui une centaine d'infirmiers. Rançon du succès, aujourd'hui ce réseau déborde le cadre de son lieu d'origine géographique, autour de Bayonne, et dépasse ses compétences de départ pour s'étendre à la pédiatrie et aux soins palliatifs.

Au début de la décennie 1990, dans la région de Bayonne, la profession s'interroge sur l'accompagnement des malades quittant le Centre hospitalier de la côte basque (CHCB), à Bayonne. Faute de formation adéquate, de repères, et peut-être de confiance en elles, beaucoup d'infirmières libérales refusent de suivre des malades atteints de pathologies aussi lourdes. En l'absence de recommandations écrites sur la prise en charge du patient, le relais entre infirmiers et hospitaliers est compliqué. En outre, le service d'oncologie maîtrise mal la nomenclature des actes infirmiers.

Parcours du combattant

Si la communication n'est pas toujours facile au sein de chaque profession, elle l'est encore moins entre intervenants libéraux, hospitaliers et médicaux. Aussi, trouver une infirmière libérale qui accepte de prodiguer des soins en chimiothérapie, par exemple, relève-t-il du parcours du combattant : régulièrement, le CHCB se heurte à une quinzaine de refus avant de trouver... la perle rare. Il en résulte des décisions absurdes, comme l'envoi de patients contre leur gré dans un service d'hospitalisation à domicile, alors même qu'ils seraient heureux d'être soignés par leur infirmière habituelle. Résultat : la défiance règne de part et d'autre.

Emmené par une infirmière libérale, Michelle Dupuy, un groupe de six infirmiers des deux sexes*, dont la surveillante du service d'oncologie du CHCB, décide de chercher une solution à cette situation. Son objectif est de pouvoir proposer une offre de soins infirmiers en oncologie. En 1994, ce groupe recense les obstacles à une bonne collaboration entre le service d'oncologie et les infirmiers libéraux. De cette réflexion collective émerge le constat du manque de dialogue entre médecins, infirmières et service d'oncologie - et leur méconnaissance réciproque. Il faut donc commencer par faire connaître les missions et le fonctionnement du service d'oncologie auprès des infirmières libérales, et vice versa. C'est le début du dégel.

Ainsi se constitue peu à peu un réseau informel, limité à l'origine à quelques cabinets et à l'hôpital de Bayonne. L'année 1995 est celle des rencontres entre le « groupe des six » et les infirmières libérales : sur l'ensemble du secteur sanitaire 7 de la Drass d'Aquitaine, 25 réunions sont organisées. Elles permettent au groupe de présenter les conclusions de la réflexion conduite avec le service d'oncologie de l'hôpital de Bayonne, et de faire un tour d'horizon des difficultés auxquelles se heurtent les infirmières libérales dans la région. De cette série de discussions naît la décision d'élaborer un dossier de soins qui établirait un lien permanent entre le personnel soignant et le personnel médical de chaque patient.

Rançon du succès

Née en 1996, l'association Infidom (Infirmières à domicile), au statut de loi 1901, se fixe pour commencer un triple objectif. Perfectionner le dossier de soins, en premier lieu. Améliorer la sectorisation, ensuite. Vingt infirmières sont nommées à la tête d'autant de secteurs. L'impor-tance numérique de ces secteurs varie considérablement : certains endroits isolés comptent cinq à six infirmières libérales, contre 110 à Biarritz. Troisième objectif : réaliser l'adéquation entre la nomenclature des actes infirmiers et les ordonnances médicales. Pour cela, Infidom conçoit des ordonnances préétablies à remettre aux médecins. Puis, un numéro d'appel unique ayant été mis en place, le réseau peut commencer à fonctionner normalement. Michelle Dupuy en est désignée responsable.

La vocation d'Infidom peut se résumer simplement : trouver des infirmières compétentes, formées en soins oncologiques, et disponibles. Mais l'association veille aussi à obtenir un retour sur ces soins de la part de l'infirmière, du service concerné, du patient et de sa famille.

Le réseau stricto sensu est rapidement débordé du point de vue géographique. En effet, l'hôpital de Bayonne draine des patients venus de la côte landaise : Infidom s'arrange alors pour trouver des infirmières libérales dans cette région. En général, constate Michelle Dupuy, « elles jouent le jeu ». Les cliniques de Bayonne, elles aussi, font aujourd'hui appel aux services d'Infidom. En termes de compétences, ce réseau ne s'est pas cantonné au domaine oncologique, puisqu'on sollicite parfois auprès de lui des infirmières pour des soins pédiatriques ou palliatifs. Du coup, Infidom joue l'articulation avec d'autres réseaux : Paliadour, réseau de professionnels en soins palliatifs, et, peut-être, à terme, un réseau de prévention de l'hépatite.

Infidom a aussi étendu son activité à l'organisation de formations techniques de haut niveau, indispensables pour accroître le nombre d'infirmières capables d'offrir des soins d'une grande technicité.

Compétences nouvelles

Signé à titre obligatoire par chaque adhérent d'Infidom, le règlement intérieur de l'association stipule d'ailleurs, en son article 10 : « chaque membre d'Infidom est tenu de parfaire sa formation afin de répondre aux objectifs de qualité de soins. » Les infirmières de la région peuvent désormais effectuer une session de formation spécifique en chimiothérapie à l'hôpital de Bayonne, ainsi que des stages de remise à niveau en soins palliatifs. Or, jusque-là, ces formations n'étaient pas accessibles sur le secteur 7. L'évolution constante de la profession exige pourtant une actualisation permanente des connaissances et des pratiques. Mobilisés par Infidom, les fournisseurs de matériels participent aussi de cet effort de « formation continue », grâce à des démonstrations sur le matériel nouveau. Infidom a ainsi permis de développer d'autres compétences, et fait naître des synergies nouvelles : à la demande d'une infirmière, l'équipe de soins palliatifs peut intervenir au domicile d'un patient.

Mieux : Infidom s'est si bien intégré au personnel soignant de la région que certaines infirmières l'utilisent pour chercher une remplaçante, lorsqu'elles sont débordées. L'initiative d'Infidom a également conduit les services hospitaliers à mieux organiser le retour des patients chez eux. Spontanément, on demande aujourd'hui aux malades quittant l'hôpital s'ils sont suivis par une infirmière libérale ; en cas contraire, on peut leur rappeler que cette possibilité existe.

Vocation concurrente

Le succès d'Infidom finit par susciter des vocations : en 1998, des médecins de l'hôpital de Bayonne créent leur propre réseau pour quatre types de cancers. Les responsables d'Infidom sont convoquées par la Sécurité sociale, qui s'étonne de l'existence de deux réseaux concurrents sur le même secteur. Elles proposent qu'Infidom serve d'articulation entre médecins et infirmières libérales. Celles-ci peuvent en effet offrir des services spécifiques, comme l'orientation vers les services sociaux ad hoc, que ne proposent pas les médecins. Fina-lement, ce second projet de réseau, refusé par la commission Soubie, n'a toujours pas vu le jour. D'après Michelle Dupuy, qui fait peut-être preuve de diplomatie, « ça n'a rien changé. Non, ça n'a pas dégradé nos rapports avec les médecins. »

Au total, la promotrice et responsable de ce réseau demeuré informel ne peut que se féliciter. Infidom satisfait à la fois le patient, « rassuré par la communication entre les soignants », le service hospitalier, qui gagne beaucoup de temps « dans la recherche d'une infirmière libérale disponible et formée ». Pour les libérales, la mise en place d'Infidom présente également bien des avantages : elles peuvent désormais faire appel à d'autres cabinets en cas de surcharge de travail, entretenir de meilleures relations avec les interlocuteurs des services hospitaliers, bénéficier d'ordonnances préétablies garantissant la cotation de leurs actes, et ce, dans une certaine sérénité, grâce à des protocoles rigoureusement définis. Ces avantages ne sont pas l'apanage des adhérents d'Infidom, puisque ce réseau fait aussi appel, si nécessaire, aux autres libérales du secteur 7. Aussi la dynamique induite par la mise en place d'Infidom « nous a-t-elle permis de mieux nous connaître », conclut Michelle Dupuy.

*Il s'agit de Thierry Cusintino, qui exerce à l'époque à Anglet, de Sophie Prince, à Biarritz, de Nathalie Ricaud Vasquez, à Saint-Jean-de-Luz, de Myriam Mercier, de l'association Entr'aides (laquelle n'existe plus au niveau local), d'Anita Gomez, alors surveillante du service d'oncologie du CHCB, d'Hervé Recanzone, infirmier dans ce même service, et naturellement de Michelle Dupuy.

MICHELLE DUPUY, CHEVILLE OUVRIÈRE D'INFIDOM

• Après ses études d'infirmière à Pau, Michelle Dupuy étudie la puériculture durant un an à Bordeaux, puis intègre le service de pédiatrie de l'hôpital de Bayonne. En 1969, lorsqu'elle devient infirmière libérale, elle envisage ce nouveau statut comme une solution provisoire... mais cela dure aujourd'hui depuis 33 ans ! Les dix premières années, « c'était du 7 jours sur 7 : il n'y avait pas beaucoup de remplaçantes et nous étions peu nombreuses dans la région. » À Bayonne, Michelle Dupuy est l'une des premières à réaliser des soins lourds, avant de fonder, avec des collègues, une société civile professionnelle. Déjà, elle cherche à développer la collaboration avec d'autres cabinets. Présidente départementale du Sniil (Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux), elle devient « le point de convergence » des interrogations sur le suivi et la prise en charge des patients à la sortie du service d'oncologie, au début des années 90. C'est le début d'un engagement qui la conduira à la tête d'Infidom.

POUR SE RENSEIGNER

Infidom

Numéro du standard : 06 57 59 38 20

Association Infidom

28 ter, rue Guynemer, 64600 Anglet

INFIDOM, MODE D'EMPLOI

• La région couverte par Infidom est le secteur sanitaire 7 de la Drass d'Aquitaine, qui regroupe la côte basque, l'intérieur du pays basque et le sud des Landes, soit 400 infirmières libérales. Infidom compte environ une centaine d'adhérents.

• Son fonctionnement est d'un grand pragmatisme. Dans les établissements de soins, privés ou publics, l'infirmière surveillante ou le responsable d'une association de patients compose le numéro unique du standard Infidom. Dans le secteur libéral, c'est le généraliste, le spécialiste ou le particulier lui-même qui le fait. Le nombre d'appels oscille entre quatre et... zéro par semaine. Au total, Infidom traite environ dix demandes par mois. Au téléphone, la coordinatrice, en la personne de Michelle Dupuy, recueille les données médicales utiles et la nature des soins à prodiguer. Tous les appels sont consignés dans un cahier ad hoc. En fonction du lieu où réside le patient et du voeu qu'il aura éventuellement exprimé, Michelle Dupuy contacte le responsable du secteur, lequel identifie à son tour une infirmière libérale formée aux soins nécessaires, et disponible.

• Infidom s'engage de cette manière à « assurer après une hospitalisation la continuité de tous les soins techniques, éducatifs et relationnels au cours d'une hospitalisation à domicile », 24 heures/24, 7 jours/7, sans frais supplémentaire pour le patient, puisque toutes les infirmières d'Infidom pratiquent le tiers payant. En outre, Infidom aide à la mise en place du matériel médical nécessaire, en contactant des professionnels pratiquant également le tiers payant.

• Ce fonctionnement s'appuie sur trois outils essentiels : le dossier de soins, la convention signée par les adhérents, la fiche de liaison. Cette dernière est un support d'informations communes au CHCB ou aux cliniques et aux infirmiers libéraux. Le dossier patient (ou dossier de soins) comporte des informations aussi précises que possible sur les antécédents du patient, son entourage, l'historique de sa maladie ; la prescription médicale, le cas échéant modifiée par le médecin traitant, ainsi que le traitement ; la description des soins infirmiers prodigués. Tous les intervenants, soignants et médicaux, peuvent également y noter leurs observations sur l'évolution du patient et son degré de dépendance. Le dossier de soins décrit l'état du patient avant l'hospitalisation et à sa sortie de l'unité de soins.

• Enfin, chaque adhérent doit signer une convention en six articles qui le lie à Infidom et qui porte sur la qualité des soins, la responsabilité de l'infirmier devant le patient et sa famille, la collaboration avec les autres intervenants, et la disponibilité 24 heures/24, pour garantir la continuité des soins.