L'infirmière libérale magazine n° 171 du 01/05/2002

 

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Qu'il s'agisse de perdre 3, 8 ou 25 kg, voire plus, prendre la décision de faire un régime n'est pas dépourvu de risque. Une démarche face à laquelle les infirmiers ont un devoir d'information, de conseil, d'orientation et d'accompagnement particulièrement important à domicile.

Parce qu'ils entretiennent une relation tout à fait privilégiée, voire complice, avec leurs patients, les infirmiers libéraux sont souvent questionnés sur le délicat problème du surpoids. Des kilos superflus stigmatisés à l'obésité sévère mal vécue, en passant par la surcharge pondérale gênante, la problématique des kilos en trop revêt de multiples facettes mais se résume toujours à la même conclusion : maigrir, donc faire un régime.

Ne jamais négliger la plainte

« Dès lors que la question du régime se pose, commente le Dr Jacques Fricker, nutritionniste à l'hôpital Bichat, quelle que soit l'importance du problème soulevé, il est tout à fait essentiel d'y accorder une grande attention et d'entamer une réflexion et un dialogue soignant-soigné pour ne pas laisser la patiente (il s'agit le plus souvent de femmes) livrée à elle-même et à la merci de toutes sortes de régimes restrictifs potentiellement à risque pour sa santé physique et psychique. » Car un régime a pour objectif d'éviter les complications liées au surpoids, d'améliorer l'état de santé, la vie, l'équilibre et la forme du sujet, et non de l'exposer à des risques, voire à des dangers mortels.

Les effets délétères

Dans l'entendement général, régime est associé à restriction. De toute évidence, il ne peut y avoir de régime sans effort. Mais il faut savoir que passer du tout au rien sans avis médical peut être encore plus préjudiciable à la santé. « À très court terme, explique le Dr Fricker, les régimes restrictifs en protéines (soupe aux choux, régime ananas, ou plus globalement régimes de fruits et de légumes exclusifs), certains régimes dissociés (un seul aliment quel qu'il soit par jour, même à volonté) et le jeûne complet (alimentation limitée à des bouillons ou des tisanes), sont dangereux : soustraire les protéines de son alimentation entraîne des pertes azotées et, par conséquent, une fonte musculaire et une dégradation progressive des muscles et des organes. Il en résulte une fatigue inconciliable avec une vie sociale, un retard à la cicatrisation, une baisse des défenses immunitaires, mais aussi, dès la première semaine, un risque d'arrêt cardiaque mortel tout à fait documenté. À moyen terme, les régimes restrictifs en glucides, en acides gras essentiels, pas assez riches en vitamines et minéraux, ou faisant à l'inverse la part trop belle aux acides gras essentiels polyinsaturés ou saturés, génèrent les risques de toute alimentation déséquilibrée, y compris non hypocalorique : fatigue, perte de forme physique, fonte musculaire, carences... Enfin, sur le long terme, tous ces régimes peuvent induire des attitudes compulsives, voire une boulimie ou un « syndrome yo-yo » (reprise systématique des kilos perdus) dont les retentissements psychologiques (culpabilité, perte de l'estime de soi...) compliquent singulièrement la prise en charge. Quant aux substituts (poudre à mélanger dans de l'eau ou du lait, biscuits, préparation prête à l'emploi remplaçant un ou plusieurs repas par jour), ils sont généralement bien équilibrés et simplifient la gestion des repas mais induisent à l'arrêt (ne pas dépasser 8 semaines sans avis médical) un risque élevé de succomber aux anciennes habitudes alimentaires et de reprendre du poids. » Autant dire que l'infirmier ne peut pas se contenter d'encourager une personne à entreprendre seule un régime. Si son rôle ne consiste pas non plus à préconiser telle ou telle méthode d'amaigrissement, il peut en revanche mettre le patient en garde contre les régimes dangereux, conforter, voire discuter sa décision de maigrir, lui donner des repères sur les changements de comportement que cette décision doit induire, faire part des idées reçues à bannir et l'orienter vers un diététicien ou un nutritionniste de proximité, susceptible de le prendre en charge et d'assurer son suivi.

Les critères à prendre en compte

Le poids et, plus précisément, l'indice de masse corporel (poids divisé par la taille au carré) constitue le premier facteur à prendre en compte dans la décision d'entreprendre un régime. L'IMC permet de déterminer si le poids représente un risque pour la santé. Lorsqu'il est compris entre 18,5 et 25 kg/m2, le poids est normal. Si l'indice dépasse 30 kg/m2, l'amaigrissement est le plus souvent nécessaire. Il convient alors de prendre en compte les retentissements du poids sur la santé : diabète, hypertriglycéridémie, baisse du HDL cholestérol, HTA, problèmes cardiovasculaires, insuffisance coronaire, AVC, apnée du sommeil, dyspnée d'effort, arthrose, hernie hiatale, pyrosis, constipation, lithiase biliaire, cancers*. En l'absence de complication, le sujet sera néanmoins considéré à risque par rapport à son poids si des antécédents familiaux existent et/ou si le rapport taille sur hanche est excessif. Celui-ci doit être compris entre 0,64 et 0,85 chez la femme, et entre 0,85 et 1 chez l'homme. Lorsqu'il est respectivement supérieur à 0,85 et 1, on est en présence d'une obésité androïde à risque majeur pour la santé, ce qui justifie un régime. Au-delà de ces critères tangibles, il importe également de ne pas négliger la qualité de vie de la personne et les retentissements socio-professionnels éventuels que peut avoir son poids. Une fois tous ces éléments réunis, l'infirmier peut objectivement confirmer la nécessité d'entreprendre un régime amaigrissant ou, au contraire, montrer au patient, preuves à l'appui, que son cas relève plus de quelques conseils de bonnes pratiques alimentaires que d'un véritable régime.

Changer de comportement : repères

Dans tous les cas, il est important d'insister sur le fait que s'impose un changement de comportement alimentaire qui justifie d'intégrer quelques repères fondamentaux :

Manger des calories, ne pas les boire : en mangeant une orange chaque matin, l'organisme va se rassasier plus vite et aura besoin d'un repas moins copieux au déjeuner et au dîner. En revanche, si vous remplacez l'orange par un jus d'orange, vous mangerez autant à tous les repas et, à terme, vous risquez de prendre du poids. Il en va de même pour les sodas et tous les jus de fruits : pour un soda quotidien bu par jour, le risque d'obésité de l'enfant à 2 ans est augmenté de 50 % !

Diluer les aliments : mieux vaut manger la même quantité de lipides, de glucides et de protéines sous forme de saumon, pâtes et tomates à la provençale, que sous forme d'un steak frites béarnaise. Parce qu'une alimentation diluée (notamment avec des fruits ou des légumes) prend plus de place dans l'estomac, rassasie plus vite et conduit à prendre moins de fromage et de dessert qu'une alimentation concentrée qui représente moins en volume mais plus en calories absorbées au terme du repas. Il n'est pas question d'exclure totalement tous les aliments concentrés, mais de changer leur mode de consommation de manière à réduire leur incidence sur la prise de poids. Par exemple, plutôt que de prendre 1/2 tablette de chocolat à 4 heures, prendre une barre avec une orange ou une banane, ou encore du pain aux céréales. Plutôt que de manger du foie gras sur du pain, le consommer sur un lit de salade. De même, on peut manger des frites à condition de les associer à une ratatouille ou des légumes verts. Cette « dilution » est extrêmement importante à court terme comme à moyen et long terme pour la stabilisation du poids.

Favoriser une assimilation lente des glucides : les glucides (sucres lents et rapides) ont une vitesse d'assimilation variable. Partant du principe que la satiété intervient plus vite avec des sucres lents, il faut néanmoins se méfier des sucres a priori lents qui deviennent rapides en fonction de leur mode de préparation. Par exemple, la pomme de terre en purée ou en frites est rapidement assimilée, contrairement à la pomme vapeur. Pour ralentir leur assimilation, il convient, selon le même principe de la « dilution », d'y associer un légume vert. On peut également « freiner » l'assimilation des sucres rapides comme les céréales du petit-déjeuner (Corn Flakes, Spécial K, Fitness...) en adjoignant un fruit à la préparation. De même, il est préférable de consommer du pain de seigle ou aux céréales plutôt que du pain blanc, et du pain de boulangerie plutôt qu'industriel, car ils s'assimilent plus lentement. Il est donc intéressant de noter qu'il est possible, sans s'imposer de restriction majeure, d'exercer un contrôle spontané de son appétit en sachant gérer la vitesse d'assimilation des aliments.

Mâcher longuement pour favoriser les mécanismes de rassasiement.

Pratiquer une activité physique : moins on s'active, moins la régulation de la sensation de faim par l'hypothalamus est adaptée, et plus on mange. Il est donc conseillé d'avoir une activité physique équivalant à une marche de 5 km par jour ou à 3 heures de sport par semaine.

Disposant de ces repères, le patient est déjà en mesure d'améliorer considérablement l'équilibre de son alimentation et sera mieux armé si ses objectifs sont ambitieux et imposent un régime suivi. Dans ce cas, il est important de lui expliquer d'emblée qu'il peut parvenir à maîtriser son poids sans se rendre la vie impossible grâce au principe du contrôle souple.

Place aux régimes souples

La notion de contrôle souple a été développée, il y a 2-3 ans, par le psychiatre nutritionniste américain Albert Stunkard. Ce médecin avait d'abord démontré que la restriction cognitive rigide propre aux régimes restrictifs sans concessions génère des conduites compulsives et un « syndrome yo-yo ». En revanche, le contrôle souple favorise la minceur sur le long terme et réduit le risque de compulsions. Cette méthode consiste à connaître et prendre en compte les aliments et pratiques alimentaires à risque, à s'appliquer à respecter les bonnes règles nutritionnelles, mais aussi à s'autoriser, en fonction des événements et des circonstances, des écarts qui seront d'autant plus facilement compensés le lendemain que le patient ne se sent pas en faute. « Il faut donc en finir avec la dictature des régimes restrictifs stricts suivis à la lettre et amener les patients, candidats à l'amaigrissement, à s'approprier ce mode de régime souple, plus intéressant et efficace au long cours, conclut le Dr Fricker. Car même si le patient fait des écarts et maigrit de façon moins spectaculaire, il évite les crises de découragement qui conduisent aux compulsions, et acquiert de bons réflexes alimentaires qui, dans le temps, peuvent vraiment lui permettre de stabiliser son poids sans menacer sa santé. » CQFD.

Le poids n'est pas tout

• Lorsqu'on entame un régime, le verdict de la balance constitue souvent le seul critère retenu pour juger de son efficacité. Si une perte moyenne de poids comprise entre 1 à 2 kg par mois représente un résultat satisfaisant (on peut cependant aller jusqu'à 4 à 56 kg par mois, lorsque le patient a besoin de perdre vite du poids), il importe également de prendre en compte d'autres paramètres pour juger de la nécessité d'adapter ou de poursuivre le régime. Plusieurs questions doivent alors être posées au patient : « souffrez-vous de la faim ? », « vous sentez-vous en forme ? », « certains aliments vous manquent-ils particulièrement ? ». Dès lors qu'une de ces questions appelle une réponse faisant état d'un mal-être, il est important de reconsidérer le régime : pour imposer des efforts de volonté, un régime ne doit pas pour autant perturber le quotidien ni engendrer une souffrance, un manque ou une fatigue inhabituels. D'où l'intérêt d'orienter les patients vers un suivi diététique ou nutritionnel adapté afin qu'ils puissent continuer de maigrir en forme et sans frustrations excessives.

Combattre les idées reçues

En matière de régime alimentaire, certaines idées reçues (« il faut manger plus à midi que le soir », « il faut prendre au minimum une demi-heure pour manger ») méritent une mise au point. « Toutes ces idées ne sont fondées sur aucun critère scientifique, explique le Dr Fricker. Il faut donc leur tordre définitivement le cou car elles pourrissent la vie et culpabilisent sans raison tous ceux qui, par nécessité ou par choix, font un repas plus copieux le soir que le midi, mangent en 10 minutes, ou maigrissent par à-coups. Il est tout à fait possible, en fonction du contexte et des évènements, de maigrir vite, puis plus lentement, de se stabiliser ensuite, de reprendre 1 ou 2 kilos pendant les vacances, puis de reperdre vite... Par ailleurs, on peut être en très bonne santé en prenant 10 minutes pour déjeuner le midi, dès lors que l'on prévoit un goûter et un dîner bien équilibrés. L'important n'est pas de s'imposer un dogme de 3 repas d'une demi-heure par jour à heures fixes avec un petit-déjeuner de roi, un déjeuner de prince et un dîner de mendiant, mais d'adapter sa façon de s'alimenter aux situations, grâce à un contrôle alimentaire souple bien maîtrisé. Car, en tout état de cause, l'objectif est d'arriver à manger en fonction de sa faim, et non par obligation à heure fixe, et de choisir ce que l'on mange en fonction de repères intelligents. »

Comment ne pas reprendre de poids ?

• Les méta-analyses portant sur la perte de poids sans reprise à long terme montrent que les personnes qui parviennent à stabiliser durablement leur poids :

→ pratiquent une activité physique régulière (critère de stabilisation majeur) ;

→ mangent moins gras ;

→ connaissent les aliments « dangereux » mais ne se formalisent pas en cas d'écart ;

→ mangent plus de légumes ;

→ ont un bon équilibre psychologique.

Médicaments et régime : une place limitée

• Seuls 2 médicaments ont démontré une efficacité sur le poids : le Sibutral® (anorexigène) et le Xenical® (inhibiteur de la lipase digestive). Ils entraînent respectivement une diminution de l'appétit et une fuite des graisses dans les selles. Toutefois, la perte de poids associée à leur utilisation est relativement faible, puisqu'elle est évaluée en moyenne à 3,9 kg pour le Sibutral®, et à 3,1 kg pour le Xenical® après 6 mois de traitement. Ces molécules sont réservées à l'obésité et concernent une minorité de patients qui éprouvent notamment des difficultés à obtenir des résultats par le biais du contrôle alimentaire. Ils donnent « un coup de pouce », mais doivent être prescrits avec la plus grande prudence : le Sibutral® augmente la tension artérielle et la fréquence cardiaque, le Xenical® occasionne des diarrhées. Un autre médicament, l'Exolise® a démontré son efficacité sur les dépenses d'énergie (il brûle les calories) mais celle sur la perte de poids n'a pas encore été testée. Les diurétiques, hormones thyroïdiennes et amphétamines sont dangereux à proscrire dans cette indication. Quant aux traitements phytothérapiques, ils n'ont aucune efficacité démontrée sur la perte de poids, mais peuvent être utilisés sans risque, si le patient ressent le besoin d'être aidé par un traitement.

Pour en savoir plus

Nouveau guide du bien maigrir, Dr Jacques Fricker, Éditions Odile Jacob

Maigrir vite et bien, Dr Jacques Fricker, Éditions Odile Jacob

Apports nutritionnels conseillés pour la population française, Coordonnateur Pr Ambroise martin, Éditions Tec et Doc.