Les ongles sous surveillance - L'Infirmière Libérale Magazine n° 180 du 01/03/2003 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 180 du 01/03/2003

 

Les onychomycoses

Formation continue

Prendre soin

Les onychomycoses ou mycoses des ongles sont des maladies contagieuses qui ne guérissent jamais spontanément. Il convient d'informer afin qu'elles consultent et se soignent car ce type d'infection .

Souvent négligées par les patients eux-mêmes mais aussi par les médecins qui ne pensent pas à vérifier l'état des ongles, les mycoses des mains et des pieds sont insuffisamment diagnostiquées et traitées. Plus de la moitié des personnes concernées n'en parlent pas à leur médecin. Elles attendent d'y être contraintes pour prendre des mesures et consultent lorsque plusieurs ongles sont atteints (notamment au niveau des pieds), voire gravement endommagés. Les femmes ne peuvent plus mettre de collants ou de chaussettes en voile sans les filer, et la douleur engendre des difficultés à se chausser et à marcher qui peuvent entraîner des chutes chez les personnes âgées.

« De fait, le diagnostic de l'onychomycose débutante est rare car il n'est pas aisé de faire quitter ses chaussettes à un patient, ni même de regarder systématiquement ses ongles de mains, indique l'Observatoire national de l'onychomycose (ONO) 1. Pourtant, cette démarche a sa place dans la consultation ou la visite à domicile. » Car l'onychomycose ne guérit jamais spontanément, entraîne invariablement la perte de l'ongle non traité et peut, chez les personnes présentant un déficit immunitaire (sidéens, cancéreux, greffés...) menacer le pronostic vital 2.

Il s'agit de plus d'une maladie contagieuse, que tout un chacun peut attraper en marchant pieds nus sur un sol contaminé (tapis de salle de bain, carrelage d'une douche ou de piscine, tapis de judo ou de salle de sport). La contamination se fait aussi par les objets, comme les nécessaires à ongles ou les draps de bain par exemple. D'où l'intérêt de développer chez les soignants une démarche réflexe de contrôle visuel des lésions et vis-à-vis des patients, une démarche d'information et d'éducation afin qu'ils connaissent mieux cette maladie.

UNE INFECTION FRÉQUENTE DE L'ONGLE

L'onychomycose est une infection de l'ongle due à plusieurs types de champignons dont les plus fréquents sont les dermatophytes, qui sont responsables de 80 à 85 % des mycoses des ongles. Ces champignons se nourrissent de la kératine et envahissent la totalité de l'ongle, entraînant des modifications visibles et disgracieuses. L'ongle s'épaissit, se décolle (onycholyse), change de couleur (il prend une teinte blanchâtre ou jaunâtre ou se couvre de tâches) et s'effrite jusqu'à disparaître. Ces modifications peuvent être associées à une inflammation du repli sus-unguéal (paronychie ou périonyxis).

Progressivement l'ongle ne peut plus assurer ses fonctions de protection des extrémités, de préhension et de manipulation d'objets, de grattage et de nettoyage. On estime que 3 à 10 % de la population française souffre d'une onychomycose, ce qui représente entre 2 et 6 millions d'individus. Rare chez l'enfant, la fréquence de l'onychomycose augmente avec l'âge et près de 50 % des personnes de plus de 70 ans sont atteintes 3. Cette maladie concerne un tiers des patients consultant en dermatologie. Les citadins, les sportifs et les mineurs sont des cibles privilégiées en raison du port fréquent de chaussures qui favorisent la macération. Près de 90 % des basketteurs professionnels américains ont au moins une onychomycose au cours de leur carrière ! Les orteils, et principalement le gros orteils, sont sept à dix fois plus souvent touchés que les doigts des mains. La pratique fréquente d'un sport, l'environnement humide et les traumatismes et lésions répétées favorisent également le développement des champignons dans l'ongle, plus courant chez l'homme, que chez la femme. Les champignons peuvent par ailleurs occasionner d'autres mycoses cutanéomuqueuses au niveau des cheveux et de la peau.

L'INDISPENSABLE EXAMEN

La localisation et l'aspect des ongles ne suffisent pas à affirmer cliniquement la nature mycosique de l'infection, ni à déterminer le germe en cause. De nombreuses lésions unguéales peuvent en effet simuler une onychomycose qu'il est important de différencier car elles ne répondent pas aux antifongiques. De plus, certaines mycoses dues à des moisissures sont résistantes aux antimycosiques. L'examen mycologique est donc indispensable pour déterminer les germes en cause et écarter les pathologies donnant des aspects extérieurs similaires : psoriasis, tumeurs, lichen plan, eczéma, infections bactériennes, traumatismes par frictions répétées, acrokératose paranéoplasique 4... Il doit être réalisé avant tout traitement et peut être répété pour vérifier l'efficacité du traitement. « Il semblerait qu'un examen mycologique positif au 9e mois, soit un bon indicateur d'échec du traitement », indique le Dr Edith Duhard, spécialiste des maladies de l'ongle (Tours) et membre du comité scientifique de l'ONO.

DE LA STRATÉGIE...

Une fois l'atteinte mycosique avérée et le germe identifié, il convient de mettre en place la stratégie thérapeutique adaptée à la situation. Elle sera, en fonction de la gravité de l'atteinte et de l'âge du patient basée, sur trois types de traitements.

-> en cas d'atteinte limitée à moins des deux tiers antérieur de la tablette unguéale, d'un ou deux ongles maximum, il convient, après destruction de la zone parasitée par grattage, de privilégier les traitements antifongiques locaux en première intention. Toutefois, si après trois mois pour les mains et six mois pour les pieds, l'amélioration n'est pas suffisante, un traitement systémique doit être associé au traitement local.

-> lorsque la région matricielle est atteinte, il est nécessaire d'associer d'emblée l'ensemble des traitements disponibles, c'est-à-dire, une préparation mécanique de la zone pathologique, un traitement oral d'environ trois mois et un traitement local compris entre six et douze mois selon le degré de l'atteinte et sa localisation (les orteils ont une repousse deux à trois fois plus lente que les doigts des mains).

-> chez les sujets âgés, le traitement systémique impose quelques précautions. « Sa prescription, commente le Dr Duhard, réclame en effet de tenir compte de l'état général des sujets âgés (insuffisance rénale ou hépatique, troubles vasculaires) du siège de l'atteinte (doigts et/ou orteils) des pathologies associées et des traitements médicamenteux habituels. Il faut être particulièrement prudent chez les sujets polymédicamentés pour lesquels il est souvent préférable d'avoir recours à un traitement local associé à une avulsion chimique et à des chaussures assurant confort et stabilité. »

... AUX TRAITEMENTS

Traitement mécanique

Après découpe à la pince des parties saillantes de l'ongle, le traitement mécanique consiste à meuler ou poncer l'ongle à l'aide d'une meule rotative. L'avulsion de l'ongle peut également être chimique, par l'application d'une crème à l'urée à 40 % sous occlusion qui permet de ramollir la tablette unguéale et de l'éliminer sans difficulté. Il existe, à cet effet, une préparation toute prête vendue en pharmacie qui associe un antifongique, le bifonazole, et l'urée à 40 % (Amycor-Onychoset ®). La destruction mécanique ou chimique de la zone parasitée jusqu'à l'ongle sain est primordiale. Elle réduit l'épaisseur de l'ongle et facilite la pénétration des antifongiques locaux et/ou systémiques.

Traitements locaux

Ils reposent sur l'application d'un antifongique topique transunguéal dont le chef de file dans cette indication est l'amorolfine (Locéryl ®). Le ciclopirox (Mycoster ®) offre la même efficacité, mais, contrairement au Locéryl ®, il doit être appliqué tous les jours, ce qui peut entraîner des problèmes d'observance du traitement. Les sujets particulièrement exposés peuvent appliquer un vernis antifongique type ciclopirox (Mycoster ®, solution filmogène) pour protéger l'ongle du contact de l'eau et de l'humidité (transpiration). « L'efficacité actuelle des traitements locaux permet, explique le Dr Baran, dermatologue au CHR de Cannes, de réduire la durée du traitement général avec les traitements systémiques à trois mois pour les ongles des mains et six mois pour ceux des orteils. » Il existe également des crèmes, pommades et lotions aux imidazolés (bifonazole/Amicor ®, miconazole/Daktarin ®) ou aux allyamines (terbinafine/Lamisil ®). La terbinafine est généralement utilisée en cure courte (6 semaines) pour stériliser le lit de l'ongle, en particulier lorsqu'une hyperkératose sous-unguéale est associée. En cas de surinfection, l'application de ces topiques et vernis devra être précédée d'une désinfection de l'ongle à l'aide d'un antiseptique. Brossage des ongles avec Solubacter ®, applications de Bétadine ® solution ou Biseptine ®.

Traitements systémiques

Lorsqu'un traitement systémique s'impose, le Lamisil ®, comprimés à 250 mg, constitue le traitement de choix. Il est prescrit à raison d'un comprimé par jour pendant 1 à 3 mois pour les ongles des mains et 3 à 6 mois pour les ongles des orteils. L'effet rémanent du médicament au niveau de la tablette unguéale (il subsiste 2 à 3 mois) ainsi que le temps de repousse de l'ongle (5 mois en moyenne pour les ongles de main et entre 12 et 18 mois pour les ongles des orteils) doivent être pris en compte. Il n'est donc pas nécessaire de traiter jusqu'à la guérison complète, celle-ci survenant en 6 à 9 mois en général. Après destruction de la zone parasitée, le Lamisil ® peut être utilisé en monothérapie ou en association avec une solution filmogène appliquée jusqu'à guérison. L'association avec l'amorolfine (Locéryl ®) s'est révélée complémentaire. Elle potentialise l'efficacité du traitement oral du fait de la double pénétration des produits actifs dans l'ongle : à partir de la surface pour l'agent local et à partir du lit de l'ongle avec l'agent oral. Elle permet également de diminuer le risque de rechute 5.

Attention, les antifongiques oraux peuvent déclencher des effets secondaires : gastro-intestinaux (nausées, douleurs abdominales, diarrhées) dans 5 % des cas en début de traitement ; réactions cutanées généralement bénignes à type de rash ou d'urticaire ; perte partielle ou totale du goût réversible entre la 2e et 4e semaine de traitement. Exceptionnellement des troubles plus graves ont été décrits au cours de la prise de Lamisil ® sans que la relation de cause à effet soit toujours démontrée. Il s'agit de réactions cutanées sévères (syndromes de Stevens-Johnson ou de Lyell), de réactions hépatiques symptomatiques mixtes surtout cholostatiques dans les deux premiers mois, mais réversibles à l'arrêt du traitement ainsi que des réactions hématologiques (neutropénie, thrombopénie) également réversibles mais plus rares. Il est donc conseillé de demander dans le bilan initial, puis une fois par mois, les deux premiers mois de traitement, un dosage des transaminases, des phosphatases alcalines et une numération formule sanguine. (uniquement pour les patients à risque : immunodéprimés, hépatite ancienne...) Concernant les interactions médicamenteuses avec le Lamisil ®, « les seules ayant été montrées à ce jour concernent la cimétidine (Tagamet ®), médicament de la famille des antiulcéreux et la rifampicine (Rifadine ®), famille des antibiotiques. La prise concomitante de cimétidine entraîne une diminution de la clairance du Lamisil ® de 40 % sans incidence tandis que la rifampicine produit l'effet inverse, ce qui peut expliquer l'inefficacité du traitement antifongique » 6. En cas d'intolérance ou d'impossibilité de prescription, il est possible de lui substituer la griséofulvine (Grisefuline ®) (1 g/j) ou le kétoconazole (Nizoral ®) (2 cp/j).

CONSEILS AUX PATIENTS

Les infirmiers peuvent aussi inciter les patients à parler précocément de leurs problèmes d'ongles à leur médecin, participer au repérage des onychopathies à l'occasion de leurs visites et de leurs soins et rappeler les mesures de prévention et les conseils d'hygiène énoncés par l'ONO :

-> plus l'onychomycose est traitée précocément, plus le traitement est court et économique,

-> si vous avez un (ou plusieurs) ongle(s) abîmé(s) depuis peu ou depuis très longtemps, montrez-le(s) à votre médecin qui diagnostiquera la cause de cette anomalie en prescrivant un examen mycologique complémentaire,

-> en aucun cas il ne faut s'automédiquer. Le diagnostic de mycose est strictement médical et biologique et le traitement ne peut être délivré que sur prescription médicale. Le médecin doit par ailleurs suivre le traitement pour juger de l'efficacité des thérapeutiques,

-> les personnes diabétiques, sous chimiothérapie ou atteintes d'une maladie diminuant les défenses immunitaires doivent être particulièrement vigilantes. L'infection mycosique peut rapidement dégénérer alors qu'une prise en charge précoce peut tout aussi vite l'enrayer,

-> sécher ses pieds soigneusement, surtout entre les orteils, avec une serviette individuelle,

-> traiter les foyers fongiques associés : plantes des pieds, espaces interdigitaux,

-> désinfecter les sources de contamination : chaussons, chaussures, tapis de bains, serviettes de toilettes, gants avec des lotions et poudres antifongiques,

-> éviter les contacts répétés avec l'eau,

-> ne pas utiliser le même nécessaire à ongles pour les ongles sains et les ongles atteints,

-> désinfecter à l'alcool à 70 ° les instruments utilisés pour le nettoyage des ongles entre chaque soin,

-> jeter les limes à ongles après chaque utilisation pour les ongles abîmés,

-> porter des gants en coton sous les gants en caoutchouc,

-> éviter de marcher nus pieds sur les sols publics et porter des sandales personnelles à la piscine,

-> ne pas prêter ses chaussons,

-> changer quotidiennement de chaussettes,

-> ne pas marcher nus pieds sur les sols publics,

-> Préférer les chaussures en cuir et aérées aux chaussures de sport afin d'éviter la macération,

-> éviter la pose de faux ongles et les soins manucures agressifs.

Bien relayées par les infirmiers, ces informations peuvent contribuer à améliorer la connaissance et la prise en charge de cette pathologie. Un rôle qui pourrait leur valoir d'être pris en compte dans les actions d'information et de formation ciblées de l'ONO.

1 Créé en 2002, l'ONO a pour mission de sensibiliser les patients et le corps médical à l'onychomycose afin d'en améliorer le dépistage et de favoriser un traitement précoce. Elle doit aussi recueillir des données épidémiologiques par le biais d'une enquête réalisée auprès de 35 000 patients en dermatologie et 300 000 patients en médecine générale. Pour tout renseignement : ONO, libre réponse 93 077, 92 089 La Défense.

2 Cette infection favorise la surinfection bactérienne susceptible de produire des accidents importants dans les situations suivantes : diabète, corticothérapie à haute dose, maladie de cushing, traitements immunosuppresseurs patients greffés, chimiothérapie, syndrome de Raynaud, candidose muco-cutanée chronique et sida.

3 Pierard G., Onychomycosis and other superficial fungal infections of the foot in the elderly : a pan-European survey. Dermatology, 2002. 202 (3) ; p. 220-224.

4 Affection acquise de l'adulte caractérisée par des lésions érythématokératosiques des extrémités évoluant parallèlement à un cancer des voies aérodigestives supérieures.

5 Baran, R., Topical amorolfinefor 15 months combined with 12 weeks of oral terbinafine, a cost-effective treatment for inychomycosis. Br J demato, 2001. 145 Suppl 60 : p 15-9.

6 Synthèse Médicale, Onychomychoses, traitements locaux et/ou généraux ?, Dr C. Emile, n° 630.

Les trois champignons responsables d'onychomycoses

->les dermatophytes sont les champignons les plus couramment en cause. Il s'agit de Trichophyton rubrum dans 85 à 90 % des cas, et Trychophyton mentagrophytes dans 6 à 15 % des cas. La contamination se fait à partir de fragments de kératine infectée laissés sur les sols de lieux publics ou privés. Ils parasitent plus volontiers les pieds

->Les levures Candida sont responsables d'environ 15 % des cas (saprophytes de la peau, tube digestif et vagin). Dans 90 % des cas, on retrouve le Candida albican pathogène. L'atteinte concerne essentiellement les doigts des mains.

->Les moisissures (Scytalidium, Fusarium, Alternaria...) ne représentent que 2 à 4 % des cas. Elles se développent sur une dermatose ou un traumatisme et sont résistantes aux antifongiques.

Un traitement local simplifié

Jusqu'à l'arrivée sur le marché de nouvelles molécules comme l'amorolfine (Locéryl ®), le traitement de l'onychomycose était rarement respecté car il nécessitait plusieurs applications locales par jour. Les nouveaux traitements, avec seulement 1 à 2 fois par semaine, uniquement sur les ongles malades, sont mieux observés et donc plus efficaces. De plus, l'application est facilitée par une spatule « thérapeutique » très pratique.

POUR EN SAVOIR PLUS :

Guide médicochirurgical des onychomycopathies, R. Baran, R.P. Dawber, éditions Arnette.