Principales dispositions du projet de loi bioéthique - L'Infirmière Libérale Magazine n° 180 du 01/03/2003 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 180 du 01/03/2003

 

CLONAGE, RECHERCHE SUR EMBRYON, DONS DE GREFFE, AMP...

Bruits de couloirs

Plus de huit ans après la première loi de bioéthique de 1994, les avancées de la recherche ont remis sur le devant de la scène la question du clonage. Le Sénat a voté son interdiction, qu'il soit reproductif ou thérapeutique. Ce vote n'est cependant pas définitif puisque la procédure prévoit que le texte retourne à l'Assemblée pour une deuxième lecture en avril avant d'être soumis à un nouvel examen au Sénat en juillet.

L'interdiction du clonage reproductif a fait l'unanimité des groupes politiques du Sénat. Désormais qualifié de « crime contre l'espèce humaine », la transgression sera punie de 30 ans de prison et 7 500 000 euros d'amende. De quoi démotiver bon nombre de « raéliens » en herbe !

Clonage thérapeutique

Interdit également, le clonage thérapeutique. Les élus de droite se sont généralement prononcés contre et les élus de gauche pour, mais le concensus s'est toutefois révélé plus relatif. Déjà condamné par l'Assemblée il y a un an, le clonage thérapeutique devient, avec le vote du Sénat, passible de sept ans d'emprisonnement et d'un million d'euros d'amende.

Reste que la grande majorité des scientifiques sont partisans du clonage thérapeutique, à l'exception de rares chercheurs, comme le généticien Axel Kahn, de l'Institut national de la santé de la recherche médicale (Inserm), ou le biologiste Jacques Testard, père du premier bébé éprouvette français. Le vote du Sénat risque-t-il de donner une image rétrograde de la France ? C'est ce que craignent les scientifiques. Pour autant, les États-Unis et l'Allemangne ont, eux aussi, interdit le clonage thérapeutique, aujourd'hui uniquement autorisé en Angleterre et dans certains pays d'Asie, comme Singapour. Ailleurs, c'est le vide juridique.

Recherche sur l'embryon à titre exceptionnel

Le gouvernement a souhaité modérer son interdiction du clonage thérapeutique en accordant aux scientifiques une dérogation : les laisser travailler sur des embryons surnuméraires ne faisant plus l'objet d'un projet parental, ceci pour une période limitée à cinq ans. Des embryons dont on ne sait plus trop quoi faire en réalité. La communauté scientifique pourra ainsi tenter de mieux comprendre comment les cellules embryonnaires peuvent se différencier en différents tissus (rénal, cardiaque...) susceptibles de régénérer des organes défectueux.

Création de l'Agence de la biomédecine

Elle sera chargée d'autoriser les établissements publics et privés qui conservent, à des fins scientifiques, les cellules souches embryonnaires destinées à la recherche. L'agence aura également la mission d'autoriser les importations de tissus, de cellules embryonnaires ou foetaux.

Assistance médicale à la procréation

Le transfert d'embryon après le décès du géniteur ne sera plus autorisé. Par ailleurs, la preuve de deux ans de vie commune sera nécessaire pour accéder à l'AMP, une mesure vivement déplorée par les élus de gauche.

De plus, toute création d'embryon à des fins de recherche étant exclue, l'évaluation des techniques d'AMP est aujourd'hui interdite alors qu'elle était jusqu'à présent autorisée. Une mesure que certains sénateurs de gauche regrettent face au manque d'évaluation des risques chez les enfants nés après ICSI (technique de fécondation in vitro en cas d'infécondité masculine, ndlr) par exemple. Le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, répond que ces techniques sont insuffisamment testées in vitro, dénonçant la dérive de l'AMP, c'est-à-dire « l'acharnement procréatif », terme lancé en 1999 par Axel Kahn. Jean-François Mattei cite notamment les dérives inquiétantes telles que les taux de prématurité de gémellité, ou d'infirmité cérébrale chez les enfants nés après AMP.

Dons d'organes

Le cercle des donneurs vivants sera moins élargi que le prévoyait le texte voté il y a un an par l'Assemblée législative. Alors que les députés avaient accordé la possibilité de don aux proches du receveur, sans qu'ils soient biologiquement apparentés, Jean-François Mattei la limite aux personnes pouvant apporter la preuve de deux ans de vie commune avec le receveur. Dans tous les cas, les dons à partir de cadavres doivent être privilégiés.

Bioéthique

UNE RÉFORME TROP PRUDENTE ?

Le Sénat vient d'adopter, non sans débat, le projet de loi interdisant le clonage thérapeutique. Pour certains, il est temps de tester cette technique originale, susceptible de déboucher sur de nouveaux traitements contre des maladies telle que l'Alzheimer ou la mucoviscidose. D'autres, plus vigilants ou « frileux », selon le point de vue, considèrent que le clonage thérapeutique ouvre grand la porte au délire du clonage humain. Le point avec le Pr Didier Sicard, le président du Comité consultatif national d'éthique, chef de service de médecine interne à l'hôpital Cochin.

Infirmière Libérale Magazine : Quelles sont les expériences déjà réalisées par les scientifiques en matière de clonage ?

Pr Didier Sicard : tout a commencé en 1997, lorsqu'un chercheur écossais a réussi pour la première fois à cloner une brebis. Pour ce faire, il a prélevé une des cellules mammaires de l'animal dont il a extrait le noyau qu'il a ensuite injecté dans un ovocyte énucléé de brebis. Or, surprise, le matériel génétique de la cellule mammaire, une fois dans l'ovocyte, est revenue à un stade embryonnaire. Bref, comme si elle avait remonté le temps. Le chercheur a ensuite réimplanté l'ovocyte cloné dans l'utérus d'une autre brebis. C'est ainsi qu'est né le premier clone animal, identique à la brebis à qui on avait prélevé les cellules mammaires. Depuis cette technique dite de clonage reproductif a été reproduite avec succès chez la vache et le cochon. Uniquement.

ILM. Quelle est la différence entre le clonage reproductif et le clonage thérapeutique ?

DS. La faisabilité de cette technique chez l'animal a aussitôt donné l'idée aux scientifiques d'utiliser le clonage à des fins thérapeutiques chez l'homme. Au lieu de réimplanter l'embryon cloné dans un utérus, ce qui reviendrait à un clonage reproductif, on peut le congeler et l'exploiter ensuite en laboratoire, comme source de cellules souches embryonnaires.

Les scientifiques ont découvert ces dernières années que ces cellules ont une fabuleuse propriété : celle de se différencier et donc de pouvoir donner toutes sortes de tissus (rénal, cardiaque, nerveux...). Tout dépend en fait du milieu dans lequel elles sont cultivées. D'où l'idée d'utiliser cette technique dite de clonage thérapeutique pour régénérer des tissus défectueux. Et ainsi traiter peut-être des pathologies neurodégénératives telles que l'Alzheimer ou la maladie de Parkinson.

ILM. En quoi cette technique de clonage thérapeutique représente-t-elle un danger ?

DS. Pour le moment, la technique qui, bien entendu, n'a jamais été menée chez l'homme, est encore à l'étude. Chez l'animal, on sait qu'il faut parfois une centaine d'ovules pour obtenir un ovocyte cloné. Alors que les partisans du clonage thérapeutique plaident justement pour que les scientifiques puissent multiplier leurs expériences et ainsi améliorer, à terme, l'efficacité de la technique, les opposants pointent du doigt la possible marchandisation des ovules que cette technique peut générer. Outre cet obstacle, les opposants soulignent que le clonage thérapeutique constitue une étape préliminaire pour le clonage reproductif. C'est le clonage qui est difficile, et non l'implantation dans l'utérus de l'ovocyte cloné.

Les opposants s'indignent par ailleurs du caractère « individualiste » de cette thérapeutique - au demeurant fort coûteuse - qui ne s'adresse qu'à une seule personne à chaque fois. Autre argument négatif, la greffe de cellules souches embryonnaires pose problème dans la mesure où ces « jeunes » cellules ont une probabilité accrue de se différencier en cellules tumorales. Enfin, dernier point : le clonage thérapeutique signifie que l'on fabrique des êtres en devenir - des embryons - pour soigner des maladies dégénératives, autrement dit des maladies de personnes âgées. Une démarche moralement discutable.

Propos recueillis par Corinne Drault