Les sujets âgés face aux risques de l'été - L'Infirmière Libérale Magazine n° 184 du 01/07/2003 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 184 du 01/07/2003

 

Formation continue

Prévenir

Pour les personnes très âgées et fragiles, l'été constitue une saison à risque. Les fortes chaleurs s'accompagnent toujours d'un pic de mortalité principalement dû aux effets de la déshydratation. Cette déshydratation est souvent liée à une surveillance et une prise en charge préventive insuffisantes. La morbi-mortalité qui en résulte pourrait être limitée, voire évitée, au prix d'une solidarité et d'une prévention mieux orchestrées.

En juillet 2002, Hubert Falco, secrétaire d'État aux Personnes âgées, appelait les responsables sanitaires chargés de la prise en charge des sujets âgés à la plus extrême vigilance : « La période d'été, indiquait-il, peut être synonyme d'isolement avec le départ en congés des familles et des personnels de santé en ville, dans les services et les institutions. Compte tenu de la fréquence des incidents et accidents liés à la fragilité accrue des personnes âgées survenus à cette période au cours des années passées, il m'apparaît indispensable de rappeler à tous les acteurs de santé la nécessité d'assurer une présence suffisante, qualifiée et attentive auprès des personnes âgées afin de prévenir les risques sanitaires inhérents à la période estivale et aux grosses chaleurs qui l'accompagnent ».

« De fait, confirme le Pr Olivier Saint Jean, chef du service de gériatrie de l'hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP), alors que les personnes âgées ont besoin d'une surveillance accrue, les effectifs sont encore plus tendus que d'habitude, ce qui ajoute aux risques directement liés aux effets de la chaleur, en réduisant autour des sujets âgés la présence des acteurs susceptibles de mettre en oeuvre les mesures de prévention et de repérer précocement les signes d'alerte. » Il est donc important que les acteurs de soins et d'aide aux personnes âgées à domicile s'organisent pour que, en dépit de l'absentéisme estival, leurs patients puissent passer cette période de l'année en toute sécurité. Un appel qui impose de faire preuve de prévoyance pour assurer un accompagnement relais aux personnes nécessitant une surveillance (personnes âgées particulièrement fragiles ou démentes), et pour faire en sorte, lorsque les sujets sont autonomes et disposent de toutes leurs facultés intellectuelles, que les mesures de prévention soient comprises, intégrées et correctement observées. Une mission d'organisation et d'éducation qui incombe, entre autres, aux infirmiers libéraux.

DÉNUTRITION : L'ISOLEMENT MIS EN CAUSE

Si le vieillissement est associé à une baisse de l'appétit susceptible de jouer un rôle dans la réduction des apports en eau issus de l'alimentation (en moyenne un litre par jour), il n'existe pas d'étude démontrant que la chaleur a un impact propre sur les mécanismes régulant l'appétit. Il convient donc, en toutes saisons, de surveiller les apports alimentaires en sachant que, contrairement à l'idée reçue, les besoins nutritionnels ne diminuent pas avec l'âge et qu'une personne âgée (PA) ne peut se contenter d'apports alimentaires restreints. Les recommandations internationales imposent, en effet, un apport énergétique compris entre 1 800 et 2 000 calories par jour, chez l'homme comme chez la femme.

Si la chaleur ne constitue pas en soi une cause de dénutrition, elle majore en revanche le développement de germes pathogènes dans des aliments mal conservés (rupture de la chaîne du froid) et le risque de toxi-infection alimentaires.

Enfin, l'isolement, la fermeture des services de portage de repas et la solidarité de voisinage moins efficace en été multiplient les difficultés que rencontrent certaines PA à faire leurs courses ou à préparer leurs repas. Des difficultés qui influencent péjorativement la qualité des apports alimentaires et qu'il convient d'anticiper car elles favorisent l'aggravation d'états nutritionnels précaires.

DÉSHYDRATATION : LE RISQUE MAJEUR

Toutefois, l'impact le plus redoutable de la chaleur sur les PA reste lié à son pouvoir déshydratant. Problème récurrent, la déshydratation constitue le motif principal d'hospitalisation des sujets très âgés dans plus de 7 % des cas 1. Elle intervient dans le diagnostic d'admission chez plus de 25 % des PA hospitalisées 1 et représente un facteur de mauvais pronostic en terme de morbidité (décompensation de maladies existantes) et de mortalité. L'étude menée par Weinberg montre, en effet, que 18 % des patients admis à l'hôpital avec une déshydratation sont décédés dans les 30 jours et que lorsque la déshydratation est associée à une autre pathologie (infection par exemple), la mortalité atteint 50 % dans l'année qui suit l'hospitalisation. « Si les déshydratations sévères sont aujourd'hui moins fréquentes qu'hier, commente le Pr Saint Jean, nous constatons que leur nombre double en été et que, en dépit des améliorations constatées, 30 à 40 % des patients âgés qui arrivent à l'hôpital présentent des troubles de la déshydratation. » Cela concerne plus généralement des sujets dont l'autonomie est compromise par un handicap physique ou intellectuel ou dont l'état de santé est altéré par une maladie intercurrente (affection fébrile, troubles digestifs, etc.).

L'ÂGE : UN FACTEUR DE RISQUE

« Les PA, déjà fragilisées, sont d'autant plus à risque de déshydratation, poursuit le Pr Saint Jean, que le vieillissement s'accompagne d'une baisse de la masse musculaire et de la quantité totale d'eau corporelle 2 et d'une altération du mécanisme physiologique de régulation de l'hydratation. En effet, pour des raisons complexes, probablement liées à une réduction de la sensibilité des récepteurs osmotiques (cellules du cerveau chargées d'enregistrer les variations de concentration d'eau dans les tissus et de déclencher l'envie de boire), les sujets âgés perdent la sensation de soif, ce qui entraîne un déséquilibre entre les apports et les pertes en eau. 3 »

Ces dernières sont par ailleurs majorées car la transpiration corporelle augmente en raison de la chaleur, mais aussi parce que les PA sont souvent trop couvertes. Cette habitude, liée au fait que les PA perdent la sensation de leur température corporelle, présente un double inconvénient : non seulement elle les empêche de profiter des bienfaits des rayons du soleil (lire encadré), mais elle risque de précipiter la déshydratation en augmentant la perte en eau par sudation : celle-ci peut atteindre un litre par jour, contre 300 ml en moyenne. Il est donc important d'inciter les PA à se découvrir en cas de fortes chaleurs.

DE L'USAGE DES DIURÉTIQUES

Enfin, il convient d'insister sur l'effet pervers des diurétiques dont l'usage mal approprié peut favoriser la fuite des réserves en eau et contribuer à installer une déshydratation. « La difficulté, explique le Pr Saint Jean, tient au fait que ces médicaments, prescrits chez les PA pour traiter l'HTA et l'insuffisance cardiaque, ont pour but d'augmenter l'élimination urinaire du sodium et de l'eau et sont souvent associés à un régime désodé trop strict qui, ajouté aux restrictions hydriques involontaires, voire volontaires (sujets incontinents qui limitent leur consommation de boissons), majore le risque de déshydratation. Il me paraît donc préférable, en cas d'HTA associée à un déficit cognitif, de choisir la prudence et d'avoir recours à d'autres médicaments. En revanche, il est tout à fait possible chez des patients disposant de toutes leurs facultés intellectuelles de prescrire des diurétiques à faible dose, voire un jour sur deux en cas de fortes chaleurs, à condition d'assortir cette prescription d'une éducation encourageant une bonne hygiène de vie (pas d'excès de sel, boire normalement). »

Le problème est plus délicat pour les insuffisants cardiaques, car ils ont tous besoin de diurétiques en permanence. Dans ce cas, les patients dont l'éducation est impossible, doivent bénéficier d'une prévention rigoureuse de la déshydratation. « La surveillance du poids constitue un témoin de surveillance très utile chez des patients correctement alimentés et en bon état général, conseille le Pr Saint Jean. À partir d'un poids de référence, une pesée hebdomadaire, voire plurihebdomadaire dans les mêmes conditions (même balance, même heure, tenue vestimentaire équivalente) permet de s'assurer que les diurétiques sont correctement dosés et que la personne n'est pas en train de se déshydrater : une élévation anormale du poids traduit un traitement insuffisant (le patient stocke de l'eau et du sel); et une perte de poids, un surdosage et un risque de déshydratation (le patent perd trop d'eau et de sel). »

GUÉTER LES SIGNES D'ALERTE

Lorsque la prévention primaire n'est pas suffisamment efficace, il peut être utile de repérer les premiers signes d'alerte de la déshydratation pour mettre rapidement en oeuvre les mesures compensatoires.

Globalement, les symptômes cliniques évocateurs de la déshydratation chez le sujet jeune (pli cutané, sécheresse des muqueuses, oligurie, hypotention) sont peu significatifs chez la PA. « Bien que non spécifiques, une altération de l'état général, une asthénie, des malaises diffus, voire des chutes, constituent des signes plus évocateurs chez le sujet âgé, indique le Pr Saint Jean. L'aggravation d'un état neuropathologique préexistant ainsi que toute modification du comportement (syndrome confusionnel, torpeur, agressivité, agitation) doivent également alerter. De même, une escarre débutante (signe d'une peau déshydratée), des couches plus sèches qu'à l'accoutumé chez des patients incontinents, des aisselles sèches, une tension artérielle anormalement faible et une température constante à 38 °C doivent évoquer une déshydratation. » En cas de doute, un dosage sanguin objectivant une hypernatrémie (taux de sodium dans le plasma sanguin supérieur à 145 milliéquivalents/litre)4 permet de conclure à une déshydratation globale par perte excessive d'eau (déshydratation hypertonique) justifiant de mettre en oeuvre des mesures curatives qui, utilisées de manière anticipée, permettent aussi de prévenir la déshydratation.

HYDRATER PAR TOUS LES MOYENS

« Pour prévenir efficacement la déshydratation chez le sujet âgé, indique Martine Leclère, Idel à Toulouse, il me semble que nous devons conduire une démarche d'éducation en amont pour amener les "jeunes patients âgés", dès 65 - 70 ans, à s'hydrater sans attendre d'avoir soif afin de créer des habitudes qui s'inscrivent dans l'hygiène de vie courante. À cet effet, je leur conseille de varier les boissons tout au long de la journée en fonction de leur goût et d'avoir par ailleurs une bouteille d'eau marquée à leur nom leur permettant de contrôler la quantité d'eau bue par jour en plus des autres boissons (thé, café, jus de fruit, soupe, etc.). Pour ceux qui n'aiment pas l'eau, je leur suggère de l'aromatiser légèrement, pour transformer l'obligation de boire en plaisir. Certains vont même jusqu'à quantifier la quantité bue globalement par jour en mesurant le volume hydrique des verres, tasses et bols absorbés chaque jour. De cette manière, boire devient un geste réflexe qui finit par entrer dans les habitudes de vie. Vis-à-vis des patients plus âgés, qui n'ont pas suivi cette démarche, il est important de leur prodiguer les mêmes conseils et de veiller à ce que l'entourage les incite à boire. »

On précisera que boire des petites quantités à chaque fois permet d'augmenter le phénomène réflexe et de diminuer la distension gastrique responsable du phénomène de satiété.

On peut également conseiller de favoriser la consommation d'aliments riches en eau comme la pomme crue râpée, la banane crue écrasée ou encore le coing et les myrtilles en gelée qui ont un fort pouvoir de rétention d'eau du fait de leur richesse en pectine. De même, il est conseillé de privilégier les légumes frais cuits et crus, les fruits frais ou en conserve, les poissons maigres, les abats, les oeufs, les fromages frais et les yaourts. « Lorsque des risques de fausse route sont à craindre, poursuit Martine Leclère, il est important de banaliser le recours à l'eau gélifiée aromatisée ou encore, l'utilisation de glaçons d'eau ou de jus de fruits. » « L'eau gélifiée doit être avalée rapidement, commente le Pr Saint Jean. Cette précaution est particulièrement importante chez les PA qui présentent des apraxies de la déglutition (grands déments notamment) car la salive détruit la gélatine et transforme l'eau gélifiée en liquide lorsqu'elle est conservée dans la bouche. Par ailleurs, il peut être utile aux infirmiers libéraux de savoir que nous utilisons avec succès dans notre service, du Perrier ou du Coca-Cola, dont les bulles semblent stimuler le réflexe de déglutition et favoriser l'hydratation naturelle. »

BANALISER LA PERFUSION SOUS-CUTANÉE

Lorsque les apports hydriques restent néanmoins insuffisants, il est possible de prévenir la déshydratation par la perfusion sous-cutanée (hypodermoclyse). Cette technique permet d'éviter la voie veineuse souvent mal tolérée et arrachée par les sujets déments. Sûre 5, simple, efficace et confortable, la perfusion SC peut être mise en oeuvre la nuit, ce qui permet de préserver la mobilité des patients la journée et de limiter les conséquences péjoratives d'une immobilisation prolongée (escarre, thrombophlébite, constipation). « On peut ainsi très facilement perfuser un litre de G5 la nuit sur un ou deux sites (cuisses par exemple) au prix d'un passage infirmier le soir pour brancher et vérifier le dispositif, le débranchement pouvant être confié à la famille si l'infirmier juge que l'éducation de l'entourage et les conditions d'hygiène sont suffisantes », indique le Pr Saint Jean.

« Lorsqu'on prend en charge des PA à domicile dans l'incapacité de gérer elles-mêmes correctement leur hydratation, il est aujourd'hui indispensable de maîtriser cette technique (lire encadré) et de ne pas hésiter à en suggérer la prescription au médecin », insiste Martine Leclère. Toutefois, cela ne dédouane pas - encore plus en été - d'assurer des apports hydriques diurnes et de surveiller que l'hydratation globale est suffisante pour compenser les pertes en eau.

Mais cette surveillance quotidienne et ponctuelle de l'infirmier ne peut être vraiment efficace qu'à la condition d'être continuellement relayée par les autres acteurs (auxiliaire de vie, famille, voisins proches, concierge...) qui environnent le patient âgé. Relativement facile à coordonner en temps normal, cette continuité des soins doit impérativement être maintenue en été, en dépit des congés. « Cela suppose d'anticiper très longtemps à l'avance et d'organiser la prise en charge de telle sorte qu'une assistance minimum entoure nos patients, conclut Martine Leclère. Personnellement, j'utilise un cahier de liaison permettant à chacun des intervenants de noter ses périodes de congés ce qui facilite ensuite l'identification des périodes critiques et le choix de solutions avec les familles. » En conjuguant esprit de solidarité et d'organisation, les infirmiers peuvent ainsi prévenir au mieux les risques sanitaires auxquels sont exposées les personnes âgées, l'été.

1 Weinberg et coll., Council report on déshydratation, Evaluation and management in older adults, JAMA, 1995, 274, 1552-1556.

2 L'eau représente 70 % du poids du corps à la naissance et 50 % chez le sujet âgé sain.

3 En moyenne, un individu perd chaque jour 300 ml d'eau par la transpiration, 300 ml par la respiration, entre 500 et 900 ml par les urines et 100 ml par les selles. Il convient de compenser ces pertes par des apports hydriques équivalents à 1,5 l minimum.

4 La natrémie normale est comprise entre 135 et 142mEp/l.

5 Comparée à la voie veineuse, cette technique évite les risques de thrombose, de septicémie et d'embolie gazeuse. De même, le risque d'hypervolémie est plus faible qu'en cas de perfusion IV.

Soleil, un allié précieux

Bien qu'il soit à consommer avec modération, le soleil est indispensable aux personnes âgées pour fixer la vitamine D, dont le besoin s'accentue avec l'âge et dont les carences sont fréquentes. Celles-ci entraînent un défaut de minéralisation de la matrice protéique de l'os, à l'origine d'une ostéomalacie qui fragilise les os et favorise les fractures en cas de chute. Pour compenser ces carences, tous les sujets âgés de plus de 80 ans devraient bénéficier d'une évaluation annuelle de leur statut vitamino-calcique et, pour ceux présentant un déficit en vitamine D, d'une supplémentation associée à la supplémentation calcique normalement prescrite à partir de cet âge.

L'hypodermoclyse en pratique

La perfusion sous-cutanée nécessite une tubulure unique avec système de clampage et chambre pour visualiser le débit, une aiguille épicrânienne, 21 à 25 G ou un petit cathéter G 22 et du film transparent pour fixer l'aiguille. Celle-ci doit être introduite dans le tissu sous-cutané parallèlement au fascia sous-jacent et doit rester mobile entre la peau et le muscle. Elle peut être positionnée sur la face antérieure externe ou interne de la cuisse, sur la paroi abdominale, les régions sous-claviculaires ou les faces latérales du thorax. Le soluté (sérum glucosé à 5 % ou sérum salé isotonique) est administré à un débit et sur une durée variables en fonction du volume à perfuser et de l'état du patient. Une perfusion de 1 000 ml sur 8 heures en nocturne à un débit de 2 ml/mn pourra être réalisée en 4 heures chez un patient agité. La réduction du temps de perfusion peut occasionner un oedème local éphémère et sans conséquence.