Morsures, griffures, piqûres - L'Infirmière Libérale Magazine n° 184 du 01/07/2003 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 184 du 01/07/2003

 

Formation continue

Prendre soin

Exposés tout au long de l'année aux assauts plus ou moins amicaux de nos animaux domestiques préférés, nous sommes particulièrement confrontés à ces accidents pendant la période estivale. L'occasion de faire une petite « piqûre de rappel » sur la conduite à tenir face aux morsures, griffures, piqûres et autres agressions.

Qu'ils nous soient familiers ou non, les animaux qui nous environnent peuvent être la cause de bien des maux. C'est souvent parce que l'on sous-estime leurs réactions que l'on se fait mordre, griffer ou piquer.

Ainsi, chaque année, 20 000 morsures sont recensées en France, dont 90 % sont occasionnées par les chiens et les chats, les 10 % restants étant le fait de rongeurs, d'animaux de loisirs, d'animaux sauvages ou de serpents (lire encadré). Probablement sous-évaluées, car un grand nombre d'entre elles ne donnent lieu à aucune consultation, les morsures peuvent avoir des conséquences infectieuses, traumatiques ou psychologiques graves. Un constat qui impose d'améliorer la prévention, d'autant que ces accidents sont évitables dans la plupart des cas.

MORSURES ET GRIFFURES

Les chiens, loin devant les chats (5 à 15 % des morsures et griffures), représentent la première cause de morsure d'animaux domestiques. Si la majorité d'entre elles sont bénignes, certaines sont délabrantes et laissent des séquelles (1 à 3 % des cas) faute d'une prise en charge suffisamment précoce. Or, une prise en charge rapide est primordiale pour assurer une bonne réparation et éviter des conséquences risquant de grever lourdement l'avenir esthétique et fonctionnel.

Les études épidémiologiques mettent en évidence que l'association « petit enfant - gros chien » majore la fréquence et la gravité des blessures. Elles montrent également que les chiens agresseurs sont le plus souvent jeunes (moins de 5 ans). Les morsures, qu'elles soient de chien ou de chat, sont punctiformes dans la majorité des cas (respectivement 60 % et 85 %). En général, les mains et les bras sont les plus fréquemment atteints parce qu'ils interviennent dans la position de défense. Toutefois les enfants restent principalement mordus au visage par les chiens.

Évaluer la gravité de la morsure

Une prise en charge d'urgence s'impose dans les cas suivants :

-> perte de substance nécessitant une intervention réparatrice ou reconstructrice,

-> morsure profonde justifiant une exploration chirurgicale, une atteinte vasculaire, nerveuse, tendineuse, articulaire ou osseuse,

-> morsure non superficielle de la face ou une griffure concernant la sphère oculaire.

Il est également conseillé de consulter pour toute morsure, même superficielle, du visage chez le petit enfant. Lorsqu'il s'agit de plaies bénignes, des soins locaux (lavage, désinfection, protection stérile) assurent une guérison sans traces.

Prévenir le risque infectieux

Les morsure de chiens ou de chats sont toujours septiques car leur flore dentaire comporte de nombreux germes (streptocoques, staphylocoques, moraxella...), dont les plus fréquemment isolés sont Pasteurella canis (morsures de chien) ou Pasteurella multocida (morsures de chats). Ces germes sont responsables de la Pasteurellose, principale complication infectieuse des morsures et griffures animales 1. Ils occasionnent, après environ 12 heures d'incubation, une inflammation de la plaie, un oedème, une fièvre modérée, un écoulement séreux ou séro-purulent, une lymphangite et des adénopathies périphériques. Sans traitement efficace, une arthrite peut apparaître. Les griffures de chat occasionnent également la maladie dite « des griffes du chat » (MGC), qui résulte d'une contamination de la plaie par Bartonella henselae. Cette bactérie est hébergée dans la cavité buccale du chat et répandue sur les griffes par la salive lors de la toilette. Le chat porteur, généralement jeune, n'est contaminant que pendant environ 3 semaines. L'enfant et l'adulte jeune (moins de 18 ans) représentent 80 % des personnes contaminées. « La maladie se manifeste environ trois semaines après l'incident par une adénopathie régionale unique ou multiple siégeant dans le territoire de drainage lymphatique de la plaie, indique le Dr Eric Caumes, infectiologue (hôpital de la Pitié-Salpétrière, Paris). Elle s'accompagne dans environ un cas sur deux d'une fièvre modérée. Son diagnostic est sérologique et son évolution bénigne, l'adénopathie se résorbant lentement (en quelques semaines) sans traitement. Toutefois, certaines formes assez rares (patients immunodéprimés notamment) peuvent occasionner des complications loco-régionales (tendinosynovite, arthrite, cellulite infectieuse, syndrome oculo-glandulaire de Parinaud), ou générales (septicémie avec atteinte pulmonaire voire cardiaque, encéphalite) qui relèvent d'une antibiothérapie prolongée. La gravité potentielle des formes cliniques chez les patients immunodéprimés impose de les informer et de leur conseiller d'éviter le contact des chats. »

Conduite à tenir

Les premiers soins d'une plaie par morsure ou griffure sont non spécifiques. Il est important d'irriguer la plaie à l'eau tiède et au savon (il détruit le virus de la rage). Une forte pression d'eau (elle doit rester raisonnable pour ne pas aggraver les dommages) permet d'éliminer un plus grand nombre de germes.

Ce lavage doit être suivi d'une désinfection large à l'aide d'une solution antiseptique (eau oxygénée, Betadine®, Mercryl®, Hibitane® ou Dakin®). « Il est également important de débrider les tissus nécrosés qui gêneraient la cicatrisation, indique le Dr le Mouël 2. Toutefois les gestes concernant des zones fragiles (bordure des lèvres, paupières) doivent être limités. »

Lorsqu'une suture est nécessaire, il convient de différencier deux situations : s'il s'agit d'une plaie récente, large, ne présentant pas de signes d'infection mais un risque esthétique en cas d'abstention, il est consensuellement admis de réaliser une suture précoce. De même, en cas de plaie au visage, l'oedème secondaire à la morsure impose d'agir sans attendre. Il est donc convenu, sous couvert d'une antibiothérapie et d'un éventuel drainage de la plaie, de réaliser immédiatement des sutures fines. La bonne irrigation sanguine du visage et sa tendance naturellement faible à la surinfection sont également en faveur d'une suture précoce. « En revanche toute plaie profonde, vue après 24 heures, infectée ou siégeant à la main, doit faire l'objet de soins avant d'être suturée », indique le Dr Le Coz, dermatologue, chef de clinique (Hôpital civil de Strasbourg) 3. Associée à une antibioprophylaxie4 quasi systématique en raison du risque infectieux, la plaie est nettoyée à l'aide d'un pansement gras renouvelé tous les jours (Antibiotulle® par exemple) jusqu'à ce qu'elle soit propre (environ trois jours). Ce délai passé, si les berges ne sont pas infectées, la suture est réalisée.

Prophylaxies secondaires

Quel que soit l'animal mordeur, il est indispensable de vérifier le statut antitétanique du malade. Si le patient a été bien vacciné (deux primovaccinations à un mois d'intervalle, puis un rappel un an après), on effectuera un rappel du vaccin contre le tétanos si la plaie survient entre 5 et 10 ans après la dernière injection.

De son côté, l'animal doit faire l'objet d'un contrôle de vaccination antirabique mais surtout (cette vaccination n'étant pas obligatoire) d'une surveillance vétérinaire afin de déterminer si le blessé doit bénéficier lui-même d'une vaccination. Pour mémoire, la rage est une maladie virale potentiellement mortelle qui peut être transmise par morsure, griffure ou contact de salive virulente sur une plaie ou une excoriation cutanée. La vaccination humaine n'est pas utile si l'animal en cause est indemne de rage. Il est donc important de le capturer (faire appel au commissariat, à la gendarmerie ou aux pompiers si nécessaire ; décret n° 76-867 du 13 septembre 1976) et de retrouver son propriétaire afin que la bête soit mise sous surveillance.

« Chez le patient, la prophylaxie de la rage est immédiate lorsqu'on ne peut pas exclure le risque de contamination soit par l'interrogatoire, soit par la surveillance vétérinaire de l'animal 5, soit par le diagnostic biologique à l'autopsie de l'animal, indique le Dr Yolande Rotivel, du Centre national de référence pour la rage (Institut Pasteur, Paris). Dans ce cas, le blessé doit être vacciné le plus rapidement possible. Les protocoles actuels associent des injectons de vaccins (quatre à cinq) et, dans certains cas (contamination de catégorie III), une sérothérapie locale au niveau des plaies dans le but de neutraliser le virus in situ avant qu'il ne pénètre dans le système nerveux. »

Prévenir

D'une manière générale, ces accidents sont souvent liés à l'imprudence et au manque d'attention. Ils sont évitables dans la majorité des cas, sous réserve d'observer quelques règles de bons sens permettant de prévenir les situations à risque :

-> choisir la race de l'animal en fonction du mode et du lieu de vie de la famille,

-> soustraire les enfants aux chiens agressifs,

-> ne jamais laisser sans surveillance un enfant avec son chien, surtout si le chien est beaucoup plus gros que l'enfant,

-> ne pas déranger un chien qui mange, qui dort ou une femelle qui garde ses petits,

-> apprendre à l'enfant qu'il est dangereux d'approcher son visage de la tête du chien et de se jeter sur lui brusquement pour lui témoigner son affection ou pour jouer,

-> éviter de fixer un chien inconnu droit dans les yeux. C'est une marque de défi,

-> ne jamais accepter, même pour jouer, les mordillements du chien,

-> ne jamais toucher un chien inconnu,

-> connaître les signes d'agressivité du chien (poils dressés, grognement, posture, regard fixe sur l'adversaire, hypersalivation). Ces réactions résultent en général d'une mauvaise éducation initiale de l'animal 6 et peuvent être provoquées par un comportement auquel il n'est pas habitué ou une situation imprévue face à laquelle il ne peut pas fuir,

-> rester vigilant y compris lorsqu'on croit bien connaître son chien,

-> protéger les chats de l'infestation par les puces car elles joueraient un rôle important dans la transmission des germes responsables de la MGC,

-> éviter de côtoyer les chats et surtout les chatons (ils véhiculent davantage la MGC) en cas d'état immunodépressif.

PIQÛRES D'INSECTES

Les piqûres d'insectes (abeilles, guêpes, frelons, araignées, aoûtats, moustiques) sont habituellement plus douloureuses que dangereuses dès lors qu'elles sont isolées. En revanche, en cas de piqûres multiples ou de terrain allergique, la réaction peut être violente et grave (gonflement, démangeaisons intenses, détresse respiratoire ou circulatoire). De même, une piqûre dans la bouche ou l'arrière gorge représente une urgence parfois vitale qui impose d'appeler le Samu.

Devant toute piqûre, si le dard est visible il convient de l'enlever à l'aide d'une pince à épiler désinfectée à l'alcool. On peut tenter d'aspirer le venin à l'aide d'un appareil type Aspivenin®, prévu à cet effet. Ensuite, on procède, comme pour toute plaie simple ou morsure, à un nettoyage à l'eau et au savon, suivi de l'application d'une solution antiseptique cutanée ou d'une crème apaisante.

En présence de signes d'inflammation (les piqûres d'araignées sont souvent inflammatoires) ou d'infection, il est recommandé de consulter. Il peut également être utile de savoir que les araignées tropicales sont beaucoup plus dangereuses que celles que nous avons coutume de croiser sous nos latitudes. Leur piqûre peut entraîner des complications circulatoires et neurologiques graves. Il convient d'être prévoyant et de s'organiser pour pouvoir, le cas échéant, faire appel aux secours locaux le plus rapidement possible.

Quant aux piqûres de moustiques, elles ne présentent un risque de complication qu'en zone infestée par le paludisme. Leur prévention réside dans la prise régulière d'un antipaludéen avant le départ, durant le voyage et après le retour (entre quatre et six semaines suivant le médicament prescrit), quelle que soit la durée du voyage. Des consignes et conseils d'autant plus facile à rappeler pour les infirmiers libéraux qu'ils sont aux premières loges pour observer et discuter des projets de vie (acquérir un animal domestique, vacances, voyages) de leurs patients.

1 Le risque infectieux lié aux morsures de chat est deux fois plus grand que celui des morsures de chien. Le taux de complications septiques se situe entre 30 et 50 % (contre 2 à 30 % en cas de morsure canine) car les germes, plus profondément ancrés, sont aussi plus difficilement « délogeables ».

2 Source : Mémoire de DU « Plaies et cicatrisation », 1999, publié dans le JPC n° 31, mars 2002.

3 JPC n° 15, décembre 1998.

4 L'antibiothérapie doit être instaurée le plus tôt possible car les pasteurelloses se développent en quelques heures. Elle fait appel soit aux cyclines, soit aux ampicillines associées ou non à l'acide clavulanique. La durée du traitement varie en fonction des plaies et de leur évolution (trois à sept jours en moyenne).

5 La surveillance vétérinaire est réalisée à 48 heures, 8 jours et 15 jours et fait l'objet d'un certificat de « mise en observation d'un animal ayant mordu » donné au propriétaire et remis à la victime.

6 L'éducation du chiot est particulièrement importante durant la période critique d'adaptation qui se situe entre 3 et 14 semaines.

Morsures de serpent : les recommandations

En France, les seuls serpents venimeux dangereux sont les vipères. Dans 95 % des cas, leurs morsures (un à deux petits points rouges) touchent les mains et les jambes. Pas forcément douloureuses, elles provoquent parfois une simple sensation de piqûre et s'accompagnent, dans les 30 minutes à 3 heures qui suivent, d'un oedème périphérique qui gagne progressivement le membre dans sa totalité. Celui-ci se recouvre d'ecchymoses. L'oedème est associé à des douleurs aggravées par l'utilisation du membre. L'état général s'altère : sensation de malaise, sueurs, nausées, voire vomissements, chute de tension. Contrairement à l'idée reçue, ces morsures sont rarement mortelles (deux à trois décès pour environ 3 000 morsures recensées chaque année). La vie du patient n'est vraiment en danger qu'en cas de morsures multiples ayant entraîné l'injection d'une dose importante de venin. Toutefois, la morsure de serpent occasionne souvent une réaction de panique consécutive à des idées fausses qui peuvent entraîner des conduites dangereuses. D'où l'intérêt de rappeler ce qu'il convient de faire et surtout, de ne pas faire, dans ce cas.

Ce qu'il faut faire :

-> Immobiliser la victime en position allongée, la rassurer, la couvrir.

-> Retirer les bijoux qui pourraient réaliser un garrot en cas d'oedème important.

-> Si possible, désinfecter la morsure à l'aide d'eau oxygénée, d'un produit iodé ou Dakin ® mais surtout pas d'éther ou d'alcool (inefficaces, favorisent la diffusion du venin).

-> Bander le membre mordu de bas en haut pour ralentir la diffusion du venin, en veillant à ne pas le comprimer. De la glace, entourée d'un linge propre et appliquée sur la morsure, permet de réduire l'oedème et la douleur.

-> Donner un antalgique de la famille du paracétamol mais surtout pas d'aspirine : son action anticoagulante risque d'augmenter les ecchymoses.

-> En fonction de la localisation géographique, appeler les secours ou transporter le blessé à l'hôpital en lui évitant tout effort.

-> Prévoir une trousse de secours contenant le matériel nécessaire et garder son sang froid.

Ce qu'il ne faut pas faire :

-> Poser un garrot. Celui-ci bloque la circulation et favorise l'oedème ainsi que la nécrose des tissus. Les conséquences peuvent être graves, voire irréversibles.

-> Inciser et aspirer la plaie. Cela ne peut qu'aggraver la situation et présente un risque pour celui qui le fait. De même, l'aspiration par des appareils type Aspivenin® n'est pas conseillée car inefficace sur ce type de morsure.

-> Injecter un sérum antivenimeux. Il existe un risque allergique justifiant l'utilisation exclusive de ce sérum en milieu hospitalier.

-> Faire boire des boissons (thé, café, alcool) susceptibles d'accélérer la fonction cardiaque et de favoriser la diffusion du venin.

Une fois pris en charge en milieu spécialisé, le blessé recevra un sérum antivenimeux et, dans certains cas, un traitement anticoagulant. La guérison intervient généralement sans aucune séquelle dans les 2 à 3 jours.

Les chiffres

3 % des accidents domestiques sont des morsures de chien.

40,2 % des victimes de morsures ont moins de 14 ans. Il s'agit principalement de les garçons de 1 à 4 ans et de 10 à 13 ans.

Les morsures animales représentent 1 % des consultations d'urgence chirurgicales et environ 5 % des plaies.

75 % sont le fait d'un chien connu (famille, amis, voisins).

30 % des morsures font l'objet d'une consultation.

Source : Congrès enfant-animal (Paris, mars 2003)