Soleil : ne pas jouer avec le feu - L'Infirmière Libérale Magazine n° 184 du 01/07/2003 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 184 du 01/07/2003

 

Initiatives en réseau

L'infirmière chargée de santé publique aux avant-postes de la prévention, c'est dans les textes, on en parle. Mais concrètement ? Entre programmes européens et priorité nationale, l'Idel, maillon ultime de la chaîne du soin, cherche encore sa place... et la trouve. L'opération « Soleil dès la maternelle », initiée par un trio d'infirmiers libéraux, en est la preuve.

« Et pourquoi pas des infirmiers libéraux qui interviendraient en milieu scolaire en tant que chargés de santé publique ? » Cette petite phrase lâchée, l'air de rien, par Jean-François Mattei lors de son passage à l'émission « 100 minutes pour convaincre » à l'automne 2002 est passée inaperçue. Et pourtant. Le ministre ne croyait pas si bien dire alors qu'au même moment, trois infirmiers libéraux - tout aussi marseillais que lui-même - préparaient en coulisses une campagne de prévention en milieu scolaire.

LE MINISTRE PRIS AU MOT

Des mots à l'action, le projet baptisé « Soleil dès la maternelle » a mûri pour donner lieu à une campagne articulée en trois volets, dont la phase opérationnelle s'est déroulée de fin avril à fin juin 2002.

Premier rendez-vous donc, le 28 avril après-midi à l'école maternelle Jean-Fiolle de Marseille, avec la complicité de l'équipe pédagogique et, bien sûr, de l'infirmière scolaire du secteur. Les enfants des classes de petite, moyenne et grande sections étaient conviés tout à tour à un spectacle de marionnettes concocté sur mesure.

Derrière les rideaux du petit théâtre fabriqué par les infirmiers pour l'occasion, deux mascottes, Blandine, une petite lapine tout droit sortie d'un chapeau et Victor, une marmotte au pelage brun semblant à peine descendue de ses alpages. Ils décident de partir à la plage. Une belle occasion de parler des dangers du soleil.

La simplicité du dialogue pose clairement les bases d'une bonne prévention solaire. Elle n'empêche pas la magie d'opérer, bien au contraire. Les enfants, le regard suspendu, retiennent leur souffle et quand de-ci, de-là, ils sont sollicités par les personnages. Les réactions fusent, toujours à propos.

Lorsque le rideau se referme sous les applaudissements ponctués de « merci Blandine », « à bientôt Victor », les infirmiers marionnettistes sortent de leur cachette, se présentent et engagent la discussion avec les bambins de la salle, histoire de récapituler le message : « Jamais au soleil quand il est trop haut dans le ciel. À la mer, à la montagne ou à la campagne, je pense à ce qu'il faut pour me protéger du soleil et bien profiter de ma journée. »

RÉCRÉ-ACTION

À l'heure des doudous et de la sieste, on se promet de se revoir bientôt pour « jouer ensemble à connaître le soleil ».

C'est ainsi qu'une semaine plus tard ont eu lieu les ateliers pédagogiques. Ambiance garantie. Des coloriages, des jeux d'extérieur, etc. Dans « Chercher l'intrus », il faut retrouver, parmi les différents objets usuels rassemblés sur une table basse, ceux qui participent à la protection solaire ; dans « Jeu de miroir », l'enfant observe sa peau, ses yeux et ses cheveux puis entoure, sur la galerie de portraits, le visage qui lui ressemble le plus pour l'amener à comprendre que « claire ou foncée, la peau est fragile et il faut la protéger ». Une distribution de brochures et de livres sur le sujet termine la session.

Radio, télé, journaux ont salué cette action inédite. Mais ne nous trompons pas, spectacle enfantin ne rime pas avec récréation et le plus spectaculaire n'est pas forcément là où l'on croit. Chaque séquence du projet est le produit d'une réflexion conduite avec rigueur. Aussi, le troisième volet de cette action n'a, cette fois, plus rien à voir avec le côté ludique d'un sketch destiné aux enfants. La démarche scientifique est celle d'une enquête intitulée « Architecture scolaire et soleil ».

Sur la base d'un questionnaire de 13 items - soumis d'avril à fin juin à 32 écoles tirées au sort parmi les 254 que compte la capitale phocéenne -, les enquêteurs ont recensé les équipements et consigné les habitudes de vie des élèves.

CONTRE LA ROUTINE

Les résultats attendus au second semestre permettront aux décideurs et acteurs de santé de juger tant de la nature des besoins que de la pertinence des réponses proposées par cette action. Huit mois de préparation ont été nécessaires aux trois infirmiers libéraux pour mettre en place ce projet. Il en faudra vraisemblablement encore six pour décortiquer les résultats et tirer les leçons. De quoi se demander, comme dans Les Fourberies de Scapin : « Mais que diable allaient-ils faire dans cette galère ? » Pourquoi et comment des infirmiers libéraux ont-ils conçu une opération semblable, finalement très éloignée de leur exercice quotidien ?

De ces trois instigateurs, courtoisie oblige, Corinne Almagro est la première. Du haut de sa bonne et dynamique trentaine, elle affiche un recul de dix ans d'infirmière libérale à Marseille. Quant à ses deux complices et néanmoins associés, ils sont déjà connus de nos lecteurs : Jérôme Kern et Pascal Vasseur, infirmiers libéraux en activité, mais aussi formateurs et responsables de rubrique dans votre mensuel favori ! Routards aguerris, ils continuent de se méfier de la routine qui finit trop souvent par faire perdre son sens au métier. Ainsi, ils se sont lancés l'année dernière avec quelques collègues libéraux dans un « certificat européen de santé publique ». Une démarche qui s'inscrit en lien direct avec la décision, en 1998, de la Direction générale de la santé et de la consommation de la Commission européenne : mettre en oeuvre d'un programme de formation continue destiné aux infirmiers de l'Union européenne, pour promouvoir les compétences infirmières dans le domaine de l'éducation et de la promotion de la santé auprès des populations.

L'ENFANCE DE L'ART

Interrogés sur le choix de la thématique solaire, les infirmiers répondent que leur spécialisation en plaies et cicatrisation les a conduits à prendre en charge des cancers de la peau dont ils perçoivent l'augmentation de la prévalence. En choisissant pour cible nos chères têtes blondes, leur objectif reste clair : c'est parce que le mélanome de l'adulte se prépare dans l'enfance qu'il faut agir tôt et s'adresser avec les moyens appropriés là où le message passe le mieux, c'est-à-dire aux tout-petits.

« Cette action peut également être considérée comme une contribution au programme Intersun mené par l'Organisation mondiale pour la santé (OMS) dont l'objectif vise à réduire la morbidité résultant de l'exposition aux rayonnements UV, notamment par le biais d'interventions en milieu scolaire », argumente Pascal. Jérôme et Corinne prennent alors le relais pour préciser que « la mesure n° 20 du Plan de mobilisation nationale contre le cancer voulu par le Président de la République prévoit le développement d'actions de prévention du mélanome par des campagnes d'information en milieu scolaire ».

Une aventure dans l'air du temps, riche en émotions mais qui, sur le plan pécuniaire, a tout du bénévolat. Le bénéfice personnel est ailleurs, « c'est juste histoire de trouver autre chose, un équilibre nouveau à notre mode de fonctionnement », affirme Pascal. « Nous exerçons toujours le même métier mais nous voulions mettre l'accent sur le préventif. Nous sommes quotidiennement dans le curatif et valoriser la démarche préventive reste de plein droit une compétence infirmière que nous voulions promouvoir », insiste Corinne.

PARTENARIAT ET PARRAINAGE

Jérôme quant à lui revient sur la nécessité de prendre de la hauteur, d'enrichir son exercice par une approche et une vision plus globales des soins : « Cela nous permet de mettre entre parenthèses le côté plus technique du métier pour revenir à des considérations plus philosophiques. »

L'esprit d'équipe régnant, rien n'a été laissé au hasard et chaque étape du projet a fait l'objet d'une préparation minutieuse orchestrée avec rigueur. Entre la conception et la réalisation de leur projet, les candidats au certificat n'ont pas chômé : outils, prises de contacts et rendez-vous avec les représentants des administrations locales, régionales et nationales, constitution de dossiers, recherche de partenaires, relations avec la presse, etc.

Un travail de professionnel de haut vol que le professeur Jean-Jacques Bonerandi, chef du service de dermatologie à l'hôpital de La Timone, n'a pas hésité à parrainer, saluant comme « particulièrement bienvenue l'initiative "Soleil dès la maternelle" prise par trois infirmiers libéraux ». Des Idel qui entendent donner davantage d'envergure à l'opération l'année prochaine... pour peu que les responsables politiques et institutionnels veuillent eux aussi donner du sens à l'expression « santé publique ».

Soleil et cancer

Pr Jean-Jacques Bonerandi, chef du service de dermatologie à l'hôpital de La Timone et parrain du « Soleil dès la maternelle ».

« La fréquence des cancers cutanés est en augmentation dans tous les pays du monde qui produisent des statistiques. Le plus dangereux d'entre eux, le mélanome, est celui dont la fréquence a le plus augmenté, de 5 à 10 % par an depuis 50 ans. À côté des prédispositions individuelles, on sait que le soleil joue un facteur multiplicateur du risque. Divers types de campagne de prévention et de dépistage précoce ont déjà été menés dans le monde et l'évaluation de leur impact indique qu'elles se sont traduites dans les pays les plus actifs (Australie, États du sud des États-Unis, Écosse) par une amélioration de la précocité du diagnostic et par une stabilisation ou une régression de la mortalité. Ces données doivent inciter à poursuivre et à renforcer l'information du public dans le domaine de la prévention solaire et Marseille, ville du sud, se doit de donner l'exemple dans ce domaine. »

Quelques chiffres

L'augmentation des cancers de la peau est liée aux expositions solaires dès le plus jeune âge.

Un enfant sur deux passe en été plus de six heures par jour au soleil.

Les crèmes solaires sont utilisées dans la moitié (ou plus de la moitié) du temps par 70 % des enfants à la plage, 45 % des enfants à la piscine, 14 % des enfants lors des jeux au soleil.

Les tee-shirts ne sont jamais portés dans 50 % des cas à la plage et dans 75 % des cas au bord de la piscine. 1

93 % des Français connaissent le rôle important que joue le soleil dans le cancer de la peau et pourtant 8 % d'entre eux déclarent prendre toutes les précautions recommandées par les dermatologues. 2

En France, le mélanome tue près de 1 500 personnes par an, soit à peu près autant que le tabagisme passif. Avec près de 7 231 nouveaux cas en 2000, c'est un des cancers qui augmente le plus : de 5,93 % par an pour les hommes, de 4,33 % par an pour les femmes. 3

80 % des dommages provoqués par le soleil sur la peau se produisent avant l'âge de 18 ans.

20 % des cas de cécité sont causés ou accélérés par les expositions solaires. 4

1 Source : C. Vergnes et Coll., 1999. 2 Source : Ipsos/Sanofi 97 - BVA 2000. 3 Source : Plan cancer 2003. 4 Source : OMS.