Oï kia, retour au foyer - L'Infirmière Libérale Magazine n° 185 du 01/09/2003 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 185 du 01/09/2003

 

Initiatives en réseau

Depuis deux ans, Oïkia, un réseau ville-hôpital basé à Saint-Étienne, prodigue des soins palliatifs aux patients à domicile. Équipe pluridisciplinaire, relations avec l'hôpital, actions de formation : le réseau Oïkia est un cas exemplaire.

L'histoire d'Oïkia commence en 1997. À l'époque, l'agglomération stéphanoise regroupe une trentaine de communes où vivent 370 000 personnes. Elle ne disposait d'aucune unité mobile de soins palliatifs, ni même de lits fixes au CHU de Saint-Étienne. Face à cette situation, des professionnels de santé libéraux de la région se réunissent et fondent une association. Son nom : Oïkia, mot grec qui désigne à la fois la maison et ses habitants. Avec une idée simple : améliorer la prise en charge des patients à domicile lors de la phase palliative.

UNE VÉRITABLE ATTENTE

Le projet emporte immédiatement l'adhésion des acteurs de santé, libéraux comme hospitaliers. « Au départ, l'invitation a été lancée par un médecin de ville. Dès la première réunion, on dénombrait 70 professionnels de santé libéraux », se souvient le Dr Olivier Bredeau, devenu aujourd'hui médecin coordinateur du réseau Oïkia.

Des commissions de réflexion sont mises en place. Elles regroupent des médecins, des infirmiers, des kinés et des pharmaciens. Recherche de financement, matériel à domicile, liaison ville-hôpital, leurs thèmes sont variés. Pendant quatre ans, près de 90 réunions se sont déroulées, pendant lesquelles ont été rédigées les bases du projet. Dans cette genèse, les infirmières libérales ont joué un rôle moteur. Comme le reconnaît le Dr Bredeau : « Elles sont immédiatement venues en nombre. Sur les 180 membres que comptaient l'association, 60 % étaient des infirmières libérales. » Selon lui, rien d'étonnant à cela, « les infirmières ressentent la nécessité d'aide et de soutien. Elles ont développé, plus que les autres professions de santé, le souci d'une certaine cohérence de leur travail ». Sans parler de leur habitude à travailler en équipe afin d'assurer la continuité des soins. « Les nouveaux modes d'organisation en réseaux sont mieux perçus par les infirmières que par les médecins », estime Olivier Bredeau.

600 PROFESSIONNELS DE SANTÉ

Devant le volontarisme des promoteurs d'Oïkia, la CPAM leur suggère une organisation en réseau de soins. En septembre 2001, l'association obtient un financement de l'ARH (Agence régionale de l'hospitalisation) et du FAQSV (Fonds d'aides à la qualité des soins de ville) à titre expérimental, pour une durée de trois ans. L'ARH assure le financement des salaires de la cellule de coordination du réseau : un médecin, un infirmier, une secrétaire. Les fonds du FAQSV couvrent, eux, les dépenses structurelles.

Après un an et demi d'activité, le bilan est prometteur. En 2002, près de 600 professionnels de santé, dont 252 infirmières libérales, sont intervenus pour assurer les soins à domicile de 147 patients.

Ce bilan doit énormément à l'implication des infirmières. « On compte beaucoup sur elles. Elles portent véritablement le réseau à bout de bras, elles en sont le pilier », assure le Dr Bredeau.

CAHIER DE LIAISON

Aujourd'hui, le lien ville-hôpital, quasi inexistant auparavant, fonctionne. La preuve ? 80 % des patients qui intègrent le réseau sortent de l'hôpital. Les liens tissés entre Oïkia et l'hôpital de Saint-Étienne permettent désormais au médecin coordinateur du réseau d'effectuer une visite préalable du patient au sein du service hospitalier, avant l'intégration de ce dernier dans le réseau.

Quant à Olivier Bredeau, il redécouvre la médecine libérale, après une parenthèse de douze ans en tant que praticien hospitalier. « Il y a dix ans, ce type de travail en équipe était réservé aux soins intensifs et à la réanimation, se souvient le médecin. Aujourd'hui, un patient ne peut plus être géré par le médecin seul. »

Symbole de cette nouvelle donne, un cahier de liaison recense, au domicile du patient, les interventions et les commentaires de l'ensemble des intervenants du réseau : médecins, infirmiers, pharmaciens, kinés, bénévoles, auxiliaires de vie ou assistantes sociales. Et l'agglomération de Saint-Étienne dispose désormais d'une unité mobile de soins palliatifs et de lits fixes au CHU. « La création de ces structures s'est déroulée en parallèle avec le développement du réseau Oïkia. Ce n'est pas antinomique », juge Gabriel Carroz, infirmier coordinateur du réseau. Après 20 ans d'exercice en libéral, un DU en soins palliatifs en poche, Gabriel Carroz mesure le chemin parcouru. « Longtemps, la liaison ville-hôpital a mal fonctionné. Les deux mondes s'ignoraient totalement », se rappelle Gabriel. Aujourd'hui, Oïkia et les services hospitaliers travaillent ensemble. En cas de ré-hospitalisation des patients pris en charge par Oïkia, ceux-ci sont intégrés directement dans les services de soins palliatifs de l'hôpital de Saint-Étienne. Sans passer par le pavillon des urgences.

PARTENARIAT

Dans cette optique, Oïkia a également mis en place un partenariat avec SOS Médecins.

Avant l'intégration effective du patient dans le réseau, une réunion de coordination regroupe l'ensemble des professionnels de santé désignés par le patient. Si le médecin généraliste concerné évoque des problèmes de disponibilité, Oïkia contacte alors SOS Médecins pour garantir la permanence des soins. La CPAM rémunère, sous la forme d'actes dérogatoires, ces réunions de coordination.

LE CHAÎNON D'UNE RÉVOLUTION

Pour les infirmières libérales qui font face à des traitements lourds, la création d'Oïkia constitue un progrès capital. « Le réseau m'apporte un soutien matériel, mais aussi moral. Une permanence peut-être jointe à tout moment en cas de problème avec un patient, c'est rassurant », témoigne Ariane Lafond, 44 ans, libérale depuis trois ans.

L'année dernière, son cabinet est intervenu auprès d'un patient en phase terminale d'un cancer. Ariane a en gardé un souvenir indélébile : « Une expérience unique. D'un point de vue humain, c'est très riche, même si c'est parfois difficile à gérer. Le réseau aide la famille du patient, notamment grâce au travail des assistantes sociales. Aujourd'hui, il est possible de respecter le choix des patients de mourir au domicile. » En inventant de nouveaux modes de fonctionnement, Oïkia participe d'une révolution sociétale encore mal évaluée. Actuellement, 75 % des patients décèdent à l'hôpital. « Dans le cadre du réseau Oïkia, 80 % des patients décèdent au domicile, conformément à leur volonté. Les familles et les patients vont jusqu'au bout de leur démarche », juge Gabriel Carroz.

Les statuts

- Article 2

Cette association a pour buts :

-> d'apporter aide et soutien aux malades en soins palliatifs, ainsi qu'à leur famille dans des pathologies comme le cancer, le sida, les affections neurologiques ou toute autre affection ;

-> d'optimiser l'offre de soins en s'appuyant sur les structures et les expériences existantes ;

-> de faciliter la coordination des différents acteurs de terrain ;

-> de promouvoir la formation des différents intervenants et l'information du public ; d'aider à la recherche clinique et thérapeutique.

- Article 4

L'association est composée d'adhérents agréés par le Conseil d'administration, personnes physiques ou personnes morales, qui paient une cotisation. Le montant de la cotisation annuelle, relevée par l'assemblée générale ordinaire, est de 15,24 euros pour les personnes physiques et de 45,73 euros pour les personnes morales.

Le volet formation d'Oïkia

- Le dispositif de formation mis en place comprend 28 heures d'enseignement, réparties sur sept demi-journées. Deux sessions se déroulent pendant l'année. La moitié des cours est consacrée est à la théorie, le reste consiste à examiner des cas cliniques et des acquisitions des protocoles de soins. « C'est une formation destinée à répondre aux questions concrètes que se posent les médecins et les infirmières sur le terrain », explique Gabriel Carroz, infirmier coordinateur d'Oïkia. Originalité du dispositif : médecins et infirmières suivent ensemble les cours. « C'est très enrichissant de travailler en binôme. Nous pouvons partager nos points de vue », se réjouit Ariane Lafond, infirmière libérale. Les thèmes retenus pour 2003 sont, entre autres : la douleur, l'adaptation psychologique du malade en fin de vie, la nutrition et l'hydratation. Un module est également consacré au travail en équipe autour d'une démarche palliative. On y dissèque un cas clinique d'un patient du réseau pour lequel des problèmes sont apparus. Le cours pratique est, lui, consacré à la tenue du cahier de liaison. Pour assurer les formations, Oïkia fait appel à des intervenants extérieurs, spécialistes de la question traitée. La présence aux cours n'est pas rémunérée, du fait qu'aucune structure ne finance de formation. Oïkia prépare actuellement d'autres sessions de formations destinées aux kinésithérapeutes afin de les sensibiliser sur la notion de soins palliatifs. « Cet aspect n'est pas du tout abordé dans leur cursus universitaire. La difficulté, pour les kinés, c'est d'accepter que, en soins palliatifs, il n'y ait pas de rééducation. Ce sont principalement des massages antidouleur », explique Gabriel Carroz.

Soins palliatifs

un petit frère dans le Sud-Ouest

Améliorer la qualité des soins et l'accompagnement des malades en fin de vie, est aussi l'objectif du Réseau douleur et soins palliatifs (RSP 82) du Tarn-et-Garonne.

C'est en soignant l'une de ses voisines en fin de vie que Christine Claus, infirmière libérale à Monclar de Quercy (Tarn-et-Garonne), a pris conscience de l'importance des soins palliatifs : « Finir sa vie à domicile, c'est bien beau... Mais, faute de soins adéquats, ma voisine l'a finalement payé très cher ! », s'indigne-t-elle. Une prise de conscience qui l'a incitée à ne pas en rester là.

Christine Claus a donc cherché par elle-même des moyens d'améliorer la prise en charge à domicile des malades en fin de vie. Et les réponses, elle les a trouvées au sein du Réseau douleur et soins palliatifs du Tarn-et-Garonne (RSP 82) 1, une association qui venait juste de voir le jour.

Aujourd'hui, Christine Claus est allée encore plus loin, puisqu'elle est devenue la coordinatrice du RSP 82. Depuis février de cette année, elle exerce cette nouvelle fonction à mi-temps et consacre tous ses après-midi au réseau. Le matin, elle continue son activité libérale à Monclar, grâce au soutien des trois collègues du cabinet de groupe où elle exerce.

Comme son nom l'indique, le RSP 82 est un réseau départemental, dont le « territoire » correspond à tout le département du Tarn-et-Garonne. Sa thématique est double : douleur et soins palliatifs. En 2002, 38 patients ont été pris en charge par le réseau. Et, à la mi-mai de cette année, le réseau comptait déjà 26 « inclusions », avec une « file active » de 18 patients environ. Une « montée en puissance » tangible, qui est déjà le signe d'un vrai succès.

L'objectif de RSP 82 n'est en aucun cas de dispenser des « soins directs », qui restent bien sûr l'apanage des équipes de proximité : médecin traitant, infirmière libérale, kiné... « On ne fait rien sans eux ! » La vocation du réseau est d'être une structure de soutien, d'appui et de conseil : « Tout ce dont j'aurais eu besoin, à l'époque, pour soulager ma voisine et trouver des réponses à mes questions », précise Christine Claus.

« Les soins palliatifs ne s'improvisent pas », insiste-t-elle. De fait, la prise en charge des malades en fin de vie est souvent délicate. L'utilisation de certains matériels ou le maniement de la morphine, par exemple, nécessitent aussi un minimum de familiarisation.

C'est pourquoi le RSP 82 organise des sessions de formation pluridisciplinaire, destinées tant aux médecins traitants qu'aux infirmières libérales. « Tous nos collègues professionnels de santé bénéficient de la même formation. Pour nous, c'est très important ! », insiste-t-elle. Ainsi, tous les intervenants parlent le même langage, ce qui facilite le dialogue et sans doute aussi, à terme, l'élaboration d'un projet de soins commun. Plus efficace et plus cohérent.

Progressivement, les mentalités changent. La douleur n'est plus perçue comme devant inéluctablement accompagner la fin de vie des malades. L'expertise des uns et des autres est davantage sollicitée. La coordination entre les différents intervenants s'améliore. Au final, dans le Tarn-et-Garonne, c'est la qualité des soins qui progresse.

Christian Moreau

1 RSP 82, 37, Faubourg du Moustier, 82 000 Montauban. Tél. : 05 63 91 40 18.