Optimiser les bénéfices de la vaccination - L'Infirmière Libérale Magazine n° 185 du 01/09/2003 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 185 du 01/09/2003

 

Formation continue

Prendre soin

Chaque année, la vaccination sauve trois millions de vies dans le monde. Au-delà de la protection individuelle, elle contribue à réduire la mortalité infantile, à éradiquer certaines maladies potentiellement graves et à faire progresser l'espérance de vie. Des bénéfices collectifs qui peuvent encore être optimisés en améliorant l'observance des programmes de vaccination.

Argumenter pour lever les doutes que suscite la vaccination et répondre aux questions légitimes que se posent les patients (lire le dossier Prévenir) constituent souvent le pré-requis à tout dialogue constructif sur la vaccination. Si le médecin, ou le pédiatre, joue un rôle clé pour mettre en oeuvre les recommandations sanitaires dans ce domaine, les infirmiers libéraux peuvent, par des actions d'information et une argumentation éclairée, aider à améliorer la pratique vaccinale. Il est donc nécessaire qu'ils connaissent mieux les enjeux de la vaccination, les recommandations relatives aux évolutions du programme vaccinal et les orientations relatives à l'introduction de nouveaux vaccins.

LA SITUATION VACCINALE EN 2003

En France, le calendrier vaccinal tient lieu de référence pour les professionnels de santé et le grand public. Réactualisé chaque année 1, il est passé, en moins de 20 ans, de cinq à onze maladies évitables et ne concerne plus seulement l'enfant, puisqu'il inclut désormais la vaccination contre la grippe pour les personnes âgées de plus de 65 ans. Satisfaisante, la couverture vaccinale (CV) de ces maladies peut encore être optimisée sachant que c'est en primo-vaccinant les enfants que l'on est le plus efficace sur la réduction de l'incidence des maladies infectieuses à prévention vaccinale. Des niveaux de CV supérieurs à 95 % ont, en effet, permis d'éliminer la diphtérie et la poliomyélite et de faire reculer le tétanos, la coqueluche (lire encadré page suivante) et les méningites à Hæmophilus influenzæ b (Hib)2. De même, l'incidence de la tuberculose n'a jamais été aussi basse (11 pour 100 000), à tel point que les autorités envisagent de renoncer à la vaccination généralisée au profit d'une vaccination plus ciblée. En revanche, les vaccinations contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR) et l'hépatite B font beaucoup moins d'adeptes et, si l'incidence de ces maladies décroît, cette baisse reste insuffisante et un risque de formes sévères persiste chez le grand enfant ou le jeune adulte. Une situation préoccupante qui impose de multiplier les efforts d'information.

ROR : LE RETARD FRANÇAIS

Selon le dernier rapport de l'InVS 3, la CV contre le ROR (gratuit jusqu'à l'âge de 13 ans, depuis l'automne 2000) stagne, depuis 1991, au-dessous de 85 % à 2 ans et autour de 90 % à 6 ans. Elle est même inférieure à 75 % dans certains départements français. La France est donc loin des 95 % requis pour satisfaire à l'objectif fixé par l'OMS : éradiquer la rougeole en Europe d'ici à 2007. Un retard qu'il lui appartient de combler car la persistance de la circulation du virus de la rougeole à un faible niveau induit un déplacement de l'âge des cas vers l'âge adulte (en 2001, 40 à 50 % des cas surviennent chez des sujets âgés de plus de 10 ans contre 13 % en 1985) 4. Ce « vieillissement » de la population touchée est d'autant plus préoccupant que la fréquence des complications sévères de la rougeole (pneumonie, encéphalite aiguë, cécité, parencéphalite mortelle)5 comme celle des oreillons (méningite, surdité, encéphalite, orchite 6 et stérilité) augmente avec l'âge.

Quant à la rubéole, maladie toujours bénigne dans l'enfance, elle peut entraîner des malformations foetales et des foetopathies lorsqu'elle survient chez une femme enceinte 7. Or, 20 % des femmes en âge de procréer ne sont pas protégées contre la rubéole ! Raison pour laquelle, il est important, sauf contre-indications (allergie vraie aux protéines de l'oeuf et à la kanamycine 8, déficits immunitaires) de respecter le calendrier vaccinal du ROR (voir Fiche technique) d'autant que « les effets secondaires de ce vaccin 9 sont, dans la majorité des cas, rares, sans gravité et disparaissent rapidement sans séquelles ».

HÉPATITE B : UNE MORBI-MORTALITÉ ÉVITABLE

L'hépatite B est responsable de deux millions de morts chaque année à travers le monde et, en France, de 3 000 à 6 000 cas symptomatiques par an, de 200 à 500 hépatites chroniques, de 50 à 120 cirrhoses et adénocarcinomes hépatiques et de 1 000 décès. Des études ont montré qu'une vaccination de masse des nourrissons, des adolescents et des groupes à risques (hémodyalisés, personnels de santé, polytransfusés, sujets ayant une sexualité vagabonde, partenaires sexuels des sujets porteurs de l'antigène HBs, toxicomanes, voyageurs en zones d'endémie) permettrait l'éradication probable de la maladie, avec une diminution de l'incidence de plus de 90 % dans les 15 ans à venir. Or, pour l'heure, seuls 41,4 % des enfants de 4 ans sont vaccinés contre l'hépatite B, alors que le vaccin, très efficace, atteint 100 % de séroconversion chez le nourrisson et plus de 95 % jusqu'à l'âge de 20 ans. Une désaffection directement liée aux craintes inspirées par la survenue d'affections neurologiques (SEP notamment) chez des sujets adultes. Un point sur lequel deux études publiées, portant respectivement sur 600 patients et 230 000 infirmières, concluaient catégoriquement, en février 2001, qu'aucune causalité entre la vaccination contre l'hépatite B et le risque de survenue de SEP ne peut être établie. La stratégie vaccinale n'est donc pas remise en cause. Elles est d'autant plus encouragée chez le nourrisson que le vaccin est très bien toléré et qu'il existe aujourd'hui des versions combinées hexavalentes 10 permettant de réduire le nombre d'injections.

VARICELLE : VERS UN NOUVEAU VACCIN

Introduite aux États-Unis depuis 1996, la vaccination contre la varicelle fait l'objet de réserves en France. Le recul de l'expérience américaine tend à les dissiper, ainsi qu'en a témoigné le Pr Daniel Floret (chef du service de pédiatrie de l'hôpital Edouard-Hériot de Lyon), lors du dernier Medec (mars 2003).

Il apparaît, en effet, que l'instauration d'une couverture vaccinale contre la varicelle ne déplace pas, comme on le craignait, l'épidémiologie vers l'adulte, chez qui cette maladie est beaucoup plus grave. « Aucune observation de ce type n'a été faite aux États-Unis », a précisé le Pr Floret en rappelant toutefois que « la couverture vaccinale doit être élevée pour éviter ce phénomène ». Elle était, en 2001, de 73 % aux États-Unis.

De même, contrairement à ce que l'on craignait, le risque de présenter un zona post-vaccinal est quatre fois moins élevé avec le virus du vaccin qu'avec la souche sauvage. Enfin, la varicelle du vacciné est bénigne dans 80 % des cas et ne concerne que 0,2 % à 2,2 % des vaccinés selon les études. Elle serait liée à une baisse de l'immunité dans le temps qui suggère de mettre en place une stratégie vaccinale à deux doses (chez l'enfant comme chez l'adulte) dont l'efficacité reste à démontrer.

En tout état de cause, conclut le Pr Floret, au regard des résultats américains (cinq décès en 2001, six décès en 2002, contre 105 décès par an au moment de l'instauration de la vaccination), « il serait intéressant que la France bénéficie prochainement de cette vaccination dans la mesure où, chaque année, entre 600 000 et 700 000 cas de varicelle sont dénombrés qui entraînent, par an, une dizaine de décès ». Si la vaccination contre la varicelle s'impose au France, elle pourrait, à terme, être combinée au ROR.

NOUVELLES RECOMMANDATIONS

Parallèlement aux vaccinations généralisées, le calendrier vaccinal 2003 introduit de nouvelles recommandations concernant la prévention des infections invasives à pneumocoque et à méningocoque.

Infections à pneumocoque

Actuellement, 70 % des méningites bactériennes survenant avant l'âge de 1 an et 50 % des méningites bactériennes de l'enfant de moins de 2 ans sont dues à un pneumocoque. Ces méningites conduisent à un décès dans 10 % des cas et sont responsables de séquelles neurologiques (surdité, retard mental, épilepsie, paralysie) dans 30 % des cas. D'où l'intérêt du vaccin disponible (Prevenar ®) « dont l'efficacité et la bonne tolérance ont été démontrées par un essai multicentrique en double aveugle chez 30 000 enfants de moins de 2 ans », précisait le Pr Philippe Reinert, lors du congrès annuel de la Société française de pédiatrie (Nancy, mai 2003). Ce vaccin protège contre les sept principaux sérotypes de pneumocoques et couvre les infections les plus résistantes aux antibiotiques. La protection induite (97 % contre la méningite et la septicémie, 75 % contre la pneumonie, 57 % contre les otites et les sinusites) justifie de pratiquer cette vaccination dès le plus jeune âge.

Infections invasives à méningocoque

L'incidence des méningites à méningocoques, tous sérotypes confondus (A, B et C), est d'environ un pour 100 000 habitants par an, en France. Ces maladies sont mortelles dans 10 % des cas, et responsables de séquelles dans 20 à 30 % des cas. En 2001, la proportion des méningites à sérotype C a fortement augmenté dans certaines régions de France, faisant passer l'incidence de ce sérogroupe dans trois départements à 2,2 pour 100 000 contre 0,26 pour le reste du pays. Une situation épidémique qui, conformément aux recommandations du CTV, a entraîné la mise en place d'un programme de vaccination systématique dans ces départements de tous les sujets âgés de 2 mois à 20 ans.

COUVERTURE VACCINALE DES ADULTES : TROP DE NÉGLIGENCE

À tout âge de la vie, le maintien d'une bonne protection vaccinale est important. Or, la CV des adolescents est moins bonne que celle du jeune enfant ; celle des adultes est insuffisante et chute littéralement après 60 ans, commentent unanimement tous les infectiologues. « Seulement 58,4 % des adultes sont vaccinés contre la diphtérie, 66 % contre le tétanos et 63,4 % contre la poliomyélite ». 11

Si la suppression du service militaire et, avec lui, celle des injections de rappel du DTP, est en partie responsable de cette situation, la négligence et la perte de la notion de risque expliquent aussi ce laisser-aller. Des résultats qui rendent envisageable une résurgence du tétanos chez les retraités jardiniers (28 cas de tétanos sur les 29 recensés en 1997 concernaient des personnes âgées) 12 et de la diphtérie chez les adultes socialement défavorisés, d'autant que cette dernière sévit actuellement en Europe de l'Est. Une menace qui impose une réflexion pour améliorer la CV des adultes.

Certains experts préconisent de fixer des étapes incontournables (consultation prénuptiale, d'embauche, départ à la retraite...). Elles permettraient un passage en revue systématique de la situation vaccinale des sujets, de sorte que, en cas de retard dans la vaccination, le programme soit repris là où il a été interrompu, en réalisant le nombre d'injections requis en fonction de l'âge. Il est donc important de sensibiliser les adultes à l'intérêt de la vaccination. C'est, en effet, grâce aux campagnes d'information que la vaccination antigrippale est entrée dans les moeurs chez les personnes âgées (en 1999, 71 % des plus de 70 ans se sont fait vacciner). « Cela dit, commente le Dr Jean-Marie Cohen, médecin épidémiologiste, coordinateur du Grog (Groupe d'étude sur la grippe), ces campagnes très ciblées ont eu tendance à oublier que les moins de 65 ans représentent 43 à 54 % des cas de grippes chaque année, que seulement 40 % des jeunes adultes fragilisés par une maladie chronique (asthme invalidant, déficit immunitaire, myopathie, mucoviscidose...) se vaccinent, alors qu'ils bénéficient de la vaccination antigrippale gratuite, et que les personnels soignants sont trop peu vaccinés alors qu'il est démontré que la vaccination des soignants réduit la mortalité des personnes qu'ils soignent. Il est donc indispensable que, au-delà des campagnes institutionnelles ciblées sur les populations à risque, tous les acteurs de santé s'appliquent à promouvoir le principe de la vaccination pour tous, en commençant par eux. » Aux soignants de revoir leurs pratiques car, en matière de santé publique, on ne peut convaincre et rendre observant que si l'on est soi-même convaincu et observant !

1 BEH n° 06/2003 du 17 janvier 2003. Peut être consulté sur le site de l'InVS : http://www.invs.sante.fr.

2 Avant l'introduction du vaccin contre Hib, l'hémophilus était responsable tous les ans d'un millier d'infections graves (méningites, épiglottites, etc.) chez l'enfant de moins de 5 ans en France, de 20 à 30 décès et de séquelles importantes (débilité mentale, hydrocéphalie, surdité, cécité, paramysies...).

3 Rapport annuel 2001 : Surveillance de l'état de santé de la population en France et recommandations.

4 Source : Surveillance de la rougeole en France, InVS, novembre 2001.

5 À l'extrême, le virus de la rougeole peut persister dans le système nerveux central et provoquer une parencéphalite sclérosante subaiguë, complication rare mais toujours mortelle survenant de deux à dix ans après la maladie.

6 Inflammation du testicule pouvant entraîner une atrophie testiculaire unilatérale chez 6 % des sujets après 15 ans.

7 L'incidence annuelle de la rubéole en cours de grossesse est de 5,4 cas pour 100 000 naissances.

8 Antibiotique.

9 Les complications du ROR (réactions allergiques, encéphalites) sont très rares : un cas sur deux millions (source : Guide des vaccinations 1999). En outre, les études récentes ne permettent pas de confirmer l'hypothèse d'un rapport entre le ROR et la survenue d'autisme et de maladie de Crohn (Source Afssaps, février 2002).

10 Les vaccins hexavalents associent au vaccin pentavalent (DTCP-Hib) un vaccin contre l'hépatite B.

11 « Prévention vaccinale : Les adultes baissent leur garde », Aude Rambaud, IMH, n° 37 mai 2003, p. 35.

12 30 % des personnes touchées par le tétanos en meurent.

Coqueluche : rester vigilant

- Malgré une primo-vaccination par le vaccin à germe entier très efficace et une CV supérieure à 95 % chez le nourrisson, l'InVS confirme, dans son rapport annuel de 2002, la circulation de la bactérie responsable de la coqueluche dans la population française. Cette situation résulte du portage de la bactérie par les adolescents et les jeunes adultes qui, vaccinés dans l'enfance, mais n'ayant pas bénéficié des injections de rappel introduites en 1998 pour les 11-13 ans, voient leur immunité diminuer au fil du temps, du fait de la durée insuffisante de protection conférée par la primo-vaccination. Ceux-ci contaminent alors les nourrissons de leur entourage pas encore ou imparfaitement vacciné. La multiplicité des cas et la difficulté du diagnostic chez l'adulte 1 font envisager une vaccination systématique des adultes.

1 Le diagnostic de coqueluche chez l'adulte est rarement posé en raison de la symptomatologie très banale ou atypique à cet âge. Cette maladie est responsable de 12 à 32 % des toux chroniques de l'adulte. En 1999, les adultes représentaient la source de contamination des nourrissons dans 45 % des cas contre 36 % en 1996.

Tuberculose : vers une vaccination sélective

« L'évolution de la situation épidémiologique de la tuberculose en France (incidence décroissante de 1993 à 1997 et stagnante depuis, avec une moyenne de onze cas pour 100 000) permet aujourd'hui d'envisager une modification de la politique vaccinale par le BCG », indique-t-on à l'InVS. D'autant que « le rapport bénéfice/risque pour 100 000 habitants vaccinés fait état d'une quinzaine de cas de tuberculose (rappelons que sa forme la plus grave peut occasionner des méningites) contre une centaine de cas d'adénites suppurées provoqués par la vaccination » 1. Toutefois, il semble prématuré, contrairement à l'attitude adoptée par la majorité des pays occidentaux, de renoncer brutalement à la vaccination systématique car cela pourrait induire, pour les populations défavorisées (elles sont les plus exposées), une augmentation de l'incidence de la tuberculose. La Suède, qui avait fait ce choix en 1975, a vu l'incidence de la maladie multipliée par quatre chez les enfants non vaccinés, ce qui l'a amenée, les chiffres absolus restant faibles, à revenir en arrière en conseillant la vaccination dans les groupes à risque. De même, en France, une forte incidence de la tuberculose dans les populations migrantes et défavorisées de la région parisienne (elle atteint 300 cas pour 100 000, soit un chiffre comparable à celui de nombreuses villes africaines) incite les responsables sanitaires à la prudence. Raison pour laquelle leurs recommandations s'orientent vers une suppression de la revaccination des sujets tuberculo-négatifs et une vaccination ciblée sur les sujets et les zones à risque. Dans l'attente d'une décision, le protocole du BCG reste inchangé.

1 Source : « BCG : qui osera supprimer la vaccination systématique ? », Sébastien Lejeune, Actualité Medhermes, 3 décembre 2002.