Pendant la pénurie : l'aubaine du remplacement - L'Infirmière Libérale Magazine n° 185 du 01/09/2003 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 185 du 01/09/2003

 

Perspecives et enjeux

Le malheur des uns fait le bonheur des autres, dit-on. L'adage s'applique parfaitement au remplacement des infirmières libérales en France. Estimation faite, la pénurie d'infirmières remplaçantes est la plus marquée du secteur de la santé. Une situation qui fait le bonheur de quelques unes. Heureusement, des mesures pourraient bientôt améliorer le sort des infirmières libérales.

« J'ai passé mes premières annonces pour me faire remplacer durant mon congé maternité, au mois de mai dernier. Et depuis, rien. Pas une seule réponse jusqu'à la mi-juillet. Je commençais vraiment à désespérer, car mon accouchement est prévu pour la mi-août. Je me suis arrêtée de travailler, quelques semaines avant, évidemment, mais c'est mon mari, infirmier libéral, qui assure la continuité des soins pour l'ensemble de nos patients. Et c'est très dur ! Heureusement, nous venons d'avoir deux appels. J'espère qu'au moins un d'entre eux se révélera positif », racontait, cet été, Nathalie Castet, infirmière libérale près de Tarbes.

Comme elle, vous êtes des milliers aujourd'hui en France à chercher en vain à vous faire remplacer le temps d'un congé-maladie, de vacances ou pour cause de déménagement. Et les quelques 10 000 infirmières libérales remplaçantes (sans feuilles de soins pré-identifiées) ne suffisent pas à faire face à la demande en période de congés scolaires ou l'été. Même en y adjoignant le nombre de celles et ceux qui se présentent comme remplaçant et qui ont, en fait, un statut de collaborateur (avec feuilles de soins pré-identifiés). « La pénurie des remplacements est un problème récurrent et ce n'est pas avec les mesures annoncées en matière de réforme des retraites que la profession se rendra attractive », prévient Nadine Hesnart, présidente de la Fédération nationale des infirmières (FNI).

DENRÉE RARE ET SOIGNÉE

Gisèle Boué, infirmière libérale à Nantes, est dans la même situation que Nathalie Castet. Le cabinet de groupe au sein duquel elle officie vient d'essuyer deux arrêts maladie et un départ, et les libérales se retrouvent aujourd'hui à quatre pour faire le travail de six infirmières. Depuis plusieurs mois, elles cherchent en vain une infirmière remplaçante susceptible par la suite d'intégrer le cabinet. Les annonces passées dans les journaux régionaux, syndicaux et sur les sites Internet spécialisés n'y ont rien fait. Résultat, cette année, les vacances ont été réduites à la portion congrue pour les quatre rescapées du cabinet : deux semaines cet été ! Une vraie déception...

Les remplaçantes sont devenues une denrée rare et donc choyée ! La majorité des cabinets de recrutement (lire encadré) comme les créateurs de sites internet spécialisés l'affichent clairement aujourd'hui. Les remplaçantes travaillent à la carte. Pour une offre de remplacement, il y a, selon les périodes, plus de dix demandes de remplacements. Il vaut donc mieux s'y prendre bien à l'avance pour être certain de trouver quelqu'un. Selon les estimations et la période de remplacement demandée, comptez entre huit et douze mois. Et il faut multiplier les moyens de faire connaître son offre : annonces dans les journaux professionnels, régionaux, sur les sites internet spécialisés, voire, en dernier recours mais pas trop tard, se tourner vers les cabinets de recrutement.

LA LOI DU MARCHÉ

Car la concurrence est rude pour attirer à soi ces distinguées collègues. D'autant que certaines remplaçantes font monter les enchères. Qui de participer aux frais de location d'un appartement, qui de réduire à 0 % la participation aux frais du cabinet, qui de prêter sa maison voire sa voiture... Ce qui ne suffit pas toujours.

Pressurisées, il y a une dizaine d'années (on a vu des taux de rétrocession atteindre péniblement les 65 %), les remplaçantes font maintenant la loi. En règle générale, la rétrocession concerne 90 à 95 % des honoraires mais il faut savoir que, aujourd'hui, beaucoup d'infirmières libérales en poste acceptent de faire une croix sur la participation aux frais de cabinet et de matériel des remplaçantes. Mais elles peuvent en demander encore plus. Car les remplaçantes ont le choix.

Aussi faut-il savoir qu'il est plus facile de trouver la perle rare quand on habite près de la mer, quand le chiffre d'affaires du cabinet est important, comme d'ailleurs le nombre de patients et le montant de la rétrocession, quand le nombre de nursings est moindre, quand les horaires sont compatibles avec une vie de famille et hors congés scolaires... des conditions drastiques !

VRAIS OU FAUX REMPLAÇANTS

Non seulement la pénurie est réelle, mais, de surcroît, les remplaçantes gardent rarement ce statut ad vitam aeternam. Il y a bien des exceptions, comme Marie Talbot, infirmière remplaçante. « Je fais en moyenne deux régions par mois. J'ai obtenu mon diplôme d'infirmière il y a 25 ans et cela fait maintenant 20 ans que je fais du remplacement. J'aime cette manière de travailler. »

Mais des cas comme le sien, il n'y en a pas tant que cela. Beaucoup sont, en effet, des remplaçantes « fixes » qui refusent de s'éloigner de leur domicile ou même des infirmières identifiées auprès de la Caisse d'une région, qui disposent de feuilles de soins (des collaborateurs déguisés en quelque sorte) et cherchent des activités régulières. Ces dernières sont de plus en plus nombreuses.

Ce mode d'activité s'est développé depuis la mise en place des quotas. En effet, dès lors que l'activité d'une infirmière libérale atteignait un seuil d'alerte, cette dernière n'avait aucun intérêt à se faire remplacer par une vraie remplaçante, sans feuilles de soins, puisqu'alors l'activité de la remplaçante lui était comptée. En revanche, elle avait tout intérêt à faire appel à un vrai-faux remplaçant susceptible d'assurer les actes au titre de son activité propre... Un effet pervers sur lequel les caisses ferment aujourd'hui les yeux, non seulement parce que les seuils d'efficience ont été relevés, mais aussi pour tenir compte des difficultés des infirmières libérales à se faire remplacer.

DES MERCENAIRES DU SOIN ?

La plupart des remplaçantes (quel que soit leur statut) cherchaient auparavant à s'installer au bout de quelques années. Le remplacement était alors souvent vécu comme une période transitoire. Ce n'est plus tout à fait le cas.

Certes, cette situation existe toujours : compte tenu de l'augmentation de la demande de soins, les cabinets cherchent du renfort. Mais ils le trouvent de moins en moins souvent. En effet, le remplacement - vrai ou faux - est un mode de travail non seulement lucratif mais également moins contraignant et largement plus compatible avec une vie de famille et les envies d'un professionnel. Résultat, c'est devenu un mode d'activité à part entière. Des infirmières libérales choisissent de fermer leur cabinet et d'accepter des remplacements. Elles deviennent des collaborateurs déguisés. Elles sont identifiées, disposent de leurs feuilles de soins... Bref, c'est tout bénef pour tout le monde.

Au-delà des interrogations face à la réglementation que cette attitude suscite, on peut s'interroger sur le mal-être au sein d'une profession, dont les membres choisissent de liquider leur clientèle et de travailler chez les autres pour pouvoir prendre le temps de vivre.

UNE PÉNURIE ARTIFICIELLE

Pour Marcel Affergan, vice-président de la confédération Convergence Infirmière, cette pénurie a été organisée par les Caisses d'assurance maladie. Il s'explique : « Avant la mise en place de la convention de 1992, les remplaçantes n'avaient pas de statut et les conditions de remplacement étaient plus souples. La mise en place de restrictions comme les trente-six mois d'activité nécessaires avant de devenir remplaçante, ajoutées à celles des seuils d'efficience, a créé une pénurie de remplaçantes. À l'époque, il s'agissait de réduire les dépenses de santé en diminuant l'offre de soins. »

NÉGOCIATIONS POINT PAR POINT

Une époque qui semble révolue puisque les partenaires conventionnels (Caisses d'assurance maladie et Convergence Infirmière) ont décidé de revoir les conditions d'installation et de remplacement ainsi que le stipule le préambule de l'avenant numéro 3 à la convention (du 27 février 2003). Des négociations se sont engagées sur ces points. Elles devraient aboutir avant la fin du mois de septembre. Si rien n'est aujourd'hui acté, on devrait s'acheminer à la fois vers une meilleure prise en compte des difficultés démographiques et individuelles dans la détermination de la durée minimum d'activité requise avant l'installation et/ou remplacement grâce à la mise en place d'un système de double dérogation.

En ce qui concerne le remplacement, la durée obligatoire d'activité pourrait être réduite de façon significative dans les départements qui rencontrent d'importantes difficultés démographiques uniquement en secteur libéral comme, par exemple, la région Centre (pénurie en secteur libéral et non en secteur hospitalier). Dans les départements pour lesquels il n'existe pas de problèmes démographiques en libéral, ou qui ont des difficultés en secteur hospitalier et où se posent des problèmes ponctuels (zones rurales, zones périurbaines, prises en charge particulières, comme celles les polyhandicapés), des dérogations pourraient être accordées au cas par cas. Un dispositif qui devrait faire l'objet d'une révision tous les deux ans.

Autre point, les partenaires conventionnels pourraient bientôt préciser (par circulaire) la liste des établissements de santé dans lesquels l'exercice est pris en compte pour la durée minimum obligatoire avant installation et/ou remplacement.

« Dans le même sens, nous venons de signer, le 11 juillet dernier, un avenant relatif à la formation conventionnelle qui stipule que les remplaçants ont désormais accès à ce dispositif. Ces mesures doivent permettre d'augmenter le nombre de remplaçants sur le territoire national », explique Marcel Affergan.

Reste le délicat problème de l'identification des remplaçantes. Une question qui était déjà à l'ordre du jour en 1997, au moment de la signature de la convention. Depuis, rien n'a changé. Et ce n'est pas faute, pour les organisations syndicales, d'avoir dénoncé souvent cette situation. « La non-identification des remplaçantes est un véritable problème, non seulement en ce qui concerne les seuils d'efficience, mais aussi par rapport à la télétransmission. Là encore, c'est le statut quo », explique Nadine Hesnart. Une revendication qui concerne davantage les remplacées que les remplaçantes. Marie Talbot espère bien que cette identification n'est pas pour tout de suite. « Quand on est une remplaçante mobile, c'est ingérable. En fin de remplacement, bien souvent les dossiers ne sont pas complets et je doute fort que la remplacée accepte que je parte avec ses dossiers ! », précise-t-elle.

Du côté de la Cnam, le projet est à l'étude. Des cartes de professionnels de santé (CPS) qui permettent l'identification ainsi que la télétransmission devraient être disponibles pour les remplaçants des médecins, des dentistes et des pharmaciens, à partir de 2004. Les autres professions devraient suivre mais le dossier avance lentement.

La Toile au service des infirmières libérales

- Difficile de s'y retrouver dans le labyrinthe des sites internet professionnels, généralistes ou dédiés à l'emploi, qui vous proposent des offres de remplacement ou mettent en ligne vos annonces. Gratuite ou payante, la formule a ses aficionados. Et ça marche... Ces bouteilles à la mer donnent quelques résultats. Enfin si l'on respecte des règles simples : publier des annonces sur différents sites (de préférence les plus visités), mettre en avant les points forts de son activité, sa localisation (logement compris, type de clientèle, pourcentage de rétrocessions, etc.) et s'y prendre bien à l'avance.

- En voici une liste non exhaustive :

http://www.espaceinfirmier.com/accueil/index.php (payant)

perso.wanadoo.fr/corse.medecine/remplanet/ (gratuit)

http://www.emploi.infirmiers.com/ (payant)

http://www.annonces-medicales.com/annoncelist.phtml (gratuit pour les particuliers)

http://www.emploi-medical.com (gratuit)

http://www.caducee.net/ (gratuit)

http://www.stethonet.org/default3.htm (gratuit)

wb223.lerelaisinternet.com/remplacants/index.htm (gratuit)

http://www.doc112.com/doc/chrempla.php (gratuit)

Et les sites syndicaux.

Et les cabinets de recrutement dans tout ça ?

- Quand on a épuisé les ressources du bouche-à-oreille et celles des annonces dans les journaux professionnels ou régionaux ainsi que celle des sites internet, quelle possibilité reste-t-il ? Les cabinets de recrutement. Spécialisées dans le secteur libéral, ces agences ont commencé à poindre leur nez avec la pénurie de remplaçants. Ces structures privées s'engagent, moyennant finances, à vous trouver un collègue disponible au moment où vous partez. Des intermédiaires qui ne sont pas gratuits, en tout cas pour celles qui souhaitent se faire remplacer, même si ces sommes sont déductibles des impôts au titre des frais professionnels. Autant dire qu'il vaut mieux s'assurer que leur fichier est étoffé. Proportionnels à la durée de remplacement ou forfaitaires, leurs tarifs comprennent des prestations différentes. A vous de faire la comparaison (combien de jours compris dans la semaine, paiement ou non des jours de congés, etc.).

-> Contact Libéral Évolution (Toulouse).

Exemples de tarifs : pour une semaine (6 à 9 jours travaillés), 310 Euro(s) TTC et pour un mois (de 23 jours à 31 jours travaillés) à partir de 695 Euro(s) TTC.

-> Le cabinet Intermed (http://www.remplacement-medical.com)

Tarifs forfaitaires à l'année (demandes illimitées) : 85 Euro(s) par an pour les cabinets individuels et 150 Euro(s) par an pour les cabinets de groupes.

-> Inter Médica Service (Toulouse)

Exemples de tarifs : pour une semaine, 380 Euro(s) TTC et pour un mois 800 Euro(s) TTC. Ce tarif comprend la recherche et la rédaction du contrat.

-> Le cabinet Présence (Paris, Lyon, Bordeaux, Nice, Strasbourg). Le plus ancien.

Exemples de tarifs : pour une semaine de remplacement, 353 Euro(s) TTC et pour un mois, 841 Euro(s) TTC.

Rétrocession : la loi de l'offre et la demande

- En dix ans, la situation s'est totalement renversée en métropole. Aujourd'hui, finies les rétrocessions qui ne comprenaient que 70 à 80 % des honoraires perçus par les remplacées. C'est plutôt l'inverse. Avec la pénurie, le rapport de force s'est inversé. Les remplacées ont donc mis de l'eau dans leur vin pour réussir à intéresser ces perles rares : les rétrocessions s'échelonnent en moyenne entre 90 et 95 % des honoraires (voire 100 % quelquefois). Un renversement de tendance qui ne touche pas encore les départements et territoires d'Outre-Mer. Olivier Luck, créateur et directeur du cabinet de recrutement toulousain Contact Libéral Évolution raconte que : « À la Martinique, en Guadeloupe et à la Réunion, le pourcentage de rétrocessions accordé par les remplacées ne dépasse pas encore 50 à 75 % des honoraires perçus sur la période de remplacement alors que, en métropole, il peut atteindre un maximum de 90 à 100 % ». Le soleil des tropiques a son prix.