Vaccination : restaurer la confiance - L'Infirmière Libérale Magazine n° 185 du 01/09/2003 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 185 du 01/09/2003

 

Formation continue

Prévenir

La vaccination constitue un moyen essentiel de prévenir des maladies infectieuses. Pourtant, les débats qu'elle suscite portent plus souvent sur ses effets indésirables que sur ses bienfaits. Si les questions relatives à la vaccination sont légitimes, il appartient aux soignants d'apprendre à les anticiper et de savoir y répondre pour dissiper les doutes.

Dans les pays riches comme la France, on semble avoir oublié les ravages que peuvent causer certaines maladies comme la diphtérie, la poliomyélite ou la tuberculose. Paradoxalement, cette amnésie résulte des bienfaits de la prévention vaccinale (voir tableau page suivante) dont on se complait aujourd'hui à vouloir démontrer la dangerosité plus que l'utilité. Suspicion et doutes amènent de nombreux parents à remettre en question le bien-fondé de la vaccination. Un relâchement qui a lieu d'inquiéter, car il pourrait induire la résurgence de certaines maladies infectieuses et leur déplacement vers des sujets plus âgés, chez lesquels l'expression de ces maladies est plus sévère.

VACCINATION : PARLONS-EN

Mais comment faire pour parvenir à convaincre ceux qui remettent la prévention vaccinale en question ? « Il faut, répond le Dr Robert Cohen, microbiologiste au CHI de Créteil, apporter des explications pertinentes et claires à chacun des arguments qu'avancent les détracteurs de la vaccination dans le but de semer le doute et de motiver le refus des parents. » 1 Face à cet enjeu majeur de santé publique, les soignants doivent se mobiliser en donnant au public les moyens de comparer objectivement les risques (« pour la plupart inexistants, hypothétiques ou exceptionnels ») et les bénéfices des vaccins. De cette façon, la confiance en la prévention vaccinale sera rétablie et permettra de tenir en respect de nombreuses maladies infectieuses.

POURQUOI VACCINER CONTRE DES MALADIES ÉRADIQUÉES ?

En France, et dans la plupart des pays riches, des maladies comme la diphtérie ou la poliomyélite ont disparu. Dès lors, est-il encore utile d'en imposer la vaccination à tous les enfants ? Plus qu'utile, c'est indispensable, répondent les infectiologues. Ces maladies ne sont pas éradiquées de la surface du globe et peuvent, à tout moment, à la faveur des échanges internationaux (les voyages favorisent la dissémination des agents infectieux et des maladies) réapparaître si la couverture vaccinale s'affaiblit. Ainsi, en 1992, une flambée épidémique de poliomyélite s'est produite aux Pays-Bas, dans une communauté qui refusait les vaccinations. Qu'en serait-il en France si la couverture vaccinale contre la diphtérie n'existait plus alors que cette maladie sévit encore à nos portes dans des pays d'Europe de l'Est ? Pour l'heure, seule la variole est éradiquée à l'échelle planétaire, justifiant l'abstention vaccinale depuis 1978.

POURQUOI VACCINER CONTRE DES MALADIES BÉNIGNES ?

Selon l'enquête Baromètre santé 2000 2, 13,1 % des parents considèrent que la rougeole, les oreillons et la rubéole sont des maladies bénignes ne justifiant pas de vaccins. C'est oublier que la rougeole tue encore chaque année un million d'enfants à travers le monde et qu'elle est associée à une morbidité non négligeable (otites, pneumonie, encéphalite aiguë...), y compris dans les pays sanitairement favorisés. « L'épidémie qui s'est étendue à plus de 20 cantons ce printemps en Suisse, a, s'il en était besoin, rappelé la gravité potentielle de cette maladie, indique le Dr Cohen. Au 23 mai dernier, 442 cas étaient connus, touchant une forte proportion d'adolescents et de jeunes adultes dont 9,6 % présentaient des complications. Sur 320 cas dont l'anamnèse vaccinale était connue, deux patients (0,6 %) avaient reçu deux doses, 8 % avaient reçu une dose et 90,9 % étaient non vaccinés ! »

Malheureusement, certains parents refusent d'ouvrir les yeux. Ils ont le souvenir d'avoir eu ces maladies dans leur enfance sans qu'elles aient eu un quelconque retentissement. Étant « passés au travers », ils en banalisent les risques, et ne voient pas pourquoi il n'en serait pas de même pour leurs enfants. Ils oublient simplement que « ça n'arrive pas qu'aux autres » et qu'il n'y a pas de règle permettant d'affirmer que leurs enfants sortiront indemnes de toute complication. « Si l'on prend un germe comme le pneumocoque, dont 100 % des enfants sont porteurs, explique le Dr Cohen, nous savons qu'au moins un tiers des enfants va faire une otite moyenne aiguë à pneumocoque dans les trois premières années de vie, que quelques milliers feront une pneumonie et quelques centaines, une méningite à pneumocoque. Est-il légitime d'exposer son enfant à ces risques alors qu'un vaccin efficace et bien toléré existe ? Car en l'état actuel, aucun facteur ne permet de déterminer ceux qui feront ou non l'une de ces maladies. Par conséquent, la seule façon de les protéger tous, c'est de les vacciner tous. »

Par ailleurs, ne pas vacciner sous prétexte que la maladie est bénigne ou que l'enfant est trop petit entraîne une circulation des germes qui risque, dans le temps, de déplacer la maladie vers les adolescents ou les adultes non vaccinés chez lesquels l'expression de la maladie est beaucoup sévère et les risques de complications plus importants.

« MON ENFANT EST TROP PETIT POUR RECEVOIR TOUTES CES VACCINATIONS »

Face à l'apparente fragilité du nouveau-né, le geste vaccinal est souvent vécu comme un acte agressif que les parents redoutent tant au niveau des effets immédiats (cris, pleurs) que des réactions consécutives (état fébrile, enfant grognon, effets secondaires majeurs...).

De plus, dans un contexte où tout va bien, cette intrusion médicale est souvent mise en cause par les parents lorsque, après les premiers mois de vie, les nourrissons commencent à multiplier les rhinopharyngites et les otites. « Beaucoup de parents ont tendance à établir une relation de cause à effet entre les vaccins et l'état de santé de leur enfant, comme si la vaccination fournissait un terrain favorable au développement de ces maladies, indique le Dr Cohen. Bien entendu, il n'en est rien et il est important de leur expliquer que l'augmentation de ces infections courantes et parfois sévères résulte de la diminution des anticorps maternels et du fait que l'enfant, relativement confiné dans les premiers mois, se trouve socialement exposé à une multitudes de germes, dès lors qu'il est mis en garde avec d'autres enfants. Cette exposition justifie donc que l'on vaccine très tôt, en particulier pour la coqueluche et les infections systémiques à l'Hæmophilus influenzæ de type b (Hib) et à pneumocoque car le risque encouru (en fréquence et/ou en gravité) est maximal dès les premiers mois de vie. » Ce risque est notamment lié au fait que les nourrissons ont une réponse immunitaire médiocre contre les antigènes polysaccharides qui constituent la paroi de nombreuses bactéries pathogènes telles que le pneumocoque et l'Hib.

HÉPATITE B : POURQUOI VACCINER DES NOURRISSONS ?

Hormis la transmission verticale mère-enfant qui impose une vaccination dès la naissance rarement remise en question, les modes de transmission de l'hépatite B (exposition au sang, relation sexuelle) suscitent généralement interrogations et incompréhension quant au bien-fondé de cette vaccination chez le nourrisson. « Vacciner des nourrissons chez qui le risque est faible peut, en effet, paraître paradoxal, commente le Dr Jacques Cheymol, vice-président de la Société française de pédiatrie 3. Or, s'il est vrai que l'on peut différer cette vaccination (un vaccin de rattrapage est prévu entre 11 et 13 ans), il nous paraît préférable de le faire beaucoup plus tôt en raison du double intérêt, individuel et collectif, de l'acte vaccinal précoce. Individuellement, la vaccination protège contre le risque d'hépatite fulminante, de cirrhose et de cancer du foie ; collectivement, elle améliore la couverture vaccinale et concourt ainsi à la réduction de la pandémie à l'échelle nationale. Il faut en effet savoir que pour réduire la pandémie, une couverture vaccinale d'au moins 80 % est nécessaire (elle tourne actuellement autour de 41 %) et que celle-ci est beaucoup plus facile à obtenir si l'on vaccine des enfants en bas âge car le suivi organisé par la protection maternelle et infantile favorise l'observance et le respect du calendrier vaccinal. »

« LES VACCINS AFFAIBLISSENT, VOIRE SURCHARGENT L'IMMUNITÉ »

Au même titre qu'un organisme doit être entraîné pour supporter un effort physique violent, le système immunitaire à besoin d'être stimulé pour se renforcer. « Ce n'est pas un hasard si un prématuré né à 28 semaines dispose à 36 semaines d'un système immunitaire beaucoup plus mature qu'un nouveau-né, explique le Dr Cohen. Cela tient au fait qu'il a été plus tôt exposé aux antigènes circulant dans le monde extérieur. Certes, la capacité du système immunitaire à réagir à des stimulations antigéniques existe déjà avant la naissance. Les nouveau-nés sont capables de fabriquer IgM, IgG, IgA, de développer des lymphocytes de type T1, T2 et T cytotoxiques, de répondre à de nombreux agents pathogènes et d'avoir d'excellentes réponses anticorps à de nombreux vaccins. Raison pour laquelle on peut se permettre de vacciner tôt sachant que les stimulations induites par les flores commensales (digestives, respiratoires, cutanées), les infections banales (virales, bactériennes ou parasitaires) ou les vaccins n'affaiblissent pas mais sont nécessaires et favorisent le développement immunitaire. » Par ailleurs, il faut savoir que le « poids immunitaire » des vaccins est très faible par rapport à l'immunité naturelle conférée par les infections courantes. « Les études sur la diversité des récepteurs antigéniques suggèrent que le système immunitaire a une capacité de répondre simultanément à un million d'antigènes différents ce qui représente environ 10 000 vaccins. Raison pour laquelle, lorsqu'on vaccine un enfant présentant une infection courante (rhinopharyngite, otite, infection cutanée...), la réponse immunitaire induite par le vaccin est comparable à celle d'enfants vaccinés bien portants et ce, que le vaccin soit administré seul, en association ou en combinaison. Il n'existe donc ni interférence ni surcharge immunitaire péjoratives liées à l'emploi des vaccins, qu'ils soient injectés seuls ou associés à d'autres. »

« ON RISQUE DE CONTRACTER UNE MALADIE CONTRE LAQUELLE ON N'EST PAS VACCINÉ »

Cette idée n'est pas fondée. Différentes études apportent même des arguments contraires. L'une, réalisée sur 496 enfants 4, a montré que le groupe vacciné précocement présentait, au même âge, moins de signes d'infections banales que le groupe non vacciné. De même, une autre étude 5 montre que le risque de faire des infections est moins important chez les enfants vaccinés tôt que chez les enfants vaccinés tard.

« LES VACCINS AUGMENTENT LES RISQUES D'ALLERGIE »

La vaccination est très souvent mise en cause dans la survenue d'eczéma ou d'asthme. Or, s'il est scientifiquement établi que ces troubles résultent de l'influence de nombreux facteurs familiaux et environnementaux, aucune étude épidémiologique n'a jamais mis en évidence de relation entre la vaccination et le risque d'atopie ou d'asthme.

« CONSERVATEURS ET ADJUVANTS SONT DANGEREUX »

Les vaccins sont composés de conservateurs et d'adjuvants dont certains ont fait l'objet de rumeurs inquiétantes. C'est notamment le cas du thiomersal et de l'aluminium.

Longtemps utilisé comme conservateur 6 dans les gouttes ophtalmiques et les vaccins, le thiomersal contient des sels de mercure accusés d'entraîner une accumulation de mercure présentant une toxicité pour le cerveau. Retiré par précaution des vaccins des nourrissons depuis plus de deux ans, l'étude de Pichichiero, publiée dans Le Lancet en 2002, montre qu'il n'en est rien : « Le thiomersal est très rapidement éliminé par les selles et les taux de mercure sanguin relevés chez les nourrissons sont bien en-dessous du seuil de sécurité. »

L'aluminium a, pour sa part, récemment été mis en cause dans une lésion histologique : la myofasciite à macrophage (MMF). C'est actuellement l'adjuvant le plus efficace et le plus utilisé dans les vaccins humains. Il peut provoquer, au point d'injection, une réaction locale en formant un dépôt qui attire les macrophages vers les antigènes du vaccin. Une biopsie réalisée au niveau du deltoïde chez des patients qui présentaient des symptômes associés à MMF (asthénie, myalgies, arthralgies...) a mis en évidence une lésion histologique comparable à celle provoquée par l'aluminium des vaccins. Il n'en fallait pas moins pour incriminer la vaccination dans la survenue de cette maladie. Une relation de cause à effet que les analyses réalisées, entre autres, par l'OMS n'ont pas confirmée. « Si la lésion histologique est certaine, son rapport avec les symptômes présentés pas les patients est plus que douteux », confirme le Dr Cohen. « D'autant, ajoute le Dr Claire-Anne Siegrist (Centre de vaccinologie et d'immunologie néonatale, Genève) 7 que l'image histologique de MMF a aussi été décrite chez des patients en bonne santé. Cette image pourrait donc n'être qu'un tatouage vaccinal (cicatrice superficielle témoignant de l'injection vaccinale) microscopique. »

Pour calmer l'inquiétude suscitée par les remous médiatiques entretenus autour de cette question, certains ont proposé de préférer la voie sous-cutanée à la voie IM pour les injections vaccinales. « Cela pourrait s'avérer dangereux, poursuit le Dr Cohen, car la voie sous-cutanée est moins immunogène donc moins efficace. Elle est aussi plus douloureuse et donne plus de réactions locales. Changer de voie pour un syndrome dont la réalité clinique est douteuse ne paraît pas raisonnable. » Les autorités sanitaires maintiennent donc leurs recommandations jugeant que la sécurité des vaccins comportant de l'aluminium n'est pas à remettre en cause.

Ainsi, au vu des résultats obtenus par la vaccination (recul, voire éradication de certaines maladies), des données scientifiques disponibles et des précautions sécuritaires dont s'entourent les pouvoirs publics, les soignants disposent d'arguments solides pour jouer leur rôle d'ambassadeurs de la prévention vaccinale. Mieux vaut, en effet, prévenir que subir, lorsqu'on est en mesure de le faire. L'absence d'un vaccin contre le sida nous rappelle en effet cruellement à quel point la vaccination est utile.

De même, l'évolution de la résistance aux antibiotiques, l'émergence de nouveaux pathogènes (SRAS, West Nile Virus 8...) et la résurgence possible d'anciens fléaux remis aux goût du jour par le bioterrorisme (charbon, variole, peste...) doivent nous persuader de profiter aujourd'hui des moyens de prévention que nous appellerons, peut-être en vain, de nos voeux, demain. Il appartient donc aux soignants de contribuer activement à optimiser la couverture vaccinale existante (lire le dossier Prendre soin) pour prévenir au maximum les maladies infectieuses évitables.

1 Source : Intervention lors de la journée d'amphis vaccinologie, organisée dans le cadre du Medec, le 11 mars 2003.

2 Enquête réalisée par le CFES et la CNAM.

3 Source : « Vaccinologie : l'observance dépend de la conviction du prescritpeur », Pascale Solère, IMH, n° 580, mai 2002, p. 65.

4 Otto S., Mahner B., Kado W.I., Beck J.-F., Wiersbitzky S.K., Bruns R. : General non-specific morbidity is reduced after vacination within the third month of life - the Greifswald study, J. Infect., 2000 ; 41 : 172-5.

5 Black S.B., Cherry J.-D., Shienfield H.R., Fireman B., Christenson P., Lambert D. : Apparent decreased risk of invasive bacterial disease after heterologous childhood immunization, Am. J. Dis. Child., 1991 ; 145 (7) : 746-9.

6 Produit permettant au vaccin de rester stérile et de ne pas être le lieu d'une multiplication microbienne.

7 Source : « Retour sur la "rumeur" aluminium », Christine Fallet, IMH, n° 559, 7 décembre 2001, p. 47.

8 Virus transmis par certaines espèces de moustiques dont une épidémis se développe actuellement sur la côte est des États-Unis et du Canada.