Penser prévention - L'Infirmière Libérale Magazine n° 188 du 01/12/2003 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 188 du 01/12/2003

 

Surdité

Formation continue

Prévenir

La surdité touche neuf millions d'individus en France. Un problème de santé publique qui pourrait être limité par une meilleure prévention. Car toutes les surdités ne relèvent pas de la fatalité. Il est plus que jamais nécessaire d'en prendre conscience pour prévenir les surdités évitables et dépister les autres le plus tôt possible.

Les troubles auditifs concernent un à trois enfants sur 1000 et un adulte sur huit... ce qui représente, tous âges confondus, 9 millions de malentendants en France. Source d'exclusion sociale et de mal-être chez l'adulte, les troubles de l'audition (de l'hypoacousie permanente à la surdité profonde), peuvent aussi perturber gravement le développement psychique et relationnel chez l'enfant (1). Par ailleurs, entre les deux, les nouvelles générations d'adolescents s'exposent à des traumatismes auditifs qui risquent de les rendre précocement sourds. Raison pour laquelle il faut améliorer la prévention des surdités évitables et dans les autres cas, renforcer le dépistage précoce des troubles auditifs à tous les âges de la vie.

ÉVITER L'ÉVITABLE

Surdités iatrogéniques

« Pour un infirmier, la prévention des surdités commence par la surveillance étroite des patients traités par des médicaments ototoxiques tels que les aminoglycosides (2), classe d'antibiotiques prescrits dans des indications majeures », indique le Pr Bernard Meyer, chef du service ORL de l'hôpital Saint-Antoine (Paris). Leur toxicité n'est pas seulement cochléaire ; certaines molécules (streptomycine par exemple) affectent également et parfois prioritairement, le vestibule (cf. encadré "L'oreille : quelques rappels"), siège de l'équilibre. Il en résulte une surdité de perception (cf. encadré "Perte auditive et décibels") et/ou une altération de l'équilibre variables selon les individus (3) et dont l'intensité dépend non seulement de la dose, mais aussi du mode d'administration (la perfusion rapide par voie veineuse est plus agressive que la voie orale, par exemple). Ainsi, des patients sont devenus totalement sourds après une seule injection. Toutefois, ce type d'accident survient généralement dans des conditions de réanimation où le risque vital impose d'administrer des doses toxiques en IV. En fait, dans la majorité des cas, les troubles surviennent progressivement mais assez rapidement pour justifier que les infirmiers chargés d'administrer ces médicaments surveillent l'apparition de troubles auditifs (baisse d'audition, voire plus simplement un acouphène) ou de "vertiges" pour en référer immédiatement au médecin. Dans ce cas, l'atteinte de l'appareil auditif est systématiquement bilatérale ce qui signifie qu'une surdité totale d'une seule oreille survenant au cours d'un traitement particulier, exclut une toxicité médicamenteuse. Lorsque la surdité est bilatérale et que l'appareil de l'équilibre est touché des deux côtés, il est important de savoir que les patients ressentent une impression de flottement et d'instabilité plus que de véritable vertige (comme c'est le cas lorsque l'appareil de l'équilibre est lésé unilatéralement) car la balance de l'équilibre est maintenue et reste assistée par la vision et la sensibilité des muscles. Par conséquent, la fatigue n'expliquant pas tout, en présence de troubles de l'équilibre survenant suite à la prise de médicaments ototoxiques, l'infirmier doit penser qu'une destruction vestibulaire peut être en cours qui impose de demander un avis médical pour s'assurer qu'il n'est pas en train de rendre sourd son patient par ordonnance interposée. D'autres médicaments tels que les anciennes générations d'antipaludéens (quinine) peuvent également donner des surdités progressives. Enfin, il faut savoir qu'à doses massives, les AINS, dont l'aspirine, sont ototoxiques. Par exemple, 10 g d'aspirine en cas de tentative de suicide peuvent modifier tout l'équilibre biologique de l'oreille et induire une surdité fort heureusement réversible si la personne survit.

Surdités d'origine traumatique

Différents traumatismes sonores ou mécaniques peuvent être à l'origine de surdités évitables par la prévention.

->Les traumatismes sonores affectent également la cochlée et sont donc à l'origine de surdités de perception. Ces traumatismes peuvent être aigus : explosion d'un pétard, exposition durant plusieurs heures à plus de 120 décibels (dB). Ils peuvent aussi résulter d'agressions sonores chroniques (walkman, tir à la carabine, soirées en boîtes de nuit, métiers exposant au bruit). « Notre société est en train de forger des générations de sourds précoces pour les décennies à venir », déplorent unanimement les médecins ORL. Un processus d'autant plus redoutable qu'il s'opère insidieusement. « Au début, précise le Pr Meyer, les sujets présentent un acouphène (4) qui est très souvent isolé et sans perte auditive évidente. Relativement bien toléré, cet acouphène peut disparaître si le traumatisme n'est pas répété ». En revanche si les agressions sonores se reproduisent et dépassent un certain niveau d'énergie, la perte auditive s'aggrave. « En fait, il se produit un véritable processus d'intoxication, lié à la surproduction de glutamate », poursuit le Pr Meyer : ce neurotransmetteur, normalement produit par nos cellules sensorielles pour exciter les fibres nerveuses, devient toxique pour les cellules nerveuses dès qu'il dépasse un certain niveau. Tant que l'on se situe en dessous d'une certaine intensité, la sonorité peut être perpétuelle, elle ne sera jamais toxique. En revanche, dès qu'elle dépasse 90 à 95 dB, l'intoxication va dépendre de la durée d'exposition. Ainsi, à 95 dB, il faut 8, 9 ou 10 heures d'écoute selon les individus, pour détériorer l'audition ; à 110 dB il suffit d'environ 10 minutes et à 160 dB, probablement pas plus d'une demi-seconde. Il est donc important d'avoir à l'esprit que les troubles auditifs, qu'ils soient consécutifs à des agressions répétées (traumatisme chronique) ou concentrées dans le temps (traumatisme aigu), résultent d'un rapport entre quantité d'énergie et durée qu'il est possible de moduler à volonté dans le bon ou le mauvais sens. Parler de prévention des surdités n'est donc pas une vue de l'esprit. C'est possible au prix d'une information et d'une éducation incitant dès le plus jeune âge à prendre conscience des méfaits du bruit et à respecter les mesures préventives prévues par la législation tant dans le domaine du travail que des loisirs. En milieu professionnel, le niveau sonore des ateliers ou des outils utilisés doit être mesuré par la médecine du travail et le port de casque anti-bruit rendu obligatoire au-delà d'un certain seuil (90 dB). La France est par ailleurs le seul pays au monde à avoir légiféré dans le domaine du traumatisme de loisir aigu ou chronique en réglementant le niveau sonore dans les discothèques et les salles de concert et en limitant l'intensité des baladeurs à 100 dB. « Si cet effort mérite d'être salué, commente le Pr Meyer, on peut néanmoins s'interroger quant au respect de la réglementation et regretter que le législateur n'ait pas, comme dans le milieu du travail, fixé le seuil des baladeurs à 90 dB. Il faut en effet savoir qu'entre 90 et 100 dB, la puissance acoustique est multipliée par 10 ! ».

->Les traumatismes mécaniques concernent l'oreille moyenne et affectent l'appareil mécanique constitué par la caisse du tympan et les osselets. Dans ce cas, les lésions du tympan et des osselets sont provoquées par une variation de pression brutale possiblement occasionnée par une gifle, un ballon, une vague, voire même un baiser. Cette variation de pression peut également altérer la cochlée ce qui entraîne des surdités mixtes, mais en général l'oreille moyenne amortit le "choc" et préserve l'oreille interne. La surdité consécutive aux traumatismes mécaniques n'a pas les mêmes conséquences que la surdité cochléaire car, si les sons ne sont plus amplifiés, ils restent correctement analysés par la cochlée. Cette surdité dite de transmission peut être traitée chirurgicalement (geste visant à réparer le tympan) ou appareillée avec un amplificateur qui remplace la fonction du tympan et des osselets. Cela dit, l'existence de remèdes efficaces ne dispense pas de rappeler que prévenir vaut mieux que guérir et qu'à ce titre, les infirmiers peuvent utilement participer à l'effort d'information et d'éducation des patients. Mais leur rôle ne s'arrête pas là. Ils peuvent également contribuer à la prévention secondaire en participant au repérage des troubles auditifs et en incitant les personnes relevant d'une aide auditive à se faire appareiller le plus tôt possible.

REPÉRER LES TROUBLES PRÉCOCEMENT

Mal entendre, quel que soit l'âge, est une source de souffrance, de retard scolaire et de marginalisation. Bien des enfants réputés lents à l'école sont en réalité des enfants atteints de troubles auditifs diagnostiqués tardivement et déjà handicapés par un retard scolaire. En l'absence (ndlr : "regrettable") d'un dépistage systématique des troubles auditifs en milieu scolaire, il est important que tous les acteurs de santé qui gravitent autour de l'enfant soient attentifs aux signes d'alerte (cf. encadré "Perte auditive chez l'enfant: les signes d'alerte") et sensibilisent les familles au repérage des troubles. Par exemple, s'assurer par des tests simples (donner une consigne ou appeler l'enfant par son nom à voix haute et à voix chuchotée dans des conditions sonores différentes (calme, bruit, discussion) que l'enfant ne présente aucune séquelle auditive en cas d'affection auriculaire évolutive ou récurrente. Une surveillance qui peut faire gagner un temps précieux et qui est d'autant plus justifiée que les traitements (médicaments, chirurgie, aides et prothèses auditives) ont réalisé d'énormes progrès et permettent aujourd'hui de pallier, de traiter, voire de guérir la plupart des surdités. Cela vaut aussi pour les personnes âgées vis-à-vis desquelles le repérage des troubles inauguraux est tout aussi important.

APPAREILLER LE PLUS TÔT POSSIBLE

En effet, indépendamment de toute lésion, traumatisme ou toxicité médicamenteuse relevant de la prévention primaire, les sujets âgés voient leur audition s'altérer naturellement de 35 dB à partir de 65 ans. « Les graves restent normaux mais les aigus s'altèrent, explique le Pr Meyer, et lorsque la perte auditive (cf. encadré "Les différents types de surdité") atteint 35 dB, le sujet entend mais ne capte plus la partie du spectre sonore correspondante ce qui engendre une gêne (« je ne comprends plus lorsqu'il y a plusieurs personnes qui parlent ; en fait je devine beaucoup plus que je n'entends vraiment... »), dont les sujets âgés rendent souvent leurs interlocuteurs responsables en invoquant qu'ils n'articulent pas assez ou qu'ils parlent trop vite. En fait, ils présentent une presbyacousie (5) qu'il conviendrait d'appareiller rapidement pour restaurer la perception des aigus. Il faut en effet savoir que lorsque le cerveau ne reçoit plus d'information dans les aigus, il se produit un changement de cartographie séquentielle au niveau du cortex cérébral qui entraîne des pertes irrémédiables dans la perception des aigus. Dès lors, si le sujet tarde à s'appareiller, les résultats obtenus seront d'autant moins bons qu'il sera plus difficile de restaurer la perception des aigus, le changement de cartographie étant plus difficile à normaliser à mesure que l'âge et le déficit s'accroissent ». C'est dire l'intérêt qu'il y a à leur expliquer simplement que la qualité de leur audition dépend avant tout de la rapidité de leur décision. Les en convaincre, c'est prévenir l'aggravation de leurs troubles et préserver leur qualité de vie.

(1) L'audition est nécessaire pour structurer et développer le langage oral.

(2) Font partie de cette famille d'antibiotiques : la gentamincine (Gentalline®, Gentogram®), la streptomycine (Streptomycine®), la tobramycine (Nebcine®), l'amikacine (Amiklin®), la sysomycine (Sisolline®), la dibékacine (Debekacyl®), la netilmicine (Netromicine®), l'isépamicine (Isepalline®), la spectonomycine (Trobicine®). Ces médicaments ototoxiques sont également néphrotoxiques.

(3) Certains individus présentent des prédispositions génétiques qui les rendent plus sensibles à capter l'antibiotique à l'intérieur des cellules sensorielles que d'autres. Ces individus n'arrivent pas à relarguer l'antibiotique ce qui entraîne une concentration à l'intérieur des cellules et une intoxication accentuée.

(4)(bruit perçu mais ne correspondant à aucun son extérieur = bourdonnement, sifflement, claquement, tintement)

(5) Vieillissement de l'oreille interne dont les cellules ciliées se dégradent jusqu'à disparaître parfois.

L'oreille : quelques rappels

L'oreille est composée de trois parties :

-> l'oreille externe (OE) : pavillon et conduit auditif externe

-> l'oreille moyenne (OM) : à l'extrémité du conduit auditif externe l'OM est constituée du tympan et de la chaîne des osselets. Remplie d'air, elle communique par la trompe d'eustache avec l'arrière fond des fosses nasales.

-> l'oreille interne (OI) : partie la plus profonde logée dans le rocher (os de la base du crâne sur lequel repose une partie du cerveau), l'OI ou labyrinthe comprend le vestibule (organe de l'équilibre) et la cochlée (organe de l'audition) qui communique avec l'OM par deux fenêtres dont l'une est obturée par l'étrier. La cochlée est remplie de liquide. Les sons émis traversent l'oreille externe et moyenne puis le tympan et sont transmis par l'étrier aux liquides contenus dans la cochlée. Les vibrations des liquides cochléaires sont détectées par l'organe de Corti (ruban long de 32 mm, composé de cellules sensorielles garnies de cellules ciliées en relation à leur base avec les fibres du nerf auditif) et transformées en signaux électriques puissants transférés par le nerf auditif au cerveau où ils sont analysés, interprétés et traduits.

Chaque partie de l'oreille joue un rôle. L'atteinte de l'une d'entre elles suffit pour altérer l'audition.

Perte auditive et décibels

La perte auditive se définit en décibels (dB)

-> audition normale = perte inférieure à 20 dB

-> surdité légère = perte de 20 à 40 dB

-> surdité moyenne = perte de 40 à 70 dB

-> surdité sévère = perte de 70 à 90 dB

-> une surdité profonde = perte > à 90 dB

À noter : à titre d'exemple un chuchotement émet 20 dB, une conversation courante 60 dB, un klaxon 80 dB, un marteau-piqueur 100 dB et un avion au décollage 130 dB.

Perte auditive chez l'enfant : les signes d'alerte

-> enfant trop calme, toujours distrait, non intéressé par le monde sonore

-> enfant qui ne répond pas à l'appel de son nom au-delà de la première année

-> retard de langage oral

-> trouble de la parole ou de l'articulation

-> régression du langage et de la parole alors que l'enfant évoluait normalement

-> difficultés, voire retard scolaire (confusion des sons, difficultés d'apprentissage de la lecture)

-> troubles du comportement (irritation, apathie, angoisse).

Les différents types de surdité

Il existe 3 types de surdité : les surdités de transmission, de perception et les surdités mixtes.

-> La surdité de transmission est la plus fréquente et la plus facile à traiter. Elle est liée à un obstacle situé dans l'oreille moyenne et gênant la transmission des sons jusqu'aux liquides de l'oreille interne. Il peut s'agir d'un bouchon de cire, d'un corps étranger, d'une malformation de l'oreille moyenne (rare), d'un traumatisme (déchirure du tympan), d'un épanchement liquidien, ou d'une atteinte de l'oreille moyenne (otite aiguë, abcès, destruction partielle ou complète de la chaîne tympano-ossiculaire, cholestéatome, otospongiose). Toutes les fréquences sont étouffées, mais le message sonore globalement diminué d'intensité n'est pas déformé quand il parvient aux centres auditifs car l'oreille interne est normale. Il suffit de parler plus fort pour que le sujet entende et comprenne. Cette surdité est réversible soit chirurgicalement, soit plus simplement, par l'appareillage à l'aide d'une prothèse amplificatrice.

-> La surdité de perception relève de mécanismes plus complexes et plus difficiles à pallier car non accessibles à la chirurgie et aux amplificateurs. Elle résulte d'une atteinte de l'oreille interne ou d'une lésion du nerf cochléaire ou des centres auditifs cérébraux constituant l'appareil chargé d'analyser l'intensité des fréquences. Un traumatisme sonore, mécanique (fracture du rocher) ou chirurgical (à l'occasion d'un intervention au niveau de l'oreille moyenne), un caillot obstruant une artériole de l'oreille interne, une infection virale, un médicament ototoxique, une malformation de l'oreille interne d'origine congénitale ou génétique, un neurinome (tumeur bénigne du nerf acoustique) ou une dégénérescence liée au vieillissement (presbyacousie) peuvent expliquer une surdité de perception. Ces atteintes, même légères, occasionnent des désordres auditifs qui, très vite, peuvent rendre le message sonore incompréhensible. La personne entend mal les intensités basses et entend trop les intensités fortes sans pour autant comprendre. Ce défaut d'analyse des intensités explique qu'elle fasse répéter mais qu'elle s'insurge « ne criez pas comme ça, je ne suis pas sourde » lorsqu'on élève le ton. Il explique aussi l'incapacité de ces personnes à suivre une conversation dans un environnement bruyant. Inutile par conséquent d'appareiller ces surdités car même en intensifiant le son par un amplificateur, la personne entendra plus fort mais comprendra moins bien car l'analyse des fréquences est perturbée.

-> Les surdités mixtes : elles associent un obstacle à la transmission des sons à une atteinte plus ou moins importante de l'oreille interne. Il peut par exemple s'agir d'une infection chronique qui a détruit le tympan et les osselets et a en même temps altéré les liquides de l'oreille interne.