Du bon usage du pansement - L'Infirmière Libérale Magazine n° 189 du 01/01/2004 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 189 du 01/01/2004

 

Ulcère veineux

Formation continue

Prendre soin

Complication majeure de l'insuffisance veineuse chronique, l'ulcère veineux des membres inférieurs touche 3 % des personnes âgées de plus de 65 ans (et 5 % des plus de 80 ans). Sa prise en charge ambulatoire bénéficie d'une large gamme de pansements, que l'infirmier doit connaître pour en optimiser l'utilisation.

Le suivi des ulcères de jambe à domicile relève du soin infirmier. Il faut savoir comment réagir et quelles initiatives prendre en fonction de l'état de la plaie et de l'état du patient. Ce qui impose de bien connaître les différentes phases d'évolution des plaies, les différents pansements, leurs indications et contre-indications et les situations à risque relevant d'un avis médical.

NETTOYAGE RIGOUREUX

Le soin commence par un nettoyage de la plaie au sérum physiologique. Lorsque c'est possible, il est recommandé de réaliser un bain de pied ou de jambe dans de l'eau tiède à 37 °C. Ce soin réclame un peu plus de temps (10 à 15 minutes) et du matériel qu'il convient de décontaminer après chaque utilisation. Sans prescription justifiée, les antiseptiques ne doivent pas être utilisés dans la prise en charge des ulcères de jambe non compliqués, en raison de leur pouvoir potentiellement irritant pour la peau périlésionnelle.

Pour aider au nettoyage et à la détersion des plaies ulcéreuses, il existe des systèmes d'irrigation à jet haute pression (Surgilax®, Jetox®, Debritom®) qui utilisent du sérum physiologique ou de l'eau distillée et assurent une dissection précise de la fibrine (voire de la nécrose) à la limite du tissu sain. Ces dispositifs utilisés aux États-Unis par les services de soins à domicile (ils permettent de réaliser des soins de propreté y compris lorsque l'hygiène des lieux laisse à désirer) ne sont, dans notre pays, disponibles (voire en expérimentation) qu'à l'hôpital.

ADAPTER LE PANSEMENT À LA PLAIE

Une fois la plaie nettoyée, les infirmiers disposent d'une douzaine de classes de pansements. Ils vont devoir choisir la mieux adaptée en fonction de l'importance des exsudats, du stade de la cicatrisation, de la taille et de la localisation de la plaie et de l'aspect de la peau périlésionnelle.

Plaie nécrotique noire et sèche

Pour le Dr Sylvie Meaume, chef du service de gérontologie (Hôpital Charles Foix, Val-de-Marne), « Face à ce type de plaie, avant tout geste, l'infirmier libéral doit impérativement s'assurer auprès du médecin qu'il n'existe pas d'artérite ou d'insuffisance artérielle sous-jacente, qui contre-indique formellement de déterger la nécrose. Dans ce cas, il s'agit de momifier la nécrose à l'aide de compresses sèches. Cette situation se rencontre notamment chez les diabétiques atteints d'artérite distale : chez ces derniers, la momification des ulcères d'orteils permet d'obtenir des auto-amputations évitant le recours à la chirurgie » (1).

En revanche, si le médecin autorise l'infirmier à déterger la plaie, tous les moyens sont bons pour ramollir la nécrose et procéder à son exérèse le plus rapidement possible pour éviter tout risque d'infection. Les hydrogels, pansements riches en eau (ils en contiennent 80 %), sont alors recommandés. Il faut éviter de les recouvrir d'une compresse de gaze qui en absorbant l'eau du pansement risque d'en limiter l'efficacité.

À l'inverse, celle-ci peut être optimisée en plaçant sur l'hydrogel un pansement hydrocellulaire ou un film de polyuréthane qui renforcera l'humidification de la plaie. Ce type de pansement peut être laissé de 24 à 72 heures. Toutefois, le risque infectieux associé à ce milieu très humide rend préférable un changement de pansement toutes les 48 heures maximum.

Plaie fibrineuse jaune et humide

Une plaie jaune et fibrineuse ne prête à aucun état d'âme. « L'infirmier peut d'emblée réaliser la détersion mécanique sous anesthésie locale à la curette, à la pince ou au bistouri », indique le Dr Meaume. Si la fibrine est sèche, un pansement hydrogel peut aider à la ramollir pour parfaire la détersion. Ensuite, selon que la plaie saigne ou non, elle peut être recouverte d'un alginate ou d'un hydrofibre. Les alginates et les hydrofibres conviennent également en cas de plaie fibrineuse très exsudative.

-> Les alginates peuvent éventuellement être recouverts d'un film occlusif lorsque les plaies ne sont pas infectées. Ils ont l'avantage d'être hémostatiques, ce qui permet de les utiliser sur des plaies hémorragiques ou qui saignent après la détersion. Lorsqu'on les change, ces pansements ont parfois une couleur verte inquiétante qui pourrait encourager certains soignants à faire usage d'antiseptiques. « Or, précise le Dr Meaume, cette apparence est normale (elle est liée aux germes pyocyaniques) et ne doit conduire à prendre aucune initiative à visée antiseptique ou antibiotique ».

-> En revanche, si les pansements collent, il est possible de les humidifier pour les ôter. Certains laboratoires préconisent même de les humidifier au moment de la pose. Le Dr Meaume nuance : « Lorsqu'une plaie nécessite de mouiller le pansement alginate cela pose la question de savoir si le pansement est bien adapté au type de plaie. Peut-être est-il préférable en effet, de passer à une autre catégorie de pansements. La seule justification à l'humidification des alginates est d'ordre économique pour le patient à domicile. De fait, lorsque la plaie évolue bien et devient vite moins exsudative il conviendrait logiquement de remplacer l'alginate par un hydrocolloïde ou un hydrocellulaire. Mais si le patient a acheté une boîte entière de pansements alginates, il est justifié de les terminer en prenant soin de les humidifier avant de passer à une autre catégorie de pansements que l'on changera moins souvent, comme les hydrocellulaires ».

-> Les hydrofibres ont des propriétés similaires à celles des alginates mais ils sont plus absorbants et non hémostatique. Leur principe actif (carboxyméthylcellulose) se transforme en gel et en cas de plaies très exsudatives, ils peuvent être recouverts d'un film ou d'un hydrocolloïde.

Plaie bourgeonnante

Exception faite des plaies hyperbourgeonnantes qui réclament un avis médical et des traitements spécifiques (cf. encadré 2), l'infirmier, face à une plaie qui bourgeonne normalement, a le choix entre les hydrocolloïdes et les hydrocellulaires, les tulles et interfaces imprégnés de corps gras neutre (2) ou les pansements à l'acide hyaluronique (3).

-> Les hydrocolloïdes (HDC) sont composés de carboxyméthylcellulose (polymère absorbant totalement inerte et neutre) mélangé à un additif et sont recouverts d'un film de polyuréthane imperméable. Ils sont recommandés pour les plaies modérément exsudatives. Leur principal inconvénient : ils se délitent au contact des exsudats et sont très malodorants après quelques jours d'utilisation. Attention, c'est le polymère qui, au contact des germes anaérobies de la plaie, dégage une mauvaise odeur : cela ne justifie aucunement d'arrêter ce type de pansement. D'autant qu'il permet d'espacer les soins tous les trois à quatre jours (en pratique on peut les laisser une semaine) ce qui est plus confortable pour le patient. Et si, pour différentes raisons (état général du patient, patient "tripotant" son pansement et relevant d'une surveillance rapprochée...), vous jugez nécessaire de changer de pansement tous les jours, il faut s'abstenir d'utiliser des HDC : ils ne répondent pas à cette indication et sont très chers. Sinon il est conseillé de les recouvrir d'un pansement secondaire (compresse + bande Nylex® ou Velpeau®) pour les maintenir en place, notamment lorsque l'ulcère se situe sur une zone de frottement (talon par exemple). « Comme il est difficile de prévoir d'emblée en combien de temps le pansement sera saturé, indique le Dr Meaume, il est important en ambulatoire, que la prescription médicale prévoie une surveillance du pansement tous les deux jours ». Tant que la plaque n'est pas complètement saturée et que les bords du pansement sont intègres, celui-ci peut être laissé en place à la faveur de la plaie (les facteurs de croissance restent actifs sous les HDC).

-> Les hydrocellulaires (HDCEL) ont été conçus pour remédier au problème de délitescence et d'odeur des hydrocolloïdes. Ils sont fabriqués à partir d'un autre polymère (le polyuréthane), une sorte de mousse qui leur confère les mêmes propriétés absorbantes que les HDC sans leurs inconvénients. La mousse gonfle au contact des exsudats et les retient, ce qui évite la formation du "jus" nauséabond que l'on observe avec les hydrocolloïdes. Ils existent dans des formes très variées (pansements adaptés au talon, à la cheville, au coude, en coussinet pour les pieds creux) avec ou sans adhésif. Ils sont plus chers, mais doivent être changés moins souvent. Comme les HDC, ils peuvent être recouverts d'un pansement secondaire de propreté. Lorsque les plaies sont très étendues, il est préférable d'utiliser d'emblée des pansements non adhésifs. Enfin, d'expérience, les infirmiers "experts" en plaie recommandent, lorsque la plaie est située sur la jambe, ne pas la positionner au centre du pansement car les exsudats, par gravitation, vont avoir tendance à couler vers le bas lorsque le malade se déplace ou est alité. Ainsi, une partie de la capacité d'absorption ne sert à rien et le pansement doit être changé plus souvent. Il est donc préférable d'appliquer le pansement en plaçant la plaie dans l'angle droit ou gauche de manière à utiliser complètement la surface utile du pansement. Cette précaution permet de le maintenir en place 24 à 48 heures de plus.

Plaie rose en cours d'épithélialisation

La cicatrisation progresse et la plaie peut bénéficier de pansements HDC ou HDCEL permettant d'espacer les soins. Associés à une contention Profore® en quatre couches maintenue en place une semaine, ces pansements assurent un confort très apprécié des patients. Lorsque pour des questions d'hygiène, ou parce que les patients rencontrent des difficultés d'observance ou de pose, un passage infirmier quotidien s'impose, il est alors préférable d'utiliser les tulles et les interfaces. Ces derniers sont une nouvelle génération de tulle dont la composition (fibres synthétiques imprégnées d'un corps gras neutre + carboxyméthycellulose) entraîne au contact des exsudats la formation d'un gel qui facilite le changement de pansement.

CAS PARTICULIERS

Relativement long, le traitement de l'ulcère de jambe est parfois jalonné de difficultés (plaies très exsudatives), voire de complications (eczéma péri-ulcéreux, allergie, infection) face auxquelles l'infirmier doit connaître la conduite à tenir.

Plaie très exsudative

L'infirmier peut lui-même gérer cette situation en changeant plus souvent les pansements. Toutefois, cela suppose qu'il dispose d'une prescription particulière lui permettant de visiter le patient les samedi, dimanche et jours fériés. Les pansements les mieux indiqués dans ce contexte sont les pansements adhésifs très absorbants. C'est l'indication de choix pour les hydrofibres.

Peau périlésionnelle endommagée

Lorsque la peau périphérique de l'ulcère est altérée (rougeur, inflammation) il est important de demander un avis médical, afin d'en déterminer la cause (eczéma péri-ulcéreux, allergie à l'un des composants du pansement, réaction à un antiseptique ou simple irritation liée à l'adhésif du pansement) et de prendre les dispositions appropriées : éviction de l'allergène en cas d'eczéma de contact, adjonction d'une corticothérapie locale courte (4) en cas d'inflammation douloureuse, remplacement du pansement adhésif par un autre non adhésif.

Plaie infectée

Lorsque l'infirmier suspecte une infection, celle-ci doit être confirmée par un médecin qui jugera de l'opportunité de prescrire ou non une antibiothérapie. Ce diagnostic peut être posé sur l'aspect de la plaie et ne nécessite pas obligatoirement de prélèvement bactériologique systématique. L'infection s'accompagne souvent d'une inflammation du pourtour de la plaie qui impose de déterger la plaie afin d'éliminer les particules de fibrine nécrosées qui nourrissent les germes et entretiennent l'infection. L'utilisation d'un pansement non occlusif absorbant type alginate ou hydrofibre peut aider la détersion. On peut ensuite utiliser des pansements au charbon ou à l'argent en les changeant tous les jours durant au moins 48 heures, afin de vérifier l'évolution de la plaie et de juger si une antibiothérapie par voie générale est nécessaire. L'utilisation d'antiseptiques, souvent rassurante, n'est pas obligatoire. Généralement, la détersion et l'utilisation de pansements non occlusifs suffisent à assurer un nettoyage de la plaie.

Ulcère greffé

Qu'il s'agisse d'une greffe en pastille ou en filet, le pansement ne doit pas coller au greffon. Les interfaces, voire les tulles appliqués en plusieurs épaisseurs ou les hydrocellulaires, sont recommandées et doivent être laissées en place au moins 48 heures. Quant au site donneur, il peut recevoir un alginate dans un premier temps (propriétés hémostatiques) puis, dès que la plaie s'épidermise, un hydrocellulaire. « Face à ces situations délicates, les infirmiers ont en général un très bon sens clinique, mais ils ont parfois besoin de s'assurer que leur approche est pertinente », conclut le Dr Meaume. La multiplicité des pansements disponibles impose un effort d'information, voire de formation permanente. La Conférence annuelle des plaies et cicatrisations (5) et le "Journal des plaies et cicatrisations" (6) peuvent les aider à mettre leurs connaissances à jour. Toutefois, si maîtriser le soin local est important, ce n'est pas suffisant pour traiter un ulcère de jambe. Parce que les pansements les plus sophistiqués ne seront d'aucune efficacité s'ils ne sont pas associés à une contention comprise et portée. Une complémentarité à laquelle les infirmiers doivent veiller pour soigner et guérir les ulcères veineux.

(1) Source : Entretiens de Bichat (septembre 2003).

(2) Certains tulles et interfaces ne sont pas recommandés car ils sont allergisants. Il faut donc s'assurer de la neutralité de ces pansements avant toute utilisation.

(3) Ces pansements agiraient comme "booster" de la cicatrisation.

(4) La corticothérapie ne doit pas être utilisée au long court car un risque d'accoutumance est possible. Il faut donc l'utiliser à court terme et la relayer avec des crèmes hydratantes non allergisantes.

(5) La Conférence des plaies et cicatrisation se tient chaque année en janvier. En 2004, elle se tiendra exceptionnellement en été, dans le cadre de la 2e Conférence mondiale des plaies et cicatrisations, organisée du 8 au 13 juillet au Palais des Congrès de Paris.

(6) JPC, Tél. : 01 40 07 11 21, Fax : 01 40 07 10 94 (5 numéros par an, abonnement 25 Euro(s) pour les infirmiers).

2. Que faire face à une plaie trop bourgeonnante ?

Un avis médical s'impose pour différencier un hyperbourgeonnement bénin d'une dégénérescence cancéreuse. Un ulcère de jambe qui traîne et se met subitement à bourgeonner peut en effet traduire une dégénérescence cancéreuse relevant d'une prise en charge spécifique (biopsie, traitement chirurgical, traitement du cancer). Si la plaie est liée à un cancer incurable, le pansement revêt alors une fonction palliative. « Face à ces plaies souvent fibrineuses, malodorantes et dont les bourgeons saignent facilement, il n'est pas nécessaire d'être obsessionnel sur la détersion, indique le Dr Meaume. Il faut s'inquiéter avant tout du confort des patients et utiliser des alginates, voire des hydrogels si les pansements collent trop et des pansements au charbon qui permettent de contrôler les odeurs ».

Plus souvent, l'hyperbourgeonnement est bénin et lié à l'utilisation des hydrocolloïdes ou des hydrocellulaires. Le médecin prescrira des pansements à base de corticoïdes ou de nitrate d'argent en crayon. « Très douloureux, ce dernier ne s'utilise que sur des bourgeons très localisés, insiste le Dr Meaume. Sur un ulcère de jambe hyperbourgeonnant en nappe, l'utilisation durant quelques jours d'un corticotulle ou d'un tulle joint à des corticoïdes locaux (Diprosone® notamment) puis d'un interface permet de rétablir la situation et de terminer la cicatrisation ». Certains tulles ayant des mailles très larges, il faut les utiliser en plusieurs couches afin d'éviter que les bourgeons ne passent au travers, au risque d'être arrachés lors du changement de pansement.