Éviter les complications - L'Infirmière Libérale Magazine n° 189 du 01/01/2004 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 189 du 01/01/2004

 

Sites implantés

Formation continue

Prévenir

Largement utilisés pour des traitements de longue durée, les sites implantés apportent sécurité et confort. Mais ils présentent, comme tous les abords vasculaires, des risques de complication (infection, thrombose) qu'il appartient aux soignants de prévenir par des manipulations et un entretien rigoureux.

Les sites implantés ou chambres à cathéter implantables (CCI) sont des dispositifs intra-vasculaires centraux placés directement sous la peau pour permettre un accès cutané au cathéter et préserver ainsi le capital veineux périphérique. Largement utilisés pour des traitements itératifs et/ou de longue durée (plus de 3 mois) (cf. encadré 1), ils peuvent rester en place plusieurs années et permettre aux patients de vivre normalement en dehors des cures.

LE MATÉRIEL

Le dispositif est composé d'une chambre d'injection sous-cutanée comportant une membrane en silicone (septum) et un cathéter souple en silicone ou en polyuréthane (1) raccordé à la chambre par l'intermédiaire d'une petite bague sensible aux surpressions. C'est la raison pour laquelle il est important d'utiliser des seringues dont le volume est supérieur ou égal à 10 ml. En effet, des seringues de faible volume génèrent des pressions fortes à l'injection, susceptibles de faire sauter la bague de raccordement et d'entraîner la migration du cathéter dans la circulation. Dans 95 % des cas, l'extrémité distale du cathéter est placée dans la veine cave supérieure. Idéalement, elle doit être positionnée à la jonction entre la veine cave et l'oreillette droite. Sa position doit être vérifiée radiologiquement par l'équipe chargée de poser le dispositif.

L'ACCÈS AU DISPOSITIF

Le septum permet d'effectuer jusqu'à 1500 ponctions. Celles-ci doivent être réalisées à l'aide d'aiguilles à pointe de Huber. Ces aiguilles ont un biseau tangentiel qui évite le carottage du silicone lors de la ponction, préserve l'intégrité du septum et garantit l'étanchéité du dispositif. Elles doivent être de petit calibre (21 ou 22 G) pour les perfusions standard, les produits de chimiothérapie, l'héparinisation et les rinçages, les calibres plus importants (19 G) étant réservés aux dérivés sanguins et à l'administration de produits ayant des débits importants (nutrition parentérale par exemple). La longueur de l'aiguille doit être choisie en fonction de l'âge et de la corpulence du patient.

À domicile, les infirmiers disposent de sets de pansements spécifiques pour les chambres implantables. « Il est important que la prescription médicale soit précise, explique Pascale Revereau, infirmière libérale à Chelles (77), car seuls les sets pour CCI disposent d'aiguilles de Huber et il peut être dommageable au patient (retard des soins) et à l'infirmier (perte de temps pour se procurer le matériel adapté) de se retrouver au moment des soins avec des sets qui ne comportent pas les bonnes aiguilles (sets pour pansement de cathéters centraux par exemple)». La prescription médicale doit donc être détaillée, en différenciant bien le matériel ("set à pose de perfusion dans une chambre implantable") des soins de réfection de pansement, avec ou sans héparinisation.

L'utilisation de sets préconditionnés permet d'utiliser et d'entretenir le dispositif dans des conditions de sécurité optimales pour le patient et le soignant. Car ces dispositifs présentent comme tous les abords vasculaires, des risques de complications infectieuses, thrombotiques et mécaniques possiblement liées au matériel, à la technique de pose (cf. encadré 2) mais aussi aux soins, domaine dans lequel il revient aux soignants de mettre en oeuvre les mesures de prévention appropriées.

PRÉVENIR LE RISQUE INFECTIEUX

« Le principal risque de contamination des dispositifs intravasculaires centraux est lié à l'accès au système, les ponctions de la chambre pouvant entraîner une migration des germes par voie transcutanée, explique Catherine Bussy, cadre infirmier hygiéniste (Institut Gustave-Roussy, Villejuif). Les complications infectieuses qui en résultent peuvent être loco-régionales (abcès de la loge sous-cutanée) ou disséminées (septicémie). La prévention de ce risque passe par le respect des mesures d'asepsie et la qualité des manipulations ». Des mesures tellement évidentes qu'elles finissent parfois par être banalisées au point d'être négligées. Raison pour laquelle il n'est pas inutile de rappeler que l'accès à une CCI impose de respecter les consignes suivantes :

-> lavage des mains et des avant-bras sans bague ni bracelet à l'aide d'un savon ou d'une solution désinfectante. À domicile, les solutions hydro-alcooliques constituent une alternative de choix lorsque l'environnement du domicile ne permet pas un lavage des mains correct ;

-> port d'un masque indispensable pour l'infirmier, qui jugera en fonction du contexte (état général du patient, patient coopératif ou non...) de l'utilité de faire porter un masque au patient ou de lui faire simplement tourner la tête durant le soin ;

-> port d'une charlotte, voire d'une casaque pour les patients immunodéprimés sévères. À noter : les sets actuellement disponibles à domicile ne contiennent pas de casaque. Dans ce cas, il peut être intéressant de savoir que certains prestataires (Homeperf, notamment), fournissent gratuitement le matériel supplémentaire nécessaire aux soins ;

-> double antisepsie de la peau tout d'abord à mains nues puis avec des gants stériles. L'antiseptique recommandé est soit la chlorhexidine en solution alcoolique (Hibitane®), soit la polyvidone iodée (Bétadine®). Les récents travaux publiés montrent une supériorité d'action de la chorexhidine sur la polyvidone iodée (2). Toutefois, selon les résultats préliminaires d'études n'ayant pas encore fait l'objet de publication, la bétadine alcoolique serait équivalente à la chlorhexidine.

L'autre source de contamination infectieuse concerne les manipulations des lignes veineuses. Ces manipulations doivent être réduites au maximum (éviter d'ouvrir et de fermer le système en permanence) et réalisées après un lavage antiseptique des mains. Robinet, rampe et tubulure doivent être manipulés avec des compresses stériles imprégnées d'antiseptique. En aucun cas le dispositif ne doit rester muni d'un prolongateur s'il n'est pas perfusé. De même, les tubulures doivent être immédiatement changées en cas de dépôt ou de reflux de sang et après toute administration de produits sanguins labiles ou de solutés lipidiques (nutrition parentérale).

Hormis ces cas, dès lors que le circuit est correctement verrouillé et son utilisation optimisée par une gestuelle et une organisation réfléchies, le changement des tubulures et annexes (robinet, rampe de perfusion) peut être réalisé toutes les 72 heures. Enfin, à domicile, il est impossible d'exclure le risque de contamination par le patient lui-même. Celui-ci peut en effet être conduit à pratiquer certains gestes à risque (arrêt d'une perfusion, rinçage, retrait de l'aiguille du site, pansement) qui impliquent, à titre préventif, de s'assurer que ces gestes sont maîtrisés et le cas échéant, de parfaire leur apprentissage.

PRÉVENIR LES COMPLICATIONS MÉCANIQUES

Lorsque l'hygiène est parfaite, le patient peut néanmoins être exposé à des risques en rapport avec l'utilisation du dispositif. Des douleurs et des lésions locales peuvent en effet être dues à des ponctions répétées au même endroit, voire à des micro-nécroses consécutives à la mise en contact de gouttes de chimiothérapie avec la peau lors du retrait de l'aiguille. Pour éviter ces risques, il suffit de prendre soin de changer de point de ponction en bougeant la peau située en regard de la chambre avant d'introduire l'aiguille dans le septum.

Il est également très important d'introduire l'aiguille perpendiculairement à la peau et de veiller à ce qu'elle touche le fond du dispositif, afin de libérer complètement le biseau. Si l'on ne prend pas cette précaution, le biseau étant tangentiel, il peut rester complètement inclus dans le septum. Aucun reflux ni débit ne peut alors être obtenu. L'infirmier se trouve donc dans l'incapacité de vérifier la perméabilité du dispositif. Or, il s'agit d'un préalable indispensable à toute perfusion, particulièrement lorsqu'il est question de perfuser des produits cytotoxiques présentant un risque de nécrose cutanée en cas d'extravasation. Par conséquent, si l'aiguille est correctement positionnée dans la chambre mais que le sang ne reflue pas, il faut, avant de conclure à une obstruction, vérifier impérativement la perméabilité du dispositif avec du sérum physiologique. En effet, certains types de matériels refluent naturellement peu, ce qui impose de réaliser cette manoeuvre préalable. En l'absence d'épanchement sous-cutané révélant une extravasation, la perfusion à visée thérapeutique peut être réalisée.

Par contre, si le système n'est pas perméable, il est important de ne pas forcer. Car une injection sous pression dans un système obstrué peut entraîner la désunion du raccord entre le site et le cathéter ou la rupture du cathéter et sa migration dans la circulation. Il en résulte l'injection extra-vasculaire du traitement et, en fonction de sa toxicité (les solutés cytotoxiques ou hyperosmolaires présentent un risque majeur), de probables complications (irritations, nécroses sévères). Les premiers signes de ces complications (douleur, rougeur, oedème, épanchement sous-cutané) doivent immédiatement entraîner l'arrêt de la perfusion, après avoir ré-aspiré le maximum de produit, et le transfert du patient à l'hôpital, afin que soit mis en oeuvre en urgence un traitement chirurgical par aspiration et lavage. Les études récentes prises en compte par l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) (3) montrent que la technique d'aspiration, associée au lavage abondant (500 ml à 2 l de sérum physiologique) effectuée dans les 6 à 8 heures, permet d'obtenir une guérison presque totale en l'absence de séquelles iatrogènes.

PRÉVENIR LES COMPLICATIONS THROMBO-EMBOLIQUES

Un cathéter qui n'a pas de reflux ou que l'on ne peut pas perfuser signifie qu'il existe un obstacle au niveau de la veine (thrombose veineuse) (4), du cathéter ou de la chambre (thrombose du dispositif). Cette complication survient dans 2 à 5 % des cas, selon les études. Elle peut être due à un thrombus, à des précipités d'origine minérale ou médicamenteuse ou à des dépôts lipidiques. « En première intention, indique le Dr Eric Déruennes (IGR, Villejuif), si la manipulation de l'aiguille n'a pas fait céder le problème, il est nécessaire de visionner la radio de contrôle réalisée lors de la pose. Car, dans un cas sur deux il s'agit d'un cathéter trop court, trop long ou coudé en sortie de chambre qui, associé à des rinçages insuffisants, a favorisé la formation d'un thrombus ». Dans cette situation, un rinçage abondant du cathéter au sérum physiologique n'est jamais délétère et permet parfois de débloquer la situation. Si tel n'est pas le cas, le patient doit être envoyé à l'hôpital où, après opacification du cathéter et visualisation du manchon de fibrine, un traitement fibrinolytique est mis en place. L'urokinase ®, aujourd'hui retirée du marché, a été remplacée par l'Actilyse ® et la Streptase ® qui, laissées au contact du bouchon de fibrine durant une à deux heures permettent, après aspiration, de déboucher le dispositif dans 80 % des cas.

« Ce geste, encore non accessible aux infirmiers libéraux, pourrait, si les discussions en cours aboutissent quant à l'élargissement des actes délégués aux infirmiers, figurer à l'avenir au rang des soins réalisables à domicile sous contrôle médical », indiquait en septembre dernier, le Pr Guy Leverger (hôpital Armand Trousseau, Paris) à l'occasion des Entretiens de Bichat. Cela dit, quand bien même il serait légitime que les libéraux puissent réaliser ce soin, il paraît encore plus logique qu'ils oeuvrent en amont à en prévenir la cause. Car dès lors que le cathéter est correctement posé, le seul moyen de prévenir la formation d'un thrombus consiste à pratiquer des rinçages abondants après chaque drogue ou nutrition parentérale. L'ANAES indique à ce titre que « le rinçage avec du sérum physiologique est aussi efficace et moins contraignant que le sérum hépariné traditionnellement employé et préconisé ».

En tout état de cause, conformément à la circulaire DH/EM 1 96-6225 du 28 octobre 1996, et quelles que soient les conditions d'utilisation choisies, celles-ci doivent être rapportées dans le carnet de surveillance remis au patient lors de l'installation du dispositif. Outil de liaison et d'information réciproque entre les équipes hospitalières et les équipes libérales, ce carnet, au-delà de la traçabilité des actes réalisés sur la CCI, constituent un document ressource quant aux précautions essentielles à respecter lors du l'utilisation du dispositif. À ce titre, il participe aussi à la prévention des risques associés à leurs manipulations.

(1) L'ensemble du dispositif (chambre + cathéter) représente un volume équivalent à 1,5 ml, contenance à respecter pour réaliser un verrou antibiotique.

(2) Source : Entretiens de Bichat, intervention du Dr C. Brun Buisson (hôpital Henri Mondor, Créteil).

(3) "Évaluation de la qualité de l'utilisation et de la surveillance des chambres à cathéter implantables", ANAES, décembre 2000.

(4) Certains cancers (poumon, estomac, pancréas en particulier) sont particulièrement thrombogènes. De même certaines tumeurs volumineuses peuvent comprimer les veines d'accès du cathéter, justifiant parfois l'indication de cathéter fémoral.

1. Indications thérapeutiques de pose d'une CCI

- Chimiothérapie anticancéreuse

- Nutrition parentérale

- Antibiothérapie au long cours des malades immunodéprimés ou atteints de mucoviscidose

- Traitement antiviral et antifongique (patients atteints de sida)

- Traitement vasodilatateur et antiagrégant plaquettaire pour les malades atteints d'hypertension artérielle pulmonaire primitive

- Traitement de maladies du sang congénitales ou acquises nécessitant des transfusions répétées

- Traitement de la douleur en cas d'impossibilité de poursuivre le traitement par voie orale

- Hémodialyse dans certains cas particuliers

Source : "Évaluation de la qualité de l'utilisation et de la surveillance des chambres à cathéter implantables", ANAES, décembre 2000.

2. Les autres complications mécaniques des CCI

Les manipulations sur CCI ne sont pas seules responsables des complications mécaniques observées sur ces dispositifs. Le matériel mais aussi la technique de pose des CCI peuvent également être à l'origine d'ulcérations cutanées, d'extravasation et d'embolies de cathéter. « C'est notamment le cas, explique le Dr Marie Cécile Douard (Hôpital Saint Louis, Paris) lorsque le boîtier de la chambre est trop proéminent, mal profilé ou fabriqué dans des matériaux qui vieillissent mal (certains polyuréthanes deviennent rigides et certains silicones poreux) ou lorsque la connection boîtier/cathéter est mal conçue, voire mal réalisée par le chirurgie ». De même, la technique de pose peut être à l'origine du syndrome de la pince costo-claviculaire (pinch off) : il traduit par la compression puis la rupture du cathéter lorsque celui-ci est implanté par voie sous-clavière, entre la clavicule et la première côte. Ce syndrome ne devrait plus se voir car les recommandations officielles (1) contre-indiquent le positionnement sous-clavier du cathéter. Si la prévention primaire de ce risque relève en premier lieu des chirurgiens (la pose de ces dispositifs doit être réalisée dans des centres de référence expérimentés), il appartient aux infirmiers de s'assurer, lors de la prise en charge à domicile, qu'une radiographie de contrôle a été faite permettant de visualiser le parcours et l'état du cathéter. De même, si le reflux ou le débit ne sont possibles que dans certaines positions, il y a fort à craindre que le cathéter soit pincé, ce qui justifie la demande d'un contrôle radiologique immédiat. À ce titre, il est important de savoir que l'association de signes cliniques (douleur, reflux et débit positionnel) et radiologiques (encoche, rétrécissement, section partielle du cathéter) signifie une rupture du cathéter - dans 50 % des cas - possiblement responsable de troubles du rythme, d'extravasation, de complications thrombo-emboliques, voire du décès du patient.

(1) Circulaires DH/EM de 1996 relatives à la sécurité des dispositifs médicaux.