L'argent des réseaux - L'Infirmière Libérale Magazine n° 189 du 01/01/2004 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 189 du 01/01/2004

 

Initiatives en réseau

Les réseaux permettent-ils de réelles économies ? Sont-ils un paravent pour obtenir des subventions là où c'est impossible autrement ? Autant de questions qu'il faut aborder en étudiant, depuis sa source jusqu'à son évaluation, l'argent des réseaux.

Les réseaux prennent une part croissante dans l'économie de notre système de soins, comme en témoigne, depuis la loi du 4 mars 2002, l'enveloppe spéciale créée pour eux au sein de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). La Dotation nationale des réseaux (DNDR), puisqu'il s'agit d'elle, n'a pas pour autant le monopole du financement. En fait, elle est censée simplifier, à terme, le circuit économique très complexe des réseaux.

DES SOURCES DE FINANCEMENT DIVERSES

La réglementation n'impose aux réseaux aucune forme juridique. Dans la loi du 4 mars 2002, la définition du réseau repose d'une part sur des objectifs et d'autre part sur des partenaires.

-Les objectifs du réseau : « favoriser l'accès aux soins, la coordination, la continuité ou l'interdisciplinarité des prises en charge sanitaires, notamment de celles qui sont spécifiques à certaines populations, pathologies ou activités sanitaires ».

- Les partenaires du réseau : ce sont « les professionnels de santé libéraux, les médecins du travail, des établissements de santé, des centres de santé, des institutions sociales ou médico-sociales et des organisations à vocation sanitaire ou sociale, ainsi que des représentants des usagers ».

- L'origine des fonds sera en fait dépendante de la forme du réseau (a priori à but non lucratif)... et des moyens de persuasion de ses promoteurs. Par ailleurs, il faut savoir que les subsides ne prennent pas toujours une forme monétaire. Il peut s'agir de mises à disposition de locaux, de fourniture de matériel, d'organisation de formations, etc.

- Les grandes sources de financement :

-> le redéploiement de moyens hospitaliers dans le cadre de la dotation globale (mise à disposition de personnels par exemple),

->les subventions directes de l'Agence régionale d'hospitalisation (ARH),

->les aides offertes par des institutions publiques (les collectivités locales - communes, conseil général, régional -, les institutions européennes),

->la participation de partenaires privés (assureurs, laboratoires, industriels, via éventuellement des fondations).

- Surtout, deux grandes sources de financement se relayent depuis 2002, pour établir la colonne vertébrale financière du réseau : il s'agit du Fonds d'aide à la qualité des soins de ville (FAQSV) et de la DNDR (voir encadré).

Jusque-là, certains réseaux devaient financer une partie de leurs actions sur la partie hospitalière du réseau, et monter une association pour faire financer par le FAQSV la partie concernant la ville. « Le statut mixte ville-hôpital interdit au réseau de se placer dans l'une ou l'autre catégorie. Il faut donc monter un nouveau dossier de financement pour chaque projet. Cette gestion lourde et complexe est étrangère à l'exercice des professionnels de santé », expliquait alors un promoteur. En attendant le décloisonnement des subventions, les réseaux - souvent sous forme d'association - se sont débrouillés avec les moyens du bord. Ainsi à Resalis, les financements venaient à la fois du FAQSV, de la CPAM de l'Eure, et d'un laboratoire. « En outre, la mairie d'Evreux finance le local du centre du souffle, l'Etat finance deux salariés du réseau en emploi-jeune, et le Conseil régional a subventionné une partie du matériel d'information », complète un membre du réseau.

UN CIRCUIT ÉCONOMIQUE COMPLEXE

L'argent des réseaux ne circule donc pas de la façon la plus simple, les sources étant hétérogènes et les moyens prenant des formes diverses (financiers ou en nature). Les grands postes de dépenses restent toujours les mêmes :

->le personnel : les salaires (coordinateur, secrétaire, paramédicaux), charges et indemnisations ;

->l'investissement de départ : les installations techniques, le matériel informatique, le système d'information (par exemple la mise en place d'un dossier partagé) ;

->le fonctionnement : les charges locatives, la logistique, les frais de communication, d'études, de recherche ;

->les prestations externes, comme l'évaluation par un organisme indépendant.

Ces diverses dépenses sont assurées soit par le réseau (qui puise alors dans ses fonds propres), soit directement par un de ses financeurs (par exemple le salaire d'une personne mise à disposition, ou l'organisation d'une session de formation par un laboratoire). Par ailleurs, les financements publics sont soumis à certaines conditions : « Avec le FAQSV, on ne finance pas de gros investissements comme le matériel médical, l'achat d'une voiture ou d'un local », explique Stéphanie Chapuis, chargée de mission à l'Urcam Ile-de- France. De manière plus générale, le FASQV ne finance pas de soin, donc pas de dérogation tarifaire, ni d'honoraire : il financera « le salaire d'un psychologue pour un travail de coordination et de soutien aux professionnels », et il sera « hors de question de payer des honoraires à un psychologue qui suivra les patients en soins palliatifs ». Mais « en revanche, la DNDR le fait », précise Stéphanie Chapuis.

En effet, dans le cadre de la Dotation nationale (ou régionale) des réseaux, et après agrément conjoint de l'ARH et de l'Urcam, il est possible que le réseau finance des soins qui échappent d'habitude à la prise en charge de l'assurance maladie. Il s'agira par exemple d'un remboursement à 100 % pour un patient, ou encore du financement exceptionnel d'un acte (par exemple un acte de podologie en diabétologie). Cela peut être aussi la rémunération d'une prestation à un professionnel de santé, par exemple des actes de coordination (sous forme de forfait), ou encore la surcotation d'une consultation particulière (avec éducation du patient, par exemple), ou bien un acte dérogatoire (consultation de prévention). Dans ces cas-là, la somme en question sera soit directement versée au professionnel de santé ou au patient, soit gérée par une caisse pivot qui versera l'argent au réseau, lequel fera le lien avec le professionnel ou le patient.

APPRENDRE À GÉRER UN BUDGET

« Évidemment, les bénévoles du réseau ne sont pas toujours doués pour la gestion », avoue Isabelle Béraud-Chaulet, infirmière libérale et ancienne trésorière d'un réseau. « Souvent, nous conseillons de prévoir un cadre administratif pour s'occuper du suivi du projet et de toute sa gestion au quotidien. C'est souvent la clef du succès, sinon on n'arrive pas à pérenniser le système », commente Stéphanie Chapuis. De fait, le réseau fonctionne comme une véritable entreprise : il faut établir un budget, gérer les entrées et les sorties d'argent, assurer la transparence, ce qui n'est pas toujours évident - surtout pour des professionnels de santé qui n'ont pas reçu de formation en gestion. D'autant que les financeurs, tout comme les acteurs et les bénéficiaires, sont répartis aux quatre coins de la région...

C'est pourquoi un organisme comme le Faqsv attribue ses subventions par étapes, pendant un an. « Avant chaque versement, en général au nombre de trois, on demande un bilan d'étape avec un certain nombre d'indicateurs. Les réseaux doivent donner un état des dépenses, avec un expert comptable, et on vérifie qu'ils respectent les lignes budgétaires fixées par la convention de départ », explique Stéphanie Chapuis. Idem pour la dotation régionale, comme le confirme Isabelle de Turenne (Cap-Réseaux Rhône-Alpes) : « Un bilan d'activité annuel du réseau sera demandé, et au bout de trois ans une évaluation sera faite. »

Selon Philippe Chossegros (CHU de Lyon), président de la Coordination nationale des réseaux (CNR), il y aujourd'hui « énormément de réseaux qui se mettent en place pour des raisons de politique économique. Les moyens financiers de l'hôpital dans un certain nombre de secteurs sont tributaires de l'engagement réseaux ».

Ainsi, dès le départ, l'aspect économique peut prendre le pas sur la dimension de soins, dans un contexte de pénurie de l'offre à tous les niveaux. Par ailleurs, certains réseaux enregistrent des dérapages dans la gestion interne. Au point qu'une infirmière et un médecin, respectivement présidente et trésorier d'un réseau, ont démissionné de concert après avoir constaté leur incapacité à enrayer les dérives budgétaires et l'absence de contrôle extérieur sur les dépenses du réseau.

Pour éviter ce genre de dérive, et de manière générale parce que les dépenses publiques doivent se faire sous contrôle, les textes qui mettent en place la DNDR imposent aussi des outils d'évaluation.

QUELLE ÉVALUATION ?

« Le budget de l'évaluation du réseau doit représenter à peu près 10 à 15 % du budget global du réseau », rappelle Stéphanie Chapuis. À la Cnamts, on avoue qu'il est « plus facile d'avoir une visibilité sur la satisfaction que sur l'aspect économique ». Si les réseaux Soubie (mis en place dans les années 1990) commencent à montrer leurs résultats, on ne peut faire que des suppositions sur leurs retombées économiques : « On voit bien que certains réseaux apportent une amélioration en termes de qualité des soins, de satisfaction, mais c'est difficile à chiffrer, commente un porte-parole de la Cnamts. En fait tout ça reste complètement à démontrer ».

Comment évaluer les résultats d'un réseau, structure complexe par excellence ? Dans les dossiers promoteurs, il existe désormais un descriptif du dispositif d'évaluation. On demande aux membres du réseau de réaliser une évaluation" en routine" durant toute la vie du réseau, à partir de tableaux de bord. Par ailleurs, à chaque demande ou renouvellement de subvention, il est prévu une évaluation finale, permettant de voir si les objectifs définis au départ ont bien été remplis suivant le calendrier prévu.

Cette évaluation porte sur des objectifs opérationnels (évaulation médicale, organisationnelle, de qualité) et sur des actions (citées dans le tableau de bord). Un responsable évaluation est nommé en interne, et travaille en partenariat avec un organisme d'évaluation externe. Objectifs et actions doivent être inclus dans un échéancier et associés à des indicateurs de suivi (par exemple, le nombre de patients inclus dans le réseau, le taux de réhospitalisation, la mise en place et l'application des protocoles, le nombre de professionnels formés, les ratios de satisfaction des patients, etc.). L'évaluation économique est incluse dans ce dispositif : on évalue le coût des actions, les économies éventuellement réalisées, que l'on met en balance avec les résultats en terme de qualité des soins et de satisfaction.

Pour mieux contrôler le dispositif, les Urcam et les URML sont en train de travailler sur un projet d'évaluation des réseaux avec l'appui méthodologique de l'ANAES. Quatre régions-pilote serviront d'expérimentation : d'abord afin d'élaborer un guide d'autoévaluation, puis à terme un manuel d'accréditation des réseaux de santé.

Inévitablement, l'augmentation des fonds attribués aux réseaux va de pair avec un contrôle accru de l'Etat et de l'assurance maladie, qui s'accentuera lorsque de nombreux réseaux, poussés par l'ordonnance du 4 septembre 2003, se constitueront en Groupements de coopération sanitaire (GCS).

Les dispositifs légaux de financement depuis le 4 mars 2002

- Le Fonds d'aide à la qualité des soins de ville (FAQSV) :

- Il existe depuis octobre 2000 ;

- Il s'agit d'un financement interrégime ;

- Il est destiné exclusivement aux professionnels de santé exerçant en ville ;

- Il permet (entre autres) le financement de réseaux, à l'exclusion de toute dérogation tarifaire ;

- Son montant par action est limité au niveau régional (762 245 euros) ;

- Il est limité dans le temps (le fonds disparaîtra avec l'année 2006) ;

- La subvention est attribuée par le bureau du FAQSV ;

- Le montant prévu pour 2004 : 106 millions d'euros, selon le PLFSS 2004.

- La Dotation nationale des réseaux (DNDR), déclinée en dotations régionales :

- Il existe depuis décembre 2002 ;

- C'est la cinquième enveloppe de l'Ondam ;

- Elle est destinée aux professionnels de santé libéraux, médecins du travail, établissements de santé, centres de santé, institutions sociales ou médico-sociales et organismes à vocation sanitaire ou sociale ;

- Elle permet le financement de réseaux, y compris des dérogations tarifaires ;

- Son montant par action est non limité ;

- Il s'agit d'un financement "pérenne" (décision sur trois ans, renouvelable) ;

- La subvention est attribuée sur décision conjointe du directeur de l'Urcam et de l'ARH ;

- Le montant prévu pour 2004 : de l'ordre de 125 millions d'euros, selon une source de la Cnamts.

N.B : Les promoteurs de réseaux sont encouragés à ne pas financer plus 80 % de leurs dépenses par le FAQSV ou la DNDR (ou DRDR), afin de conserver une part d'au moins 20 % de" financements relais".