Un quintet chartrain... qui travaille à l'unisson - L'Infirmière Libérale Magazine n° 189 du 01/01/2004 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 189 du 01/01/2004

 

Exercice particulier

Jeune et motivée, une équipe d'infirmiers libéraux a su créer à Chartres un univers de travail harmonieux, tout en privilégiant vie de famille et temps libre. Leur clientèle est importante, fidélisée par le dynamisme d'une équipe cohérente qui va résolument de l'avant.

Chartres, petite ville de 43 000 habitants, préfecture de l'Eure-et-Loir. Un cabinet minuscule dans une cour fleurie. C'est au coeur de la vieille ville que cette équipe s'est formée - et agrandie - au fil des ans pour réussir un parfait maillage de la ville. Les tournées s'organisent de mieux en mieux depuis que le cabinet compte cinq membres. Tous âgés de 33 à 40 ans, ils ont les mêmes préoccupations familiales. Ils ont aussi les mêmes exigences quant à la qualité de vie et la qualité de travail.

Leur volonté est de contourner les problèmes actuels de l'hôpital, les roulements et les horaires changeants, l'absentéisme grandissant et surtout le manque de temps chronique pour les contacts avec les patients et les familles. L'équipe fait volontiers partager les détails de son aventure. Chacun se présente, parle de son parcours, évoque ses difficultés, ses motivations pour passer au libéral. Petit à petit le groupe s'est créé, l'unité a pris forme.

Une solide organisation

Sur le plan administratif, la forme juridique du cabinet est une société civile de moyens (SCM). Les trois premières associées - Sophie Le Clainche, Sophie Goret et Magalie Lhémeray - ont mis en commun la gestion du cabinet, l'achat de matériel et divers frais de fonctionnement. Quant aux deux derniers - Éric Coutard et Bérangère Collonge -, ils sont collaborateurs de la SCM, bénéficient de la clientèle et lui reversent 10 % de leurs revenus.

Pour les trois premières infirmières, le cycle de rotation est établi sur trois semaines, en travaillant le matin :

-> une semaine aux soins dits propres (pansements, injections, chimiothérapies...) avec 25 à 30 patients, soit environ 7 heures de travail par jour, du lundi au vendredi ;

-> le week-end, un programme moins chargé que durant la semaine avec 1 heure de soins et 5 heures de toilettes ;

-> la seconde semaine, visites aux patients chroniques (toilettes, nursing et soins de confort) avec 10 à 12 patients, environ 6 heures de travail par jour du lundi au vendredi.

Exemple de planning

Deux tournées distinctes ont été établies pour varier le travail, suivies d'une semaine de repos. Ces emplois du temps décalés permettent à cette équipe de travailler dans de bonnes conditions et de "souffler" vraiment neuf jours toutes les trois semaines. Un total d'environ 77 heures en 12 jours, auxquelles il faut ajouter une heure par jour pour l'administratif.

Pour Bérangère et Éric, c'est une alternance d'une semaine de soins (4 heures le matin et entre 15 et 19 h) et d'une semaine de repos. Sur leur secteur, ils suivent 25 à 30 patients par jour. En soirée, ils voient 4 à 5 patients au cabinet sur rendez-vous.

De 60 à 75 patients sont vus quotidiennement par les trois membres de l'équipe qui travaillent (les deux autres étant en repos). Deux lignes téléphoniques leur permettent de travailler plus souplement sans secrétariat : les lignes sont alternativement renvoyées sur les portables de chacun.

Pas de routine

Le cycle de travail est établi de telle sorte que l'équipe entière voie tous les patients de semaine en semaine. C'est un "contrat" passé d'emblée avec les nouveaux patients. Un peu surpris au départ, ceux-ci se familiarisent vite avec chaque membre de l'équipe. C'est le cas tout particulièrement des patients chroniques, pour lesquels c'est chaque semaine un autre visage, une nouvelle approche des soins et un discours différent. De son côté l'équipe garde un oeil neuf pour juger de l'évolution dans les cicatrisations et ne ressent pas de lassitude après sept jours de soins consécutifs. Cette organisation est positive pour tous.

Les transmissions orales ont lieu une fois par semaine : état des patients, évolution des plaies, changements de traitements ou de protocoles de soins et échanges divers.

Au domicile des patients chroniques, il y a un cahier de transmissions pour les soins d'hygiène, qui sert aussi bien à l'aide ménagère qu'au médecin traitant en visite. Y sont notées des remarques telles que « faire boire, talons à surveiller » ou la survenue d'une diarrhée... Une information qui pourra être prise en compte par l'aide ménagère lors de la préparation des repas. La comptabilité et les tâches administratives (ententes préalables, cotations diverses, différends à régler avec la CPAM...) sont gérées à tour de rôle par chacun des membres de l'équipe. En cas d'absence de l'un ou de l'autre (voire pour remplacer des collègues d'autres cabinets chartrains), c'est la cohésion de l'équipe qui lui permet de faire face à l'imprévu "au pied levé". Cette flexibilité est alors placée au bénéfice de tous.

Priorité numéro un : gérer le temps

Le groupe tourne rond. Son organisation est parfaitement huilée. Les éventuels grains de sable sont vite éliminés. Pour Éric Coutard, « avec cette organisation-là, il faut rester vigilant sur le planning et parfois savoir rester ferme devant certaines exigences des patients, notamment pour les horaires des visites, sinon cela désorganise tout ! »

Magalie Lhémeray confirme : « Retourner plusieurs fois chez un patient absent, cela n'arrive pas souvent... Mais la troisième fois que cela se produit, on ne vient plus, et les gens s'autodisciplinent. Un respect mutuel s'instaure entre les patients et nous, et cela permet de bien vivre le quotidien ».

Le débordement professionnel des libérales est en effet encore trop fréquent. « On voit encore des infirmières qui ne vivent que pour leur boulot et s'oublient tellement elles-mêmes qu'elles vont au-delà de leurs limites, poursuit Sophie Goret. Le "sacrifice de soi" amène directement à la perte des patients par engorgement, avec une vie de famille saccagée. On ne doit pas être esclave du métier. Chez nous, pas de vieux restes de "cornette", on gère bien notre travail et on aime ce que l'on fait, nos patients s'y retrouvent, et en plus on a du temps pour les enfants, pour faire du sport ! »

Et c'est justement grâce à cette gestion pointue du temps que l'équipe augmente sa capacité d'écoute. Pour Sophie Le Clainche, « travailler en libéral permet de voir le patient dans son cadre de vie, avec toute sa richesse. Autant l'hôpital dénature totalement ce côté, autant les visites à domicile redonnent au patient toute sa singularité ». De ce côté-là, justement, les relations sont excellentes. Pour les patients suivis depuis de longues années, les soins de routine se sont vite transformés en visites amicales. Et, comme le dit Magalie Lhémeray, « une bonne organisation permet un travail intéressant, on peut vraiment prendre le temps de parler aux patients, de les aider, de les renseigner sur tout autre chose parfois. Les échanges sont extrêmement riches ». Un enrichissement professionnel et personnel.

L'informatique n'est pas utilisée pour le moment. L'équipe va devoir se former à la télétransmission vers la Sécurité sociale afin d'accélérer les règlements et de diminuer la masse de papiers. Une formation à l'outil informatique peut leur être offerte par les constructeurs de logiciels. De son côté, la Sécurité sociale forme les infirmières à la télétransmission. Pour le quintet chartrain, équipement et formation sont des projets à très court terme.

Des supports de travail en pleine évolution

Récemment, toute l'équipe a été formée à l'administration des chimiothérapies (sept jours de formation). Un médecin oncologue a développé - via une clinique de Chartres - la chimiothérapie à domicile, ce qui a motivé de nombreux cabinets infirmiers à se former. « Les patients reçoivent à la maison leur traitement en toute sécurité, on passe plusieurs fois par jour et on reste toujours joignable en cas de besoin. Cela leur change la vie avec bien moins de fatigue et de stress », constate Bérangère Collonge.

Également en prévision : une formation à la démarche de soins infirmiers (DSI), qui va devenir indispensable pour la prise en charge du patient. L'équipe s'organise pour tourner afin que tous assistent successivement aux formations. Mais, pour la pratique des soins courants, ce sont sans doute les laboratoires pharmaceutiques qui participent le plus à leur formation. Les cabinets infirmiers de la ville sont invités à des présentations qui leur apportent connaissances et nouvelles techniques.

Objectif : garder les patients chez eux

Faire le maximum pour maintenir les patients âgés le plus longtemps possible chez eux est un travail de fond, établi à long terme. Cela passe par de multiples petits "riens" qui aident au quotidien à mieux vivre la venue de l'âge et/ou la perte de la mobilité. Même si l'équipe travaille en partenariat avec des aide-soignantes (salariées du service municipal d'aide aux personnes âgées), elle accepte toujours d'effectuer les toilettes, parfois de manière impromptue. Dans le vieux Chartres, ce sont plus particulièrement des soins à des personnes seules, la plupart assez âgées et pour lesquelles la visite de l'infirmier(ère) est souvent la seule de la journée (cf. encadré "Deux patientes chartraines inconditionnelles de leur équipe infirmière").

L'homogénéité des pratiques de soins, des matériels et du mode d'organisation permet d'optimiser la qualité des soins dispensés. « Quand on a un problème de cicatrisation, une absence d'évolution ou la dégradation d'une plaie, on fait appel aux laboratoires pharmaceutiques. Ils se déplacent, viennent même voir les patients, on essaie leurs propositions et on a de bons résultats ! C'est assez valorisant, non ? », commente Sophie Goret.

« Les microstructures libérales (une à deux infirmières) isolées travaillent très différemment. Les gros cabinets libéraux ont un avenir plus serein, estime Sophie Le Clainche. Pour les nouveaux arrivants sur ce secteur, faire partie d'un groupement avec une organisation cohérente offre une sécurité pour tout le monde. La mise en route est plus aisée, moins d'échecs et l'équipe "se tient" d'autant mieux que l'intégration s'est bien passée. Travailler en groupe c'est le repos de l'esprit : grippe ou pépin, on n'est pas tout seul, l'organisation n'est pas en péril, on ne reste pas sans ressource. Pour ma part, plus je travaille (prends de la bouteille ?), mieux je m'organise, plus j'ai de temps libre et plus j'ai de plaisir à travailler ».

Continuer à bouger

Les idées ne manquent pas pour faire évoluer la profession. Par exemple pour améliorer la prise en charge d'un patient qui devient grabataire : « C'est un vrai problème, on ne peut plus s'en occuper. Avec une structure adaptée, on pourrait éviter que le patient se retrouve à l'hôpital, en maison de retraite ou dans un établissement médicalisé avec souvent des tarifs prohibitifs pour le patient et sa famille », continue Sophie Le Clainche.

« Une solution serait peut-être de travailler avec des aide-soignantes (AS) à domicile, ce qui implique une reconnaissance par un diplôme d'AS et non le seul certificat d'aptitude actuel, poursuit-elle. Les cotations devraient être revues "en collaboration avec une infirmière". La présence d'une auxiliaire de vie et la participation de la famille pourraient rendre le projet réalisable. Avec le maintien du patient à son domicile dans ces conditions, on peut penser que les structures de santé verraient leur charge considérablement allégée. C'est peut-être la solution d'avenir pour notre population vieillissante. »

Deux patientes chartraines inconditionnelles de leur équipe infirmière

Joëlle Guiot, 55 ans, nous reçoit dans un intérieur coquet. C'est une charmante dame qui vit seule et ne sort pratiquement pas. Son histoire est émaillée de difficultés et elle a un besoin intense de communiquer. En soins depuis huit ans à Chartres, elle voit l'équipe 2 à 3 fois par semaine et les liens affectifs tissés entre eux sont importants. « Je les attends avec impatience, je m'inquiète de leur retard. C'est ma visite de la journée avec le kiné ». Elle aimerait prolonger leur présence auprès d'elle. « Quand ça ne va pas, je cherche des contacts. Ils partent toujours trop tôt ! Qu'on ait au moins le temps de boire un café ! Je les connais tous les cinq. Éric, c'est bien qu'il soit là, un garçon dans l'équipe, ça change et puis il est si gentil ! Je connais la vie des uns et des autres, le prénom des enfants. Alors on en parle... Je les ai même rencontrés dans la rue avec les petits - et le mari de Sophie qui est si beau ! » Elle propose des bonbons, très heureuse de pouvoir mettre en valeur ses infirmiers et ses infirmières.

Micheline Danton, 82 ans, nous passe la clef par la fenêtre et montre d'emblée son dynamisme. Pas besoin de la stimuler, elle est la grand-mère confidente de dix petits-enfants et de huit arrière-petits-enfants. Sa vie sociale est intense. Elle est suivie à l'hôpital Saint-Louis à Paris pour ses jambes. Et ses trois infirmières régulières la visitent quatre fois par semaine. « Elles sont différentes, chacune avec sa personnalité mais charmantes et disponibles. Leur travail est identique mais avec des habitudes propres à chacune. Cela ne me dérange pas. Éric et Bérangère viennent en remplacement. Éric ? Quand on a été à l'hôpital, on met sa pudeur de côté. Je suis bien avec tout le monde, je n'ai qu'à me louer d'eux. La seule chose qui me fait râler c'est quand elles viennent trop tôt le matin. Je dors, moi ! »

Madame Danton regarde la télévision jusque très tard dans la nuit. « Elles le savent, elles viennent parfois plus tard exprès, là c'est sympa ! »

Comme les cinq doigts de la main

- Sophie Le Clainche

2 enfants - 14 ans de libéral - noyau initial du groupe - DE en 1989, vouée d'emblée au libéral. Ses attaches familiales en Eure-et-Loir la décident à se lancer en reprenant la clientèle d'une infirmière. Le démarrage s'effectue en six mois. Elle a exercé seule pendant quatre ans, avec les difficultés que cela suppose. Elle est ensuite rejointe par Sophie Goret, pendant trois ans. Puis, leur charge de travail augmentant, décision est prise de trouver quelqu'un d'autre.

- Sophie Goret

10 ans de libéral - DE en 1989, elle travaille quatre ans à l'hô-pital d'Amiens en pneumopédiatrie. Elle cherche à changer de vie et trouver une façon différente d'exercer. Lancée avec Sophie Le Clainche, elle trouve petit à petit un intérêt grandissant au côté contact du libéral, à la connaissance des gens. Autour d'un soin, découverte d'un univers totalement différent.

- Magalie Lhémeray

2 enfants - 5 ans de libéral - DE en 1992, elle a fait un stage de libéral avec Sophie Le Clainche. Après six années d'exercice à l'hôpital - bloc de gynéco, maternité, urgences et une formation de panseuse -, elle craque notam-ment à cause du rythme des 12 heures quotidiennes. Sophie lui propose de les rejoindre. Elle trouve enfin le temps de voir les patients et de les chouchouter, elle est réputée dans le groupe pour consoler les patients déprimés, dédramatiser les situations et remettre les pendules à l'heure.

- Bérangère Collonge

1 enfant - 2 ans de libéral - Partie travailler à l'étranger après le bac, elle passe son DE en 1996 à Paris et y travaille trois ans en pneumologie. Elle postule au cabinet de Chartres pour se rapprocher de sa famille. Par ailleurs, elle aide une autre infirmière libérale isolée dans la campagne. Elle rencontre Éric et lui propose de développer la clientèle du secteur Est de Chartres (quartier de la Madeleine).

- Éric Coutard

1 enfant - 7 mois de libéral - Après avoir exercé les métiers de brancardier et d'aide soignant depuis 1984, il obtient son DE d'infirmier en 2003. Il exerce en réanimation et au bloc où des conditions de travail déplorables et le manque de contact avec les patients le poussent à rejoindre en avril 2003 le cabinet où il avait fait un stage.